L’art n’a pas de prix, encore moins de genre. C’est l’ultime conviction de Mamadou Ndiaye, maquilleur, portraitiste, décorateur et tatoueur. Un milieu pluridisciplinaire dans lequel il se retrouve pleinement. En dépit des préjugés, l’artiste trace son destin à coup de crayon.
« Chasser le naturel, il revient au galop ». Ces quelques mots suffissent largement pour dresser le portrait de Mamadou Ndiaye. Le jeune homme a toujours été passionné de dessin. Aussi loin que remontent ses souvenirs d’adolescent, le bonhomme a eu un rapport très fort avec cet art. « C’était inné chez moi », se souvient-il. Le jeune Mama comme l’appellent ses amis s’amusent à dessiner sur les tables bancs et à donner une nouvelle allure aux murs de la maison familiale. Cela lui valait quelques brimades. « Il m’arrivait de tomber sur des visages parfaitement maquillés. J’ai essayé de lui en dissuader, mais en vain », narre Aminata Fall, mère du jeune prodige. Avec le temps, la passion du jeune homme est restée aussi vive. D’ailleurs, sa mère n’a pas tardé à voir le talent d’artiste qui sommeillait chez son benjamin. « Il a toujours été pétri de talent. Je me souviens d’un dessin de Karaba la sorcière qui lui a valu un prix », affirme-t-elle, sourire aux lèvres.
Mama ne dessine pas que des modèles. L’adolescent de 15 ans se découvre également une passion pour le tatouage au henné. En 2010, il s’y aventure pour aider sa mère. En effet, suite au décès de son père, le jeune tient à prendre son destin en main à travers le dessin, sa passion. Le regard hagard, c’est avec beaucoup d’émotions que le maquilleur revient sur cette étape. « Je gagnais ma vie avec cela, mais mes proches m’ont interdit d’en faire une vocation. Ils craignaient pour mon avenir professionnel », confie-t-il loin dans ses souvenirs. Le jeune dessinateur finit par abdiquer, mais reprend les activités après l’obtention de son baccalauréat. « Les affaires marchaient très bien, car le tatouage au henné était en vogue », reconnait le résident de Grand-Yoff. Une activité qu’il combine avec la vente de produits.
L’art, l’amour de toujours
Mamadou Ndiaye se lance ainsi dans la vente de produits de maquillage. Chaque vacance, il achète des produits qu’il revend afin de pouvoir s’acheter des habits et fournitures pour la rentrée. « C’est un bosseur. C’est le dernier-né, mais il est très vaillant. Il se prenait en charge comme un grand et était très débrouillard », se remémore sa mère Aminata Fall. Grâce à son commerce, Mamadou Ndiaye se fait rapidement un nom en 2016 et commence même à tester ses produits de maquillage sur les clientes. « Le make-up était très prisé par les jeunes filles. Afin de mieux faire vendre les produits comme le concealer ou encore l’anticerne, nouveaux pour les clientes, il m’arrivait de leur proposer de tester sur elles », a fait savoir le dessinateur. Avec ses notions en dessin, le jeune homme expérimente facilement les produits sur ses potentielles acheteuses. Une profession dans laquelle il se retrouve pleinement. Hélas, les réalités du monde universitaire vont le rattraper en chemin.
Mamadou Ndiaye entre à l’université, plus précisément à la faculté de lettres au département de géographie. Après trois ans passés sur les bancs des amphis, l’étudiant commence à s’ennuyer. « Je sentais que je n’étais pas à ma place », dit-il sans détours. C’est ainsi qu’il convainc sa mère de le laisser suivre sa véritable vocation : le dessin. « Je me suis faite une raison avec le temps, car ce n’est pas forcément des études universitaires qui garantissent un bon travail », a réalisé Aminata Fall. Avec la bénédiction de sa mère, le jeune dessinateur tente le concours de l’école des beaux-arts et réussit. « J’y faisais l’art plastique comme spécialisation, plus précisément le dessin. J’avais enfin trouvé ma voie et aimais ce que je faisais à l’école », dit-il, un sourire béat. Après trois ans à l’école des beaux-arts, à cause du travail, le jeune homme n’a pu achever sa formation. Il finit par se lancer dans un autre art : le maquillage. De motifs sur une feuille et un crayon, Mamadou Ndiaye passe rapidement aux visages.
De l’abstrait au réel
La journée du samedi n’est jamais de tout repos pour Mamadou Ndiaye. Entre les mariages et baptêmes, le trentenaire peine à trouver du temps pour souffler. Le programme commence fort avec une prestation à Ngor. Le maquilleur doit s’occuper de la mise en beauté d’une comorienne pour son mariage. Après ce premier rendez-vous de la journée, le sieur rendre chez lui à Grand-Yoff où l’attend sa première cliente.
C’est dans la maison familiale que le maquilleur reçoit ses clientes. Après avoir salué ses proches, le visage perlé de sueurs, il échange quelques amabilités avec sa cliente du jour. Sans perdre de temps, il ouvre sa chambre et laisse découvrir un endroit digne d’un studio de maquillage. Des tonnes de maquillage sont soigneusement rangées dans des étagères. Palettes de fards, poudres, rouges à lèvres, mascara…Bref, on y trouve toute la panoplie du maquilleur professionnel.
« J’ai commencé en étant autodidacte. J’ai pu compter sur les tutoriels pour voir comment utiliser ces produits », a fait savoir le maquilleur. Grâce à ses notions en dessin, le sieur a pu se fondre facilement dans ce nouvel univers qu’il pratique en cachette. Il finit par acheter son propre matériel de maquillage en 2017 et commence à taxer les prestations, soit 3.000FCfa. Avec le temps et l’évolution des nouvelles technologies, Mamadou Ndiaye a pu se faire un nom et enchaine prestation sur prestation.
Les réseaux sociaux démaquillent son savoir-faire
Mam’art a commencé à poster ses réalisations sur Whatsapp en 2017. Au début, l’homme trapu laisse planer le mystère sur l’auteur de ces maquillages. « J’avais encore du mal à assumer cet art. Je répondais en privé aux intéressées et le bouche-à-oreille a fait le reste », a expliqué l’artiste. C’est en 2019 qu’il commence à assumer ses œuvres. Il se fait d’autres clients et enrichit son carnet d’adresse. Que cela soit sur Instagram (29.000 abonnés) ou encore Tiktok (68.000 abonnés), le talent de Mamadou Ndiaye a fini de convaincre les plus sceptiques. « Les réseaux sociaux ont lancé ma carrière d’artiste et ont beaucoup contribué à ma notoriété.70% de mes clientes viennent de Tiktok. Je laisse mes coordonnées sur chaque vidéo postée sur la plateforme et le tour est joué », dit-il guilleret.
C’est en 2021 que le propriétaire de la marque Mam’art collections commence à se perfectionner et à se référer aux maquilleuses professionnelles. « Elles m’aidaient à corriger certaines maladresses », reconnait l’artiste. Le maquilleur autodidacte décide de se payer une formation en maquillage beauté pour se perfectionner dans ce domaine. « J’ai commencé à voir la différence dans le rendu », affirme-t-il. Ce dernier enchaine avec une formation en maquillage cinéma au côté de Khady Niang Diakhaté. La maquilleuse professionnelle va changer la vie de son étudiant.
« Mamadou a un sens artistique assez inouï et il est très passionné par ce qu’il fait. Il cherche perpétuellement à évoluer et à appendre », a soutenu la directrice d’une école de maquillage. Khady Niang Diakhaté va ainsi donner un coup de main à ce jeune « humble » et « rigoureux ». « C’est elle qui m’a lancé dans le milieu du cinéma. Par la suite, je n’ai pas regretté ce choix, car j’ai pu avoir plusieurs contrats juste après ma formation en 2022 », dit-il reconnaissant.
Le maquillage permet au jeune homme de voyager dans des pays comme le Rwanda, le Zimbabwe et l’Ethiopie pour les besoins d’un film. Une profession dans laquelle il s’y retrouve pleinement tout en la combinant avec ses autres talents. En effet, l’artiste réalise des tableaux d’art, des portraits et fait également du tatouage henné et de la décoration pour des mariages et baptêmes. Des prestations qui permettent à Mamadou Ndiaye de vivre pleinement de son art. « J’arrive à subvenir à mes besoins et ceux de ma famille grâce à mes services qui varient entre 10.000FCfa et 50.000FCfa », reconnait-il.
Un art « rentable » en dépit des préjugés et autres stéréotypes. « C’est difficile pour la société d’accepter qu’un homme puisse faire des métiers habituellement réserves aux femmes. Mais je garde en tête mes objectifs bien précis, à savoir l’ambition d’ouvrir mon école de formation en maquillage et des boutiques de produits de maquillage », dit-il déterminé.
Arame NDIAYE