À la Cité Aliou Sow de Guédiawaye, dans la banlieue dakaroise, se cache un îlot de bien-être pour les artistes graffeurs : RBS Akademiya. Une appellation non anodine, car étant l’école du RBS Crew. Il s’agit d’un collectif qui a vu le jour il y a quelques années. D’abord rassemblement d’amis, il a vu des membres affluer de Dakar, du Sénégal, d’Afrique et du monde entier pour promouvoir l’identité panafricaine à travers graffiti, mais aussi l’engagement citoyen. Pour les membres de cette entité, l’art est une arme qui sert non à tuer, mais à donner vie à l’espoir, à la connaissance de soi et à la fierté d’être noir.
Les murs ont des oreilles. Et quand ils entendent le doux murmure des bombes de peinture des artistes du RBS Crew, ils frémissent de joie, prêts à se draper de leurs plus beaux apparats, sachant que quelques minutes après, des couleurs aussi vives les unes que les autres allaient embellir leurs quotidiens, loin des relents de pisse et d’ordures qui prennent parfois logis près des différentes cloisons cimentées. L’objectif ultime est d’insuffler une vie nouvelle à chaque œuvre, transformant ainsi les murs en véritables toiles vivantes qui ne cessent de les embellir et d’émerveiller.
Créée en 2012, RBS Crew compte aujourd’hui des dizaines de membres au Sénégal, en Afrique, et même aux États-Unis : « C’est très vite devenu un mouvement panafricain artistique, qui a des membres un peu partout en Afrique, que ce soit au Bénin, au Togo, au Mali, en Ouganda, au Kenya et dans d’autres pays comme les États-Unis, avec le mouvement Black Panther, avec qui nous collaborons. Mais aussi des membres en Suisse, etc. C’est très vite devenu une union de certains artistes autour de l’essentiel panafricain. »
Rébellion belle et sauvage
L’art n’a pas seulement pour vocation de montrer ce qui est universellement beau. C’est aussi se servir de son talent pour une cause encore plus grande que l’apparence : celle de l’intérêt général. RBS Crew a dépassé le stade de créer pour plaire. Ce collectif d’artistes graffeurs a décidé de se servir de bombes, pas celles qui explosent, mais celles qui exposent et mettent à nu le désespoir des masses, pour conscientiser et mener un combat : celui du peuple. C’est ainsi qu’un partenariat a même été noué avec les Black Panthers, un mouvement révolutionnaire afro-américain.
L’un des membres fondateurs, Serigne Mansour Fall, est une figure centrale du RBS Crew. Il est le noyau du mouvement. Toutefois, son nom à l’état civil n’est pas celui qui résonne sous ses œuvres. Son nom de plume, ou d’artiste, est Mad Zoo TRK. Ce blaze est désormais reconnu dans le milieu du graffiti, que ce soit au Sénégal, en Afrique, ou dans le monde entier. Cet artiste est né avec une bombe de peinture dans la main, passionné de graffiti depuis l’enfance, ayant fait ses premières esquisses dès l’âge de 7 ans. Du temps a passé et, aujourd’hui, il est devenu une figure incontournable du graffiti. Grâce au collectif, il participe à la création de vocations.
À l’académie, des cours sont dispensés avec des inscriptions tous les six mois. Il y a des formations autour du graffiti (qu’est-ce que le graff, les différentes techniques, comment transformer le lettrage classique en graffiti…), des cours techniques, mais aussi des formations idéologiques, sur l’histoire du hip hop… Les cours sont dispensés trois fois par semaine. Tous les six mois, de nouveaux étudiants sont recrutés.
RBS Crew comprend des photographes-reporters, des spécialistes de la modélisation 3D, des concepteurs de sites internet, etc. Les métiers du digital, des gens du cinéma, tous sont inclus. Pour Mad Zoo, l’âme du collectif réside dans « la synergie de toutes les capacités, des savoir-faire, qu’ils soient artistiques, créatifs ou techniques, qui nous permettent de créer une force collective autour de la créativité au service de la réhabilitation culturelle africaine. »
Une fresque qui a fait le tour du monde
D’ailleurs, RBS Crew a décidé de se servir de l’art pour lutter contre l’ancien Président Macky Sall. Alors que les manifestations faisaient rage à Dakar et dans d’autres régions, le collectif a réalisé une fresque mémorable, restée dans la mémoire collective. Sur celle-ci, on voit une représentation de Macky Sall, brandissant une arme contre un citoyen sans défense. Si de prime abord l’image peut choquer, sa symbolique a touché de nombreux cœurs, au Sénégal mais aussi à l’international. C’est aussi ça l’art : choquer pour éveiller, pour réveiller.
« Ce mur, nous l’avions réalisé dans une dynamique de prise de parole et de positionnement politique, pas pour un parti, mais pour alerter l’opinion sur ce qu’un gouvernant avait à faire pour son peuple. C’est-à-dire éveiller les consciences et créer des synergies autour de l’engagement humain. Ce ne sont pas juste des politiques ou des économies déconnectées de l’humanité. Nous voulions repenser les choses. ‘Monsieur le Président, on vous a élu pour servir votre peuple, pas pour concourir à son échec ou à sa déchéance.’ C’est un art de positionnement politique. Sur de nombreux points de vue, nous avons apporté des combats un peu partout », explique Mad Zoo.
Oumar Boubacar NDONGO