Le journaliste Pape Samba Kane a publié, en décembre dernier, « La Folie des jeux d’argent ». L’auteur pamphlétaire se penche sur les fléaux sociaux découlant de l’addiction aux jeux numériques, qui se répand maintenant à toutes les couches et à tous les âges.
Suivant l’actualité marquée par la démente prolifération des jeux d’argent numériques et ses terribles méfaits, Pape Samba Kane (PSK) a mis au goût du jour son investigation journalistique sur la tentation d’implantation illégale de casinos dans les bas quartiers de Dakar. Le livre « Casinos et machines à sous au Sénégal : Le poker menteur des hommes politiques » (2006) indexait virulemment les casinotiers corses, entre autres, ainsi que les politicards locaux qui soutenaient leur besogne mafieuse.
Fin 2024, aux Editions Moukat, le journaliste a actualisé son œuvre en s’attaquant aux terribles dangers sociétaux consécutifs à la pratique des jeux d’argent électroniques (1XBet, PariFoot et Bet Winner, cités sur la couverture du livre). L’ouvrage sonne telle une mission chez PSK, qui engage quasiment la croisade contre ce phénomène « cliniquement pire que la drogue ». Avec la ruée vers « Naar-bi » et le jeu compulsif, la déperdition scolaire, le trouble mental et la population carcérale ont gonflé leurs taux. « Naar bi », l’Arabe en wolof, est le terme populaire pour nommer les paris électroniques, du fait que les principaux promoteurs sont des milliardaires des Emirats.
Le jeu finit par gagner toute l’attention et tous les crédits des parieurs. L’auteur l’explique : ce qui distingue les jeux dangereux des autres, c’est le rythme. « Quand le jeu est rapide, le participant se concentre chaque fois sur la nouvelle occasion de gagner qui se présente et oublie que, en réalité, il ne fait que perdre », écrit l’auteur (p. 135) en citant le psychologue allemand Dr Gerhard Meyer. Dépravation Maintenant, cet attrait est devenu plus pernicieux et plus nocif avec les jeux qui sont devenus des applications téléchargeables dans les smartphones, et ne nécessitent plus le déplacement jusqu’à des aires dédiées.
N’importe qui peut désormais miser n’importe quand, n’importe où, n’importe comment et sur n’importe quoi. Pourvu que portable et connexion internet soient disponibles. Dans l’épilogue, le journaliste présente une enquête et une interview édifiante, réalisée en 2004, avec un joueur compulsif libanais. C’était un milliardaire qui a perdu des centaines de millions de FCfa aux jeux, et qui a connu un frein dans ses activités d’import-export de produits textiles. On y note une sourde entreprise de corruption d’agents de l’État, des systèmes de contournement de règles normatives et des intimidations sérieuses des administrateurs des salles de jeux autant sur les employés que les joueurs.
La dépravation y est aussi une règle, en y prenant visiblement des formes (des jeunes femmes utilisées comme appâts, par exemple). Au box des coupables, Pape Samba Kane place l’État du Sénégal en première loge, avec une part belle de l’indexation à la Loterie nationale sénégalaise (Lonase). Pour le journaliste, l’autorité, obnubilée par les énormes rentrées d’argent, concède des autorisations à ces tueurs lents. En annexe du livre, le journaliste présente un lot de documents au profit de casinotiers : contrats de concession, autorisation d’exploitation, certificat d’inscription au registre de commerce, lettres de ministères, etc.
L’auteur relève même une mafia qui a fini par s’installer confortablement, avec des anecdotes éclairantes comme à la page 140. Evasion fiscale En plus de déstructurer pernicieusement la société et d’apparaître comme un problème de santé publique, ces jeux de hasard coûtent énormément cher, avec tout ce qu’ils enveloppent d’évasion fiscale et d’irrégularité dans les impôts. Souvent avec la bénédiction de l’État, qui tangue entre les responsabilités morales et les exigences économiques dans nos pays pauvres.Notons tout de même que le nouveau régime a provoqué la fermeture de Premier Bet Sénégal suite à des démêlés avec le fisc. L’entreprise exploitante a mis la clef sous le paillasson en fin juillet 2024, affirmant ne pas pouvoir payer l’énorme montant dû après un redressement fiscal.
Ses employés continuent d’ailleurs de réclamer le paiement de leurs indemnités. Cette décision, quoique régulière, a été considérée comme un résultat des engagements de l’actuel Premier ministre Ousmane Sonko, qui a toujours décrié « Naar bi ».Pape Samba Kane appelle également à juger la victime. La société, selon lui, est « au moins coupable de passivité ». Dans l’enquête présentée en épilogue, il y a l’exemple de la presque cessation de fréquentation des salles de jeux par les Libanais.
Le journaliste pense qu’il y a eu une fatwa d’une autorité tutélaire qui a conduit à ce fort ralentissement dans la fréquentation. Ainsi, les autorités morales comme étatiques pourraient être d’un heureux secours en élevant la voix pour contraindre les jeunes à cesser les jeux. Sera-t-il facile de réussir cela avec la sur-démocratisation des jeux de hasard devenus presque incontrôlables avec sa pratique numérique ?
Mamadou Oumar KAMARA