Dans le dédale des mots, Maguette Seck a trouvé sa voix, celle qui a longtemps fait écho avec son cœur : l’écriture. Sa plume tranche dans le vif de ses sentiments et lance un appel au monde, telle une ode à la liberté. Plume silencieuse devenue assourdissante, répétant son message telle Écho, la condamnée, l’auteure de Chère feuille a un message à faire passer. Et tant pis, si cela doit passer par un sempiternel refrain. Car pour la jeune auteure, c’est son âme qui lui sert de réceptacle et de lien avec les autres. Une quête que la petite fille de Mariama Bâ a débutée depuis l’enfance et qui aujourd’hui, se dévoile au monde.
Dans son album Civilisation, le rappeur français Orelsan parle de la vie comme d’une quête, dans le morceau éponyme : « Ce qui compte ce n’est pas l’arrivée c’est la quête« . Maguette Seck a connu un long chemin dans cette recherche, et Chère feuille, son recueil de poèmes publié récemment sous format e-book, n’est que le début. C’est le commencement d’une confidence faite de mots simples, de mots doux, de mots durs parfois, mais de mots vrais surtout. La première étape de son aventure littéraire. Ainsi écrit-elle : « Ce livre n’est pas un cri. C’est un souffle. Un souffle qui cherche l’apaisement, Un fil fragile tendu entre mes jours d’ombre et mes jours clairs. À toi qui liras, Sache que chaque mot est un battement, Chaque virgule, une hésitation, Chaque page, un pas vers la guérison. Je m’appelle Maguette Seck, et je partage un bout de moi avec vous. »
Parfois, l’envie d’écrire prend racine dès le bas âge. Elle prend le temps de germer, et quand vient le déclic, elle éclot au grand jour, irradiée des lumières de l’inspiration pour inonder le monde de mots, de flots. Maquette Seck a connu ce cheminement. Choisie par la sainte plume dès la classe de 5ème, elle n’a jamais laissé sa compagne de nuits blanches, sa confidente, son amie. Poussée par son oncle et ancien journaliste du quotidien national Le Soleil, Ndiogou Wack Diop, elle a forgé sa plume, en silence,
D’âme à âme
Aujourd’hui, Chère feuille est née de la volonté de sa plume. Forgée à coups de mots, celle-ci s’est aiguisée pour pourfendre les pages blanches, noircir la feuille qu’elle considère comme une confidente silencieuse depuis toujours. C’est d’ailleurs pour ça que cette œuvre, écrite sous format épistolaire, porte un titre qui semble murmurer aux oreilles du monde. Car oui, cette confidence n’est pas simplement une manière de chuchoter, mais de tisser des liens avec ses lecteurs, de leur transmettre sa joie, mais aussi de ressentir leurs tourments, telles des âmes unies par un fil invisible mais ô combien solide. D’ailleurs, Maguette Seck cherche cette union. Pour elle, répétant les mots de sa mère, « tout ce qui vient du cœur touchera forcément les gens ». Elle essaie donc de puiser au plus profond d’elle-même afin de donner à ressentir à ses lecteurs.
« Aujourd’hui, selon moi, pour bâtir une relation, quelle qu’elle soit, en tout cas si on veut qu’elle soit véridique, si on veut aujourd’hui qu’elle soit saine ou au moins qu’elle puisse toucher, il faut ce lien, qu’il soit invisible ou pas, c’est à dire qu’il est fait sans bruit, on le vit en plein dedans. Aujourd’hui, pour moi, c’est indéniable. On ne peut pas partager quelque chose, sans qu’une partie de soi ne soit pas mise en exergue», nous confie-t-elle, la voix débordante de détermination. « Quand je veux inviter quelqu’un dans mon monde, il faut qu’il puisse se reconnaître à travers un mot ou une phrase et se dire ‘‘d’accord je comprends pourquoi’’. Je pose des mots sur des pages en disant aux autres ‘‘allez, venez, vous participez à l’aventure entre vous et moi, vous êtes tous les bienvenus aujourd’hui’’ ».

De la joie, mais aussi des peines
Dans Chère feuille, il y a certes beaucoup de joie et de bonheur. Cependant, on note également des relents de peine et de chagrin. Elle écrit notamment : « On reste pudique, alors on s’interdit souvent de pleurer devant les gens. Il y a des silences qu’on habille de lettres, juste pour ne pas sombrer. Chère feuille est née de ça, sans rien vous cacher. D’un tas d’émotions : vécues, imaginées ou racontées par autrui ». Ou encore « Je souris pour masquer ma détresse intérieure » dans ‘‘Grand-mère disait « Vivre place déjà l’homme sur le chemin de la mort »’’. Cette douleur, Maguette Seck l’a notamment vécue au mois de mai dernier avec le décès de son oncle maternel Ndiogou Wack Diop, qu’elle appelait affectueusement « Tonton Ndiogou ». Cette figure tutélaire, qui l’a couvée et appuyée dans son processus de création, est décédée au mois de mai 2025, avant la parution du livre.
L’auteure, dévastée par le chagrin, a tout de même accepté la sentence divine, même si elle assume sa douleur. « Notre lien était très fort parce il me disait tout le temps « ne t’arrête jamais d’écrire. Écris, fais ceci, fais cela. Il me dictait certaines actions. Il était tout le temps là pour moi. Je l’aimais tellement… », murmure-t-elle, le timbre encore vif d’émotions.
Le legs oui, le poids non
Parler de Maguette Seck et de littérature, revient forcément à évoquer une figure incontournable de la scène littéraire sénégalaise et celle africaine : Mariama Ba. Cette dernière est sa grand-mère, puisque génitrice de sa mère. Cette auteure de livres d’exception comme Une si longue lettre ou encore Un chant écarlate, est une source d’inspiration. Pour lui rendre hommage, elle lui a dédié un texte dans son recueil : « Grand-mère disait « Vivre place déjà l’homme sur le chemin de la mort » ……… ».
Forcément, lorsqu’elle a décidé de suivre les traces de sa mamie, certains ont essayé de faire des rapprochements entre les deux plumes, les deux histoires. Être la petite fille d’une telle auteure peut même faire frémir certains. Cependant, Maguette ne veut pas que cela soit un fardeau, bien au contraire. De plus, même si Chère feuille, qui est une correspondance entre l’auteure et sa page, peut avoir des similitudes avec Une si longue lettre de Mariama Bâ, il n’y a eu aucune volonté de faire la même chose.
« Vraiment, cette manière d’écrire Chère Feuille, l’intimité entre elle et moi, ne part pas du tout du fait d’avoir lu le très grand roman de ma grand-mère, la mère de ma mère. On reste aujourd’hui dans un registre épistolaire, c’est vrai. Mais cette manière d’écrire, ça a toujours été la mienne. Aujourd’hui, je ne peux plus pas me confier à elle parce que c’est mon amie. Et je sais, j’ai eu à discuter avec elle beaucoup de fois. Donc, en fait, cette intimité qu’on a tissée, elle et moi, depuis mes douze ans, j’en ai 23 ans aujourd’hui, ça fait neuf ans. Donc, je pense qu’en neuf ans, il y a des liens très forts qu’on peut tisser avec sa part, sa feuille, sa plume. Aujourd’hui, oui, au lieu de nommer Aïssatou comme ma grand-mère l’a fait en parlant de son amie, moi, j’ai juste utilisé Chère feuille, mais je n’ai jamais eu à faire liens entre Chère feuille aujourd’hui et Une si longue lettre. Ce n’était pas une forme de dédicace Une si longue lettre particulièrement. Mais j’ai voulu écrire dans l’intimité parce que c’est comme ça que j’écris, c’est ça que je sais faire », estime Maguette.
Cette dernière ne cache néanmoins pas l’admiration éprouvée pour sa grand-mère. « Cette dame, c’est une personne qui a marqué des personnes qu’elle ne connaît même pas. Des gens ont eu à m’écrire, me disant « oui, vous savez, j’aime tellement votre grand-mère, je suis contente de voir aujourd’hui que sa petite-fille écrit également ». Enfin, même ma maman, mes tatas, elles étaient hyper contentes de me dire « oui, tu prends le relais en tant que petite-fille, c’est très bien ». C’est vraiment un lien direct, c’est la mère de ma mère. Une personne qui a pu poser tous ces mots-là (Une si longue lettre) face à une société aussi dure que la nôtre, en tout cas pour les femmes, selon moi c’est vraiment énorme. Donc aujourd’hui, elle me pousse à m’exprimer pleinement, de manière très humble, et de poser juste aujourd’hui mes idées, mes mots, sur une feuille, en me disant que par mes écrits, par mes mots, tout comme elle, je peux toucher, je peux être véritable, et surtout, je peux m’exprimer. Parce, selon moi, tant que j’écris, j’ai des choses à dire. Donc c’est un héritage, parfois silencieux, des fois vibrant. Ça fait des années que ma grand-mère est partie (1981), et pourtant, elle continue à vivre à travers les gens. C’est une lumière discrète et une inspiration. C’est une gratitude pour moi, aujourd’hui, de me dire, oui, cette dame-là fait partie de mon arbre généalogique direct, et c’est un honneur ».
Autoédition
A part écrire, l’auteure aime les animés, le handball et l’athlétisme, mais craint les animaux qu’elle apprécie seulement à travers l’écran. D’ailleurs, elle confie volontiers qu’elle piquerait un 100m à vive allure devant un chien.
Par ailleurs, passionnée de chanson, la jeune femme de 23 ans ne fuit jamais devant un micro même si elle avoue qu’elle n’a pas la voix de l’emploi. Cette spontanéité, cette détermination, est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle a décidé de s’éditer, sans l’aide d’une quelconque maison d’édition.
« J’ai décidé de m’éditer toute seule parce qu’honnêtement, je me suis dit au départ que j’y allais pas à pas dans le monde de la littérature, et on verra ce que ça va donner. Je ne m’attendais honnêtement pas à ce que cela fonctionne autant, de manière très honnête », assure celle qui a lancé son site internet afin de vulgariser son livre. « Je voulais me dire, « tu as le propre contrôle aujourd’hui de ta mise en page, de ton rythme, de ta division. Tu n’as pas une maison d’édition aujourd’hui qui t’imposera les règles de sa structure ». Chaque structure avec ses propres règles. Donc aujourd’hui, je voulais juste partager ces textes-là en me disant ça vient de moi, ça part de moi. Quel que soit aujourd’hui l’avis des personnes concernant Chère feuille, en m’auto-éditant, je reste fidèle à chaque mot et chaque action posée. C’est de ma responsabilité. L’entière responsabilité me revient aujourd’hui », soutient Maguette, qui revient également sur le choix d’un e-book plutôt qu’un format papier. « Le format électronique s’est imposé naturellement parce qu’on est dans un monde qui avance avec l’intelligence artificielle notamment. Beaucoup de personnes aujourd’hui utilisent leur téléphone pour essayer de se procurer Chère feuille et de bouquiner dans un taxi, dans le métro, en marchant… Aujourd’hui, pour moi, cela permet de faciliter la vie aux lecteurs et lectrices. Le monde avance et j’avance avec lui ». Pour autant, elle n’exclut absolument pas de recourir au format physique un jour, et d’alterner entre les deux.
Un livre, cela peut signifier un petit pas pour l’Homme. Mais pour Maguette Seck, c’en est un de géant posé dans le vaste monde de la littérature. Chère feuille, sa confidence au monde, son murmure au silence, l’écho de son âme, fait déjà parler. Et pour poursuivre sa quête, tout en se démarquant du sobriquet de « petite fille de Mariama Bâ », elle trace son propre sillon dans le jardin des mots. Ces derniers, sont pour elle autant de fils pour tisser des liens invisibles mais solides. Et dans sa confidence à sa feuille, elle lâche les bases d’une relation qui, elle l’espère, perdurera éternellement.
Oumar Boubacar NDONGO