Les enfants et les femmes occupent une place particulière dans son art. Une musique succulente, les Sénégalais l’ont dit. Ma Sané… L’ancienne chanteuse de Waflash n’a d’engagement que pour les femmes et les enfants : elle s’engage aussi pour le pays, lorsque le Sénégal traverse des épisodes difficiles. Ce, même en étant hors du pays. Elle vit en France actuellement. Et la voix aiguë compte bien résonner encore et encore sur les scènes sénégalaises. Come-Back…
Propos recueillis par Moussa SECK
Qui est Ma Sané ?
Ma Sané, c’est une fille de Thiès, chanteuse très tôt, qui a fait ses débuts à Thiès avec le groupe Waflash. Hormis l’artiste qu’elle est, c’est une femme qui, à travers ses thèmes, essaie de promouvoir la femme, de parler des conditions féminines africaines en général, qui sont assez déplorables, et dont on essaie de parler, pour inviter à une réflexion. On essaie ainsi d’inviter vers une espèce de vivre ensemble beaucoup plus serein, et tout ça dans la paix et la cohésion. J’ai fait une carrière au Sénégal et en France, le tout, dans la continuité de ce que j’ai commencé ici : défendre les couleurs de la musique sénégalaise à travers ma musique.
Avec Waflash, précisément, on vous a vu chanter avec un style qui n’était pas forcément le mbalax… Qu’est-ce qui vous a convaincu de prendre cette direction artistique dès le début ?
On a constaté que le Sénégal avait une richesse culturelle énorme. Et après avoir vu qu’il y avait une seule forme de musique qui dominait, on s’est dit non. Le mbalax, c’est une belle musique, mais c’est juste une forme de musique sénégalaise, c’est une des musiques sénégalaises. On s’est dit : pourquoi ne pas essayer d’exploiter les autres sonorités pour dégager une identité musicale, qui sera la nôtre. Je pense que ça a été une expérience très intéressante, parce qu’il y a beaucoup de Sénégalais et de Sénégalaises qui se sont identifiés à travers cette musique qui, à mon avis, fait partie de celles qui ont représenté dignement la musique sénégalaise ici et ailleurs.
Face à cette hégémonie, si on peut parler de la sorte, du mbalax, est-ce qu’il n’a pas été difficile pour vous de trouver votre place et votre public ?
Je peux dire que ça a pris un peu de temps, justement, parce que tout le monde était focalisé sur le mbalax et parce qu’on pensait qu’il n’y avait que le mbalax qui devait être là. Qui dominait, en fait. Mais on a tenu bon, on a cru en notre projet, on a cru en ce que nous faisions. C’était une voix qui allait dans le sens de la défense, comme j’ai toujours dit, des couleurs de la musique sénégalaise. Et on ne l’a pas regretté. C’est cela qui a fait la particularité du groupe.
Pourtant, à un moment, il y a eu la carrière solo. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Waflash, c’est un grand groupe. Je peux dire, avec beaucoup de modestie, qu’on a fait un travail colossal. C’était des années de recherches, d’aventures et qu’on n’a pas regrettées. Ce qui a fait de Waflash un groupe que beaucoup de gens, beaucoup de Sénégalais ont respecté. Mais, après plus de 30 ans de carrière, j’avais également voulu prendre une autre voie. C’est aussi le fait de devenir une épouse : j’avais voulu faire une pause dans ma carrière à un moment donné et continuer aussi à faire de la musique. Comme d’ailleurs d’autres membres du groupe aussi l’ont fait, je ne suis donc pas la seule dans le groupe à aller de son côté, à développer sa carrière en solo. La musique étant mon métier, avant et après le groupe, je me devais de continuer. Et c’est ce que j’essaie de faire depuis un certain temps.
Entre 1990 et maintenant 2025, il y a eu pas mal de choses qui ont changé. Comment voyez-vous la musique rétrospectivement et quelles comparaisons faites-vous entre ces deux époques ?
C’est vrai que la différence est très marquante, et ça reste deux époques intéressantes. Nous avons eu l’influence de grands groupes comme le Xalam 2, Touré Kunda ou encore Féla Kuti. Ce qui fait qu’on a fait une musique qui a une identité africaine. Aujourd’hui, avec le développement du digital, les jeunes ont une autre manière de faire de la musique. C’est vrai qu’ils ont d’autres influences eux aussi, ce qui ne manque pas d’influer sur la musique qu’ils font. Avant, quand on composait un morceau, on laissait de la place aux instrumentistes pour qu’ils s’expriment. Tu pouvais alors entendre un solo de guitare, un solo de basse, de clavier. Mais aujourd’hui, quand j’écoute de la musique, il n’y a pas de place pour les instrumentistes. Il n’y a que le chanteur qui s’exprime du début à la fin avec couplet-refrain, couplet-refrain. Je ne fais pas de jugement, je me dis que c’est une autre manière de faire de la musique. Mais, je préfère quand même l’époque où on laissait aussi les instrumentistes s’exprimer, parce que la musique c’est un duo, c’est un échange. C’est une discussion.
Et vous, vous êtes restée constante dans votre afro-folk…
Oui, chacun a son style. Je suis restée dans le mien, car il est important pour un artiste d’avoir un style et d’avoir son identité musicale.
On vous voit de moins en moins. On vous entend certes, puisqu’il y a l’album Mama Essamaï sorti en 2023. Alors, où est Ma Sané et qu’est-ce qu’elle fait actuellement ?
Ma Sané est en France, elle continue à faire de la musique, elle fait des festivals. Je développe aussi ma carrière dans le théâtre, dans le jazz, et c’est une manière d’enrichir mon travail et ma carrière. L’avantage, quand tu quittes ton pays, c’est qu’il faut essayer de se développer autrement, d’essayer de travailler autre chose qui enrichit ta carrière. C’est très important pour moi de m’aventurer dans le jazz, dans le théâtre, et c’est quelque chose qui m’a été très bénéfique.
On constate aussi que dans votre musique, il y a, si on peut parler de la sorte, une dimension d’hymne à l’Humain. On se rappelle du titre « Saliou » et on se rappelle aussi de l’indifférence que vous sembliez d’ailleurs critiquer dans ce morceau-là. Est-ce qu’avec le recul, vous constatez que les hymnes que vous avez composés ont un impact sur l’être humain sénégalais, ou qu’au contraire, les choses ont empiré ?
Avant « Saliou », il y a des chanteurs, des artistes qui avaient chanté des thèmes sur l’enfance et sur la femme. Je considère que c’était une continuité qu’on a faite, et une manière d’inviter à la réflexion sur notre société. On a l’habitude de voir des situations qui ne sont pas normales, mais qu’on banalise à force de les vivre. Les enfants qui traînent dans la rue, ce n’est pas normal. La place de l’enfant, c’est l’école, c’est la maison, c’est être avec ses copains, ses copines. « Saliou » revient sur le cas d’un enfant qui est tout pour sa maman. C’est les yeux de sa maman, il l’accompagne partout. Ce qui fait que l’enfant ne peut pas aller à l’école, encore moins aller jouer avec ses copains. Il y a énormément d’enfants en Afrique comme ça et personne ne les prend en charge. Dans cette chanson, « Saliou », on a voulu attirer l’attention de la société sur ces enfants-là.
Il y a, d’une part, l’engagement humain avec « Saliou », mais, d’autre part, on vous a vue dans un autre type d’engagement. Par exemple, dans des manifestations. Est-ce que ce serait trop de dire que cet engagement est de type politique ?
On peut bien dire engagement politique, car je pense qu’on a vécu une période au Sénégal où la politique a dominé d’une manière qui n’était pas sur la bonne voie. Ce qui ne s’est jamais passé dans notre pays, en tout cas, dans nos souvenirs, même s’il y a eu des situations politiques très critiques dans le passé. Ce qui s’est passé en 2022-2023, c’était vraiment énorme pour le pays : des enfants qu’on a tués et c’est quelque chose qui nous a indignés. On est artistes et partout où on va, on est des ambassadeurs ou ambassadrices du Sénégal à travers nos musiques. Et je pense que lorsque ce Sénégal qu’on glorifie partout dans le monde est en difficulté, on doit être présents. Où que tu sois, quand le Sénégal t’appelle, tu dois répondre. Donc, j’ai considéré cette situation comme un cri de cœur et il fallait que je sois présente, là où j’étais, et défende mon pays. C’est ça que je devais faire, je l’ai fait. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour féliciter le nouveau gouvernement pour le beau travail qu’ils ont commencé. Et nous les encourageons, le président de la République Diomaye Faye et notre cher Premier ministre Ousmane Sonko. On est derrière eux, on est en phase avec la « Vision 2050 » et on est prêts à les accompagner dans leur projet.
Vous êtes actuellement au Sénégal. Ce sera pour combien de temps ? Est-ce qu’il y a aussi quelque chose que vous préparez pour les fans et les mélomanes de manière générale ?
Je suis là pour marquer mon retour sur la scène musicale sénégalaise, en commençant par des concerts, justement, au mois de décembre. Ce sera une occasion de retrouver tous ces gens qui nous ont toujours soutenus, qui nous ont toujours suivis et encouragés à travers nos réseaux sociaux. Aussi, c’est pour lancer le grand évènement qui est l’anniversaire de Ma Sané, le 4 avril prochain. On y est, on le prépare et on va le fêter avec tous les Sénégalais.
Et « Soumbéra » ?
(Rires). Elle m’a échappé. Il paraît qu’elle est à Londres. Il y en a qui disent qu’elle est aux États-Unis, mais où qu’elle puisse être, on va l’appeler pour qu’elle vienne fêter l’anniversaire avec nous parce qu’on va chanter « Soumbéra », on va chanter « Mame Daba », on va chanter « Sincérité » … Donc, elle doit être là, elle doit être présente.