Maguette est styliste, designer, costumière dans le cinéma et la télévision, fondatrice et directrice artistique de « La Penderie de Maam » et « Magci Dkr ». Plus que des marques, elle porte des labels, avec un propos pertinent qui épouse en harmonieuse polygamie patrimoine, contemporanéité, panache et chic. Elle explore l’histoire de la mode sénégalaise depuis plus de sept décennies, mais en surpassant le principe du phénomène. La styliste rouvre la malle pour libérer la créativité et raviver le riche héritage, en toute virtuosité.
L’histoire a commencé au collège, au contact quasi quotidien d’une professeure à la tenue grotesque. Les entrées de l’enseignant fantasque dans la classe étaient toujours un spectacle alléchant pour les élèves, et une aubaine pour leurs commérages et saillies. Pour Maguette Guèye cependant, c’était une épreuve pour son sens du détail, son œil épurateur, son geste créatif, ses trouvailles audacieuses et son approche des affaires. La jeune adolescente finit par suggérer à l’enseignante de la relooker. Son travail finira par séduire presque tout le corps professoral. Sa premier marché, sa première clientèle. « J’étais en 4e et je venais de découvrir un métier. Mon métier », s’exclame encore Maguette Guèye, les yeux constellés.
Aujourd’hui, dans le confort de son atelier Magci Dkr, elle se rappelle son rêve devenu une enviable réalité. Maguette est costumière de cinéma qui a donné ses coupes et ses couleurs à des productions locales et internationales. Elle a réalisé les costumes du conte musical « Birima » de Youssou Ndour et Pape Oumar Ngom au Théâtre du Châtelet (Paris). Des artistes lui font confiance pour leurs clips vidéo et leurs visuels, dont dernièrement Ashs the Best pour son projet « To The Roots ». Elle a lancé Magci Dkr qui allie le glamour des années 1980-90 et la touche contemporaine urbaine. Maguette est en train de réussir avec La Penderie de Maam (voir interview) un inventaire des vêtements de quasiment toutes les ethnies du pays. Elle loue ses créations pour les productions artistiques, des événements spéciaux et les photos-souvenir. Elle participe à des expositions, dont « Drianké – Diggante Taar ak Kiliftéef ». Elle figure dans la littérature pour la conservation des mémoires des peuples d’Afrique, notamment dans « Les Robes d’Emilie » de Imaniyé Dalila. On ne finira pas de citer. Mais comme toutes les histoires qui se racontent les yeux pleins d’étoiles, il a fallu du chemin à Maguette Guèye.
Le début de sa carrière amatrice au collège venait une année avant l’installation par son papa militaire, dans la maison familiale, d’un atelier de confection que tenait sa maman. Maguette Guèye chope l’aiguille et le virus, et se projette aussitôt : ce sera l’Institut de Couture et de Mode après le baccalauréat. « Je me suis renseignée dès la fin du collège. C’était difficile de faire comprendre mon choix. On croyait à une déchéance et à la nullité du parcours jusqu’au bac. C’était difficile à faire accepter, difficile pendant la formation et encore incompréhensible durant les premières années après la formation », se rappelle la styliste, qui restait cramponnée à sa foi.
Après le diplôme, en moins d’un mois, elle obtient un stage chez Claire Kane, où elle reste trois ans à épier patiemment techniques, astuces et savoir-faire. Elle travaille sous la tutelle de Cécile, une modéliste avec une solide expérience auprès de qui elle se forge beaucoup. Elle apprend comment faire les patrons en quantité considérable, tout avec une qualité épatante. Elle y apprend ce que l’école omettait dans les fascicules. Elle passe ensuite sous l’aile de deux autres noms. Chez Enzo où elle a fait les coupes pour homme, et chez Ndiaga Diaw où elle a même été vendeuse au lancement de la marque. Les débuts d’une « marketteuse ».
De la trime aux éclats des plateaux
Maguette Gueye voguait dans ces expériences sans jamais se détacher de son ambition de toujours : lancer sa propre marque. En 2014, après une maturité ressentie et constatée, Magci Dkr est née. « Je commence par une signature, la touche militaire. Mes premières créations s’inspiraient du monde des armées dans laquelle j’ai grandi, habité et évolué. Les militaires donnent l’image d’hommes parfaits dans leur tenue. Ils ont fière allure, sont forts, beaux, corrects, charismatiques. Je me suis inspirée d’eux, parce que c’est l’image que je voulais attribuer à mes clients. Ma première collection était là », explique la styliste et designer.
Les modèles militaires l’ont longtemps happée, avant que les chalandages au marché ne la convainquent d’aborder la diversité et les couleurs. La chromatique l’a saisie, encore plus avec ce papillon pris au piège de son atelier. Un jour, l’insecte voletait avec grâce, comme s’il manipulait un temps qui ne se comptait pas en minutes. Les couleurs de ses ailes semblaient laisser des traces dans les airs, tirant les rayons. Le papillon s’emparait l’attention. Maguette s’en approche, remarque une fresque et des motifs d’une beauté soutenue. Eurêka ! La prochaine collection sera faite de wax et de dentelles.
La source continue de nourrir Maguette : avec Magci Dkr comme avec La Penderie de Maam, on trouve encore ces couleurs et la justesse de la coupe, ainsi que la rigueur martiale dans le geste. Maguette est une lectrice qui s’inspire des rêves créés. Elle aime les livres d’amour et d’aventure. Pour créer des sensations et frissons, des univers et des matières fantastiques. Son esprit va aussi souvent se souvenir des programmes TV, elle qui, petite, passait des heures devant le téléviseur « pour voyager et voir l’ailleurs ». C’est la sœur de Maguette qui sent le coup de la costumière. Elle a l’idée un jour de montrer le portfolio de sa frangine à un ancien camarade de promo, le producteur Souleymane Kébé. « Dès qu’il a mon travail, il a pensé à moi pour un projet. Je ne sais connaissais rien du métier de costumière de cinéma en ce moment. Souleymane Kébé est venu me voir pour me proposer de travailler avec lui sur une série policière. J’ai lu le scénario, et comme un automatisme, j’ai tout de suite su qu’il fallait dépouiller. C’était en 2015, pour la série Tundu Wundu », explique Maguette, un tantinet fière.
Après cette expérience, elle est appelée pour d’autres productions, encore et encore. Mais celle qui l’a plus forgée et marquée reste la série C’est la vie. Elle y apprend « le monde, l’humain, la vie », à se débarrasser «de la naïveté et des caprices intempestifs », à avoir contenance. C’était surtout « super bien payé », et le fonds permettait de tourner la boutique. Maguette adore le métier de costumière de cinéma, parce que c’est des challenges au quotidien. Elle a surtout été dans des séries, dont la mini-série italienne Unwanted, plus que dans des productions longs-métrages, avec le cycle d’excellence que ça suppose.
« Pour mes recherches, je pioche sur le web et j’ai des réminiscences de mes lectures et visionnages depuis toute petite. Je regarde surtout autour de moi. J’explore aussi beaucoup les archives, comme dans « Black & White » (2020) de Moussa Sène Absa, un film d’époque. C’est là que je me suis inspirée de La Penderie de Maam, quand j’ai visité les archives de l’Ifan », relate Maguette. Elle voit les photos et, avant un quelque enthousiasme, est peinée qu’on ait enterrée ce trésor pour adopter des griffes culturelles. C’était aussi un bouleversement personnel, pour elle qui se considérait designer sénégalaise sans jamais avoir ni vu ni entendu ce legs.
Par Mamadou Oumar KAMARA
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