Le Magal, grand rassemblement de la confrérie mouride, commémore le départ en exil de son fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Chaque année, des milliers de fidèles du pays et de la diaspora convergent vers la ville de Touba. Son pouvoir de mobilisation est tel qu’il met une partie du pays en pause.
En cette matinée du mardi 12 août, alors que le soleil déploie ses rayons après une soirée de pluie battante, la capitale sénégalaise est en apnée. À la veille du « Grand Magal », le cœur vibrant de Dakar semble s’être mis en pause, laissant derrière lui une tranquillité rare, presque irréelle. Dans plusieurs artères de la ville, la même scène se dessine : des allées, d’habitude marquées par des embouteillages, sont désormais dégagées, des places publiques résonnent d’un vide inhabituel.
Au cœur de Grand Dakar, sur la petite rue 10, le silence assourdissant qui règne en ce matin ensoleillé raconte à lui seul l’histoire de ce grand exode de la foi. Là où le vrombissement des cars rapides, les klaxons impatients et les cris des marchands animaient d’ordinaire la rue, un calme intriguant s’est installé.
La place habituelle de mère Marème, une vendeuse de petits déjeuners dont les effluves de café et de frites accompagnaient le début de journée, est désertée. Bols et casseroles, témoins de son labeur quotidien, sont rangés sur la table. « Comme tu vois, tout le monde est parti à Touba, » confie-t-elle avec un sourire résigné. Elle sait qu’elle va perdre une journée de travail, mais accepte son sort avec philosophie. « Al hamdoulilah, c’est ça aussi la réalité de la vente. » Pour elle, la solution est simple : une pause forcée. « Je ne vais pas vendre demain ni après-demain. Je vais peut-être recommencer samedi matin, si Dieu le veut. »
Le Magal, un événement phare
Ce silence, les habitants restants le vivent chacun à leur manière. Un groupe d’enfants, profitant de la quiétude des lieux, investit l’espace des petites ruelles jadis impraticables à cause de la circulation. Leurs cris et rires sont les seules mélodies qui viennent briser le calme.
Plus loin, un « retardataire » s’apprête à rejoindre la ville sainte. Cheikh Fall, un fidèle mouride, vêtu d’un « baye lahat » en noir et blanc, baskets aux pieds et foulard autour du cou, les dreadlocks reposant sur ses épaules, attend impatiemment le car pour « bountou Pikine », point de départ pour Touba. « Je voulais partir bien avant aujourd’hui, mais j’ai eu quelques empêchements, » explique-t-il, un air de détermination sur le visage. « Je n’imagine pas rater un seul Magal de toute ma vie. » Son regard est déjà tourné vers la ville de Cheikh Ahmadou Bamba, communément appelée Serigne Touba, située à environ 194 kilomètres de Dakar.
À l’ombre d’un immeuble, le vieux Alioune, assis sur une chaise, chapelet à la main, la soixantaine, observe le vide qui s’étend devant lui. Un vide qu’il trouve presque apaisant. « Dakar respire actuellement. Il y a moins de pollution. D’habitude, à ces heures, on n’arrive même pas à faire une bonne sieste, » lâche-t-il avec une pointe d’humour.
Mais son sourire s’adoucit lorsqu’il évoque les milliers de fidèles en route. « Je souhaite qu’ils reviennent tous en bonne santé, et que la route n’ôte aucune âme, » conclut le sage, son propos rempli de bienveillance.
Ainsi, la veille du Magal, célébré chaque 18e jour du mois de Safar dans le calendrier lunaire islamique, Dakar est désertée. Ses rues se vident, ses bruits s’éteignent, marquant une pause collective avant le grand retour et le nouveau rythme de la vie qui reprendra son cours.
Djibril DIAO