Dans l’univers des chorales liturgiques, les figures féminines à la direction se comptent sur les doigts d’une main. Pourtant, lors du pèlerinage sénégalais aux lieux saints de la chrétienté, une femme a su marquer les esprits. Marie Agnès Thiao, unique maîtresse de chœur de la chorale de l’Espérance
Au sommet du Mont Thabor, en Galilée (Israël), haut de 2,8 km, se dresse la basilique de la Transfiguration. Le 31 août dernier, les pèlerins sénégalais y ont célébré la messe après que des véhicules les y ont convoyés. L’église pleine comme un œuf attendait l’arrivée du célébrant. Devant l’assemblée des choristes, une femme se dresse, simple, mais rayonnante dans une robe en wax bleu. Elle esquisse un geste de la main, et aussitôt, les voix s’élèvent, puissantes, claires, portées par une ferveur commune. Ce jour-là, au pèlerinage sénégalais aux lieux saints de la chrétienté, c’est elle qui conduit la prière en musique. Marie Agnès Thiao, unique femme maîtresse de chœur de la chorale de l’Espérance. Tout commence bien loin des grandes assemblées. « J’ai commencé à chanter dès ma première année d’école avec le mouvement Cœur vaillant, Âme vaillante, ainsi que le guidisme », se rappelle-t-elle. Dans les cours de récréation et les salles modestes de son enfance, les chants étaient simples, joyeux, mais déjà porteurs de cette conviction, la musique pouvait rassembler et donner sens. Puis viennent les années 80-90, où elle rejoint une chorale et prête sa voix de soprano. Elle chante alors aux côtés de Frédéric Bangoura, de feu Michel Sène, mais surtout sous la houlette de l’abbé Thierry Albert Sène.
« Il m’a beaucoup aidée en venant de Thiès jusqu’à Bambey pour monter des chants, accompagné de trois autres maîtres de chœur. », raconte-t-elle avec émotion.
Le chant comme prière
Ces trajets, ces répétitions patientes, ces conseils donnés avec générosité, tout cela a façonné la musicienne et la croyante qu’elle est devenue. Si beaucoup rêvent de diriger un chœur, pour elle, la décision n’avait rien d’une ambition personnelle. « Ce n’était pas une envie, mais plutôt un besoin pour ma paroisse », dit-elle simplement. Chaque fin d’année scolaire, la chorale Sainte-Croix de Bambey se retrouvait en difficulté, sans encadrement solide. Forte de sa formation liturgique et de son expérience dans les mouvements d’Église, elle accepte alors de prendre le relais, d’abord comme adjointe. En 2021, à la suite du départ de Jean M. Trésol, elle devient officiellement maîtresse de chœur principale. Depuis, elle guide la chorale avec rigueur et douceur, consciente de la responsabilité qui pèse sur ses épaules, mais aussi de la grâce qui l’accompagne. Un soir de répétition, après la réunion d’évaluation quotidienne, les voix s’échauffent sous la conduite de Augustin Nango, responsable de la chorale de l’Espérance, lui aussi maitre de chœur. Elle lève la main, corrige une entrée, reprend un passage. Pendant les célébrations eucharistiques, sa voix claire fuse entre les rangs. « Plus doucement… ensemble… reprenez » Les choristes, attentifs, s’alignent, et peu à peu, la polyphonie prend forme.
Pour elle, ces instants sont vitaux. « Chanter, c’est une action. C’est se sentir vivant », confie-t-elle. Elle ajoute : « Le chant me permet de créer un lien, de renforcer le sentiment communautaire, d’aider les pèlerins à mieux participer à l’Eucharistie et à mieux prier ». À travers ses gestes précis, ses sourires encourageants, ses yeux parfois fermés dans la ferveur, Marie Agnès fait de chaque note une offrande. Au pèlerinage, parmi les maîtres de chœur, sa silhouette féminine dénote. Certains s’étonnent, d’autres admirent. Haut comme trois pommes, une noirceur d’ébène, elle refuse de voir dans cette particularité une différence majeure. « C’est rare et impressionnant pour beaucoup, mais je me dis que je suis comme toute personne devant une assemblée, avec le devoir d’aider les fidèles à prier », répond-elle.
Ce regard humble ne gomme pas les défis. Ils sont nombreux, fatigue, manque de moyens, attentes de la communauté. Mais elle s’appuie sur une force invisible. « Ma seule arme, c’est l’Esprit saint. Il suffit de l’invoquer », confie-t-elle.
Une pionnière au service des autres
Lors des grandes célébrations, quand la chorale entonne et que les voix des fidèles s’unissent, son visage s’illumine. « C’est avec le chant que je ressens le plus la présence de Dieu », affirme-t-elle avec une intensité rare. Marie Agnès décrit cette joie profonde qui la traverse au moment où « l’assemblée est en relation directe avec Dieu, qu’elle proclame, loue et rend grâce ». Dans ces instants suspendus, elle n’est plus seulement une maîtresse de chœur, mais un canal, une passeuse de grâce. À celles et ceux qui aimeraient suivre ses pas, elle délivre un message réaliste, mais porteur d’espérance. « Ne pas avoir peur ni se décourager, car cela demande beaucoup d’efforts », a-t-elle avoué.
Car derrière la beauté des chants et la ferveur des messes, il y a aussi des heures de répétitions, des sacrifices personnels, une persévérance constante. Dans les ruelles de Bambey comme dans les grands sanctuaires de la chrétienté, Marie Agnès trace son chemin. Pionnière discrète, elle prouve qu’une femme peut diriger, élever des voix, et surtout unir des âmes. À travers son parcours, elle rappelle une vérité simple, mais essentielle : la musique sacrée n’est pas un ornement, elle est une prière vivante. Et dans chaque refrain, dans chaque harmonie, résonne sa conviction profonde : chanter, c’est prier deux fois. Son parcours est celui d’une femme persévérante, portée par la foi et par la conviction que la musique sacrée est un chemin privilégié pour rencontrer Dieu.
Par Jeanne SAGNA