Ils rêvent. Et leurs rêves les consument. Les consument d’espérance, de naïveté, de confiance. Ils brûlent leurs nuits, leurs espoirs et leurs familles. Chaque année, des milliers de jeunes Sénégalais, tout justes bacheliers, tournent leur regard vers la France ou d’autres pays. Là-bas, pensent-ils, se trouve la réussite, la promesse d’une vie meilleure. Ici, croient-ils, il ne reste que l’attente.
Et dans cette attente s’enracinent les mirages, les pièges et les faux espoirs. C’est dans ce décor de désirs contrariés que Mahfousse Samb plante le cadre de son film « Le Prix du rêve » projeté mercredi 5 novembre à l’Institut français de Dakar. Un long métrage en langue locale (Wolof) et sous-titré en français, pour trois mois de tournage. Trois amis, trois chemins, trois destins : Awa, Malick et Djibril. Trois âmes liées par l’amitié et séparées par le choix. Car la vie, en réalité, se résume souvent à cela : un choix.
Et chaque choix a un prix. Awa choisit la rigueur. La méthode. Le courage. Fille d’une famille modeste, elle rêve de génie civil et de ponts solides, d’avenir bâti pierre après pierre. Elle suit la procédure, pas à pas, sans raccourci ni illusion. Campus France, entretien, et puis…eup…visa ! Son sérieux la mène loin. Vers Lille. Vers une université française. Malick, quant à lui, choisit la patience. La terre. Le pays. Le Sénégal. Étudier le droit à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), croire à la réussite locale. La fausse agence de voyage Pour Mahfousse, Malick ne fuit pas. Il construit. Ayant pris son père comme idole, il incarne cette jeunesse lucide qui croit que la grandeur ne vient pas toujours d’ailleurs.
« Nos universités sont des greniers. Elles forment de grands esprits et il y a beaucoup de gens qui y réussissent », c’est le conseil du père au fils, et pour son bien. Djibril, lui, choisit… de ne pas choisir. Il veut partir, comme tout le monde. Mais il rêve de France sans projet, d’avenir sans boussole. Et ce rêve, si beau, si fragile, est malheureusement devenu un piège. Une toile d’arnaque. Une agence frauduleuse appelée dans le film « Joni-Joni Travel » lui promet un visa, un faux espoir, un billet vers nulle part. Il paie. Sa mère vend ses bijoux, ceux d’une vie, d’une valeur de six-millions de FCfa. Elle vend son or pour son fils. Son fils pour son avenir. Son avenir pour un mensonge. Mensonge cruel. Visa refusé. Arnaque consommée. Et la mère, brisée, s’éteint. Elle a rendu l’âme. Dans un silence plus fort que tous les cris. Dans cette scène, sa tombe, Mahfousse Samb filme la douleur nue. Pas de musique. Pas de fard. Juste un fils, Djibril, un ami, des larmes, et la terre qui se referme sur le rêve. « C’est ça la vie », console Malick, triste.
Il a raison. Pourtant. La vie est un éternel paradoxe. « Je vis, je meurs, je me brûle et me noie. J’ai chaud extrême en endurant froidure… Puis quand je crois ma joie être certaine et être au haut de mon désiré heur, il me remet en mon premier malheur », Louise Labé. Ce Paradoxe, Djibril le connaîtra. Pour toujours. Mais comme tout le monde quoi. À la suite de la mort de sa mère qui ne vivait que pour voir son fils réussir. Le film se referme sur un contraste. Awa part. Malick reste. Djibril pleure. Trois destins, un seul message : il n’y a pas de réussite sans lucidité. Il n’y a pas de rêve sans méthode.
Et surtout, il n’y a pas de raccourci pour l’avenir. Mahfousse Samb, dans un ton sincère, ne juge pas. Il observe. Il raconte. Il tend un miroir à une génération perdue entre promesses et procédures, entre voyager et réussir. « Quand tu racontes un vécu, tu transmets ce qui est dans ton cœur », confie-t-il. Et dans son cœur, il y a l’inquiétude. Celle de voir des jeunes se faire dévorer par des arnaques. Celle de voir des parents se ruiner, se sacrifier pour un départ illusoire. Celle de voir l’argent, la douleur et la mort se mêler dans un même cauchemar. Mais il est important de souligner que « Le Prix du rêve » ne projette pas seulement une tragédie. Un film sur le choix C’est aussi une ode. Une ode à la jeunesse qui pense, qui agit, qui choisit.
À ces filles comme Awa, étudiantes méthodiques, symbole d’une génération qui s’impose : « Aujourd’hui, les filles sont très studieuses. On ne peut pas faire un film sans elles ». Par elle, le film gagne sa lumière. Par elle, la France devient possible, non pas comme fuite, mais comme horizon. Sur le plan technique, la mise en scène épouse cette dualité. Des plans contrastés, oscillant entre jour et nuit, entre espoir et désillusion. La caméra, à travers de gros plans, caresse les visages, suit les regards, capte la fatigue et la foi. La variation des tons, humour, gravité, tendresse, reflète la vie même. Un rire, une larme, une attente.
Et toujours cette fraternité. Cette chaleur sénégalaise qui traverse l’écran, malgré la douleur. Mahfousse Samb, connu pour son sens de la comédie, insuffle à son drame une respiration. Des moments d’humour qui désamorcent, qui humanisent. Loin du moralisme, le film vit. Il respire. Il fait rire pour mieux faire réfléchir. Il émeut pour mieux éveiller. Et l’émotion, elle, ne quitte jamais le spectateur tout au long du film. Elle s’invite, discrète, dans la chambre de Awa avant son départ. Dans le bureau vide de Djibril après son refus. Dans le sourire calme de Malick sur le campus de l’Ucad déjà en licence 2, mais finalement se renseigne pour une probable licence 3 en France. Elle s’invite aussi dans le regard d’une mère qui vend ses bijoux. Bijoux, espoir, douleur. Douleur, perte, silence. Silence, tombe.
Et voilà ce qui fait « Le Prix du rêve » plus qu’un film sur le voyage. C’est un film aussi sur le choix. Un film sur la dignité. Un film sur la jeunesse qui se cherche entre illusion et détermination. Une œuvre humaine, portée par la justesse de son propos et la sincérité de son réalisateur. Et si la France reste un horizon, le message véhiculé par Mahfousse est en éclat. Il montre que la voie, la meilleure voie, c’est celle de la préparation. Campus France, projet solide, patience. Le chemin sûr. Le seul. Le vrai. Parce qu’un rêve, sans cadre, peut-être un mirage. Et un mirage, au prix de la vie, peut aussi devenir une…tra-gé-die.
« Quand j’ai réalisé le film, je ne sentais presque rien au fond de moi. Mais les commentaires après m’ont fait couler des larmes», confie Mahfousse. « Le Prix du rêve » est un film nécessaire dans un contexte où les réseaux sociaux bousculent les codes et tout y est possible. « Le Prix du rêve » est un miroir tendu à une génération qui rêve trop vite, qui croit trop fort, et qui apprend, parfois dans les larmes, que le vrai départ commence ici. Au Sénégal. Là où tout choix prend racine. Là où tout rêve, pour être grand, doit d’abord être lucide.
Adama NDIAYE

