Dans « Chère feuille », son premier e-book, Maguette Seck, Sénégalaise vivant à Paris, profondément enracinée dans sa culture, se livre sans fard à une écriture libre et intime, entre prière, cri intérieur et confidence murmurée. Petite-fille de la grande Mariama Bâ, elle signe un texte habité de silences, de foi et de résilience, destiné à toutes les âmes qui portent des tempêtes calmes.
« Chère feuille » n’est ni roman, ni journal, ni récit. Comment définiriez-vous cet objet singulier ? Quelle forme avez-vous voulu lui donner ou plutôt, quelle forme s’est imposée à vous ?
Honnêtement, je ne l’ai pas pensé selon un genre. « Chère feuille » s’est écrite d’elle-même, par fragments, au fil des émotions, des silences, des jours. Elle ne suit pas une structure classique, et c’est justement ce qui la rend vivante. Ce n’est ni un journal intime, ni un roman, ni un recueil de pensées figées. C’est une parole libre, qui prend la forme qu’elle veut, quand elle veut. Un espace mouvant entre le poème, la prière, la lettre et le cri intérieur. Et même si certaines phrases suivent des rimes embrassées ou croisées, « Chère feuille » n’est pas de la poésie. Ce n’est pas un exercice littéraire. C’est une voix brute, qui se déploie comme elle peut, avec ses tremblements et ses élans. Je ne lui ai pas imposé de cadre, je l’ai laissé respirer. Il est comme une respiration irrégulière, mais sincère. Il s’est imposé ainsi sans règle, mais avec une cohérence intérieure. Et si je devais absolument la qualifier, « Chère feuille » est un journal d’âme, un challenge, et surtout une ouverture vers une audience plus grande que moi.
Vous ouvrez votre e-book par ces mots : « Je viens à toi les mains pleines de silences… ». Écrire, pour vous, est-ce d’abord une adresse à soi ou une prière murmurée au monde ?
Ces mots, je les ai écrits dans un état de calme sacré. Ils sont venus sans bruit, comme une main tendue dans l’obscurité. « Je viens à toi les mains pleines de silences… » C’est une offrande discrète, mais pleine. Pleine de ce qu’on ne dit pas toujours à voix haute, de pudeurs, d’émotions brutes, de vérités gardées au creux de soi. Écrire, pour moi, c’est d’abord une adresse intérieure. Un dialogue avec cette part de moi qui ressent plus qu’elle ne formule. Mais c’est aussi une prière silencieuse, le front posé au sol, certaine d’être entendue là-haut. Aujourd’hui, elle s’adresse au monde non pas pour convaincre, mais pour peut-être toucher une seule âme, au bon moment. Je n’écris ni pour plaire ni pour prouver. J’écris pour dire. Pour déposer quelque chose, comme on laisse un petit caillou sur le bord d’un chemin, en espérant qu’un autre passant s’y reconnaisse.
Rien qu’en lisant votre prologue, l’écriture est sobre, tendue, intime. Chaque mot semble pesé, chaque silence habité. Quel rapport entretenez-vous avec le langage ? Vous vient-il facilement, ou est-ce un corps-à-corps ?
L’écriture ne vient jamais sans résistance. Il y a des jours où elle coule, et d’autres où elle racle. Mais toujours, je l’écoute. Le silence fait partie du processus. Il me parle autant que les mots. J’ai un profond respect pour les silences entre les mots. Ils sont, à mes yeux, aussi importants que les mots eux-mêmes. Certains silences restent si beaux qu’ils ne méritent pas d’être brisés. Ils racontent autrement, par le vide, par l’écho, par l’attente. Le langage, pour moi, n’est pas une accumulation. C’est un équilibre fragile. Chaque mot doit porter son poids, habiter sa place. Il m’arrive d’écrire peu, mais de penser beaucoup. Parce que chaque terme a un souffle, une direction, une responsabilité. Alors oui, c’est un corps-à-corps. Pas dans la douleur, mais dans la précision. Une danse lente entre l’intime et le langage, entre l’émotion et la justesse. L’écriture n’est pas là pour tout dire, mais pour faire entendre ce qui palpite entre les lignes. Mais je ne peux pas dire que cet échange est dur. Car ma douce feuille, celle que j’ai en face de moi, m’attend patiemment. Elle ne me met aucune pression.
Vous parlez de la feuille comme d’une confidente fidèle. Pourquoi ce besoin de déposer sur le papier ce silence à voix haute ? Est-ce une forme de libération ou un rite de survie ?
La feuille ne juge pas, ne coupe pas la parole, ne presse pas les réponses. Elle accueille tout, même l’inachevé. C’est peut-être pour cela qu’elle est devenue ma confidente la plus loyale. Écrire, pour moi, c’est à la fois me délester et me recentrer. Il y a des choses qu’on ne sait pas dire à haute voix, par pudeur, par peur, ou parce qu’elles nous échappent encore. Les déposer sur le papier, c’est une manière douce de les affronter, de leur donner une forme, et parfois même une beauté. C’est une forme de libération, oui. Mais aussi un réflexe vital. Quand tout vacille, écrire me ramène à moi. Ce n’est pas un luxe, c’est un besoin. Un rite intime, entre moi et moi…
Solitude, foi, douleur, amour, résilience…, des thèmes puissants de votre ouvrage. Qu’est-ce qui vous pousse à écrire sur ces territoires intérieurs ?
Parce qu’ils m’habitent. Parce qu’ils m’ont construite. Parce que c’est des zones que l’on traverse tous, mais que l’on verbalise peu. J’écris pour mettre des mots sur ce que l’on vit en creux. Pour nommer l’indicible. Pour apaiser, peut-être. Selon moi, il est difficile d’évoquer la vie humaine et ses ressentis sans parler de la foi. C’est une conviction intime, mais je crois profondément que sans foi, l’humain est vide, ou sur une voie périlleuse. La foi, c’est ce qui soutient l’âme quand tout chancelle. Elle est synonyme d’espoir, de mouvement, de possibilité de changement, peu importe la douleur traversée, l’amour donné ou perdu, la résilience éprouvée, et les mille et une épreuves qu’un être humain peut rencontrer. La foi insuffle l’espoir, et sans espoir, il n’y a plus de vie, seulement une survie mécanique. En réalité, c’est cela qui nous tient debout : croire, même faiblement, en quelque chose de plus grand que nous, Le Suprême.
À qui s’adresse ce livre, au fond ? Y a-t-il une lectrice ou un lecteur idéal en tête ? Ou est-ce une lettre à tous les cœurs qui battent en silence ?
« Chère feuille » ne s’adresse pas à une personne en particulier. C’est un texte qui ne choisit pas son lecteur, il se dépose là, doucement, pour quiconque est prêt à l’accueillir. Mais si je devais imaginer quelqu’un en train de le lire, ce serait peut-être une âme qui se reconnaît dans un seul mot, une seule image. Quelqu’un qui ressent intensément, mais s’exprime peu. Quelqu’un qui a traversé la solitude sans forcément en souffrir, ou au contraire, qui a souffert sans toujours trouver les mots justes pour l’exprimer et qui, pourtant, continue de croire en la beauté de la vie, même lorsque les raisons de le faire semblent floues ou absentes. Je veux que chaque lecteur, chaque lectrice, sache une chose : toutes les émotions sont valides. Il n’y a pas de honte à ressentir profondément, à douter, à espérer ou à s’effondrer. Ce livre est là pour le rappeler doucement, sans jugement. À celles et ceux qui portent des tempêtes calmes. Il n’y a pas de lecteur idéal. Il y a juste des âmes qui reconnaîtront quelque chose d’elles-mêmes entre ces lignes. Si cet e-book pouvait faire écho, ne serait-ce qu’à une seule personne, alors qu’elle sache qu’elle est exactement là où elle devrait être.
Vous êtes la petite-fille de Mariama Bâ, une figure majeure des lettres africaines. Quel lien personnel et symbolique entretenez-vous avec cet héritage ? Est-ce un poids, une boussole, une présence ?
C’est un héritage silencieux, mais vibrant. Cela fait des années qu’elle est partie, et pourtant elle continue de vivre à travers ses mots. Je trouve cela profondément émouvant. Je n’ai pas eu la chance de la connaître, elle est partie bien avant ma naissance, mais sa présence me parvient autrement : dans les récits de ses filles, ma mère et mes tantes, encore parmi nous, à qui je souhaite longue vie, mes mamans d’amour ! À travers leurs regards, leurs souvenirs, leurs anecdotes, je perçois une fierté douce et sincère. On ne me parle pas d’elle comme d’un monument figé, mais comme d’une femme entière : forte, pieuse, libre dans ses mots. Et rien que cela, c’est déjà une boussole. Je ne ressens pas cet héritage comme un poids, mais une motivation. Une invitation à être fidèle à moi-même, à écrire avec honnêteté, sans prétention, sans chercher à reproduire ni à égaler, mais simplement à continuer, à ma façon, le dialogue qu’elle a amorcé. Le mérite qu’elle porte à travers ses œuvres est immense. Elle a ouvert des chemins. De mon côté, j’espère tisser des ponts. Je marche à mon rythme, avec humilité, et j’aspire, peut-être un jour, à me hisser à la hauteur de ce modèle magnifique. Je ne cherche pas à me comparer à elle. Je suis sa petite-fille, et c’est déjà un honneur, un cadeau de la part du Seigneur de l’être. Si, un jour, une infime part de ce que je suis peut rappeler un fragment de ce qu’elle fut, alors ce sera une victoire intime. Une gratitude muette. Et une lumière discrète que je porterai toujours.
En fermant les yeux, si vous deviez résumer « Chère feuille » en une phrase, une seule, la plus essentielle, que diriez-vous ?
Chaque émotion est légitime, humaine, unique et digne d’être portée !
Entretien réalisé par Adama NDIAYE