Chez elle, on rappe. Chez elle, on affirme la dimension « reew » de son hip-hop. Mais, cette dimension « reew » n’en fait pas une qui dérape. Chez elle, on dérape pourtant. Mais, on ne dérape que lorsqu’on est sur le site sans limites de la création artistique.
Ce n’est pas qu’on le dit d’elle. Ce n’est pas que la chose a été décrétée pour elle et qu’elle n’a eu d’autre choix que de la supporter. Ce n’est pas parce qu’un hater, parce qu’une hater, lui a créé l’étiquette qui a fini par lui coller à la peau. Et si on dit « Magui dafa reew ba dof », il ne faut pas s’attendre à voir la rappeuse s’en offusquer. « Reew ba dof » est une étiquette qu’elle s’est elle-même collée. Elle n’a pas simplement crié qu’elle était impolie jusqu’à la folie. Elle l’a écrit. Elle n’a pas qu’écrit son impolitesse qui frise la folie. Elle l’a décrite dans des couplets. Elle ne s’est pas qu’auto-étiquetée impolie jusqu’à la folie dans un texte rappé par la suite. Elle a clippé l’étiquette. YouTube est le réceptacle du particulier éloge à l’impolitesse de Magui. L’hymne ne semble pas déplaire : on l’a visionnée un peu plus de vingt-cinq mille fois (entre-temps, ça a probablement évolué). Le chiffre est plus élevé quand on fait un tour sur Tiktok. L’hymne ne déplaît pas : on l’a copieusement mais positivement commentée ! Sans doute, parce que cette impolitesse qui tend vers la folie n’est pas le « reew ba dof » qu’on adresse à celui ou celle dont l’éducation laisse à désirer. C’est sans doute d’un « reewande » artistique que parle Miss Magui.
« Dans reew, je parle de la responsabilité de s’assumer, de prendre en main son destin et d’affronter ses peurs. Ce n’est pas de l’indiscipline ni de l’affront à nos valeurs, mais une forme de rébellion positive contre le regard des autres, une manière de rappeler que chacun peut dire ce qu’il pense et devenir un « reew » (rebelle) pour s’assumer et inspirer les autres ». And this is what reew means to her ! Magui, c’est un svelte corps qui s’ensevelit des fois dans de grands habits. Et des fois dans du noir. Noir comme sa peau, noires comme ces peurs qu’il faut vaincre par l’audace d’une impolitesse entendue dans le sens des mots de l’artiste cités plus haut. Pas de peur, plus d’affirmation : l’artiste ne manque pas d’applaudir dans un de ces murs numériques l’audace stylistique d’un certain Youssoupha qui, lors que le hip-hop sénégalais se chamaille sur les termes « rap » et « rambax », emprunte au traditionnel pour enrichir sa musique. Youssoupha et ce sample, c’est hier.
Influences made in Jolof-Usa
Magui et le tama qui rong-tong-tong dans sa musique, c’est avant le lyriciste bantou. C’est dans « reew », d’ailleurs, qu’elle fait ça. N’a-t-elle pas, plus haut, parlé d’audace, de rébellion, de s’assumer ?
« Reew », mais, encore faudrait-il avoir les moyens de sa politique d’impolitesse. Sur le plan de la langue, Magui en a au moins trois. Dans son éloge à l’impolitesse, la rappeuse va du Jolof aux États-Unis, du wolof à l’anglais. Le Sénégal et les États-Unis ne sont pas seulement les symboles de la richesse linguistique de l’artiste. Pour Magui, c’est une question d’influences, de noms qui lui ont ouvert la voie de la musique, du hip-hop. C’est une question de voix qui ont résonné dans son esprit et dans son cœur. « J’ai toujours été fascinée par des artistes américains comme Lauryn Hill, Rihana… », dit-elle pour parler de ses repères d’ailleurs. Et pour celles d’ici : « Dans le hip-hop sénégalais, des figures comme Matador m’ont inspirée pour leur engagement et leur façon d’utiliser la musique comme arme de sensibilisation ». Être « reew » chez Magui, c’est fun, c’est du relâchement, c’est la revendication individuelle et c’est le fait de s’assumer. Ce n’est cependant pas pour autant qu’il faut penser que la dame aux longues tresses a seulement le fun, le relâchement et elle-même dans son univers musical. Lauryn Hill et Matador ne sont pas là pour rien. La preuve : « chaque artiste qui m’a marquée avait cette authenticité et cette capacité à transformer » ses réalités « en œuvres artistiques ». L’autre preuve est que la théoricienne du « reewande » artistique se présente comme « une activiste culturelle, utilisant la musique comme un outil pour éveiller les consciences et encourager le changement, en particulier sur des sujets qui touchent les femmes et les jeunes ».
L’idée de « reewande » et la dimension de « rébellion » que l’admiratrice de Lauryn Hill lui donne sont probablement à entendre dans une perspective d’une liberté créative articulée à une nécessité de trouver une utilité sociale à l’art. Si pour elle la musique « a toujours été une passion », elle n’en demeure pas moins, toujours dans son entendement, « un moyen d’expression puissant, capable de traverser les barrières sociales et culturelles ». Et quoi de plus disposé que le hip-hop pour recueillir cette idée de « reewande » ainsi que la dimension « rébellion » dont la remplit la hip-hopeuse ? Si le rap ! « Le hip-hop m’a particulièrement attirée parce qu’il offre une plateforme brute et authentique pour raconter des vérités. Ce genre est un espace où l’on peut dénoncer des injustices tout en célébrant nos réalités. Il a cette capacité de combiner des messages forts avec une créativité sans limites ».
Taasu ndayu rap
Sans limites ? Yeah, le hip-hop, selon ce qu’en explique Magui, c’est le site où la créativité se déploie sans limites. Le premier couplet de l’hymne à la rébellion comprend par exemple ceci : « Nobody stops me, I am the queen ». « Amul arrêt, daw reg » : « une créativité sans limites », réitère celle qui emprunte à Fass son slogan de Tigre. « Je cogne et je gagne », l’entendra-t-on déclamer. Où est la section « j’attaque » qui vient avant le fait de cogner ? Nul besoin, puisque réclamer haut et fort une philosophie de « reewande » est déjà l’annonce d’une intention de cogner.
Aussi a-t-il fallu fort cogner pour trouver sa place d’artiste reconnu pour son art et non stigmatisé pour son genre dans un monde de hip-hop dominé par l’autre sexe. « Nobody stops me », entend-on la queen réclamer, et telle est l’autre façon de dire : « Avec de la persévérance et une identité artistique forte, j’ai pu m’imposer ». S’imposer donc, parce que « c’était un vrai défi au début ». Un vrai défi au début, en ce sens qu’« il fallait toujours prouver que j’étais légitime donc faire deux fois plus qu’un homme ». Attaquer, cogner, gagner suppose mener des combats. Ça suppose avoir des centres d’intérêt. Magui la rappeuse a les siens. Ils tournent autour de la justice sociale, des droits des femmes et de l’éducation. Magui, c’est fondamentalement de l’éducation, des espaces d’expression des jeunes, surtout des filles.
L’éducation, concernant les autres. Mais, l’éducation, la concernant. Comment fait-on, en effet, lorsqu’on a d’une part les études qui demandent une certaine présence d’esprit et d’autre part la passion musicale qui a ses exigences ? Qui sait pour les autres ! Mais, lorsqu’on s’appelle Magui, on jongle. De la même manière qu’on jongle entre le wolof, l’anglais et le français dans les textes, on jongle entre les studios et les classes. « Ce n’est jamais simple, mais j’ai appris à organiser mes priorités et à ne pas abandonner mes rêves. L’éducation est une base solide, mais l’art, pour moi, est une vocation. Trouver un équilibre entre les deux demande beaucoup de discipline ». « Reewande » et « discipline », ça se marie ? Lorsqu’on s’appelle Magui, on abrite sous son toit chien et chat…
Le « reewande » de Magui, encore, c’est une attitude. C’est un état d’esprit qui dit : le ciel de la création est encore vierge, il faut oser sa liberté, assumer sa position afin de le remplir du soleil de la création, de la lune des expérimentations, des étoiles de la fusion des genres. Magui, corps svelte avait-on dit, qui se laisse ensevelir des fois dans du noir. Et, qu’on ne s’étonne pas, de la voir dans la vidéo Yewulen, dans une ample robe jaune, calebasse à la main, au milieu de batteurs de tam-tams, à côté d’une certaine Mamy Victory. C’est elle et elle fait du hip-hop. Seulement, elle a le principe de « reew » comme pinceau et celui de « rébellion » comme palette de couleurs. Elle n’épargnera pas son ciel. Voyons le clip Yewulen comme une portion de ce ciel : elle y attaque avec des airs de jazz, y cogne avec une touche hip-hop et y gagne le pari de la fusion des genres avec une apothéose de « taasu ». « Taasu ndayu rap », El Presidente avait depuis très longtemps perçu ce coin de ciel…
Moussa SECK