La photographe et ancienne ministre française du Travail expose « L’Ombre de tes rêves » à Dakar et Saint-Louis. Muriel Pénicaud y présente le regard de son cœur et de sa philosophie, tout en invitant le public à tirer sa propre conclusion à partir de son imaginaire et de sa relation avec le monde.
Photographier est plutôt facile, il suffit d’avoir des yeux. Mais le difficile, c’est de savoir prendre une photo. C’est ce à quoi s’attelle la photographe autodidacte, Muriel Pénicaud, et l’a réussi avec les clichés qui composent son exposition « L’Ombre de tes rêves ». L’expo est visible jusqu’au 22 juin au Musée de la Photographie de Saint-Louis (MuPho, Les Comptoirs du Fleuve), et jusqu’au 30 novembre, à Dakar, au MuPho La Galerie (Fann Corniche Ouest, Résidence Yara).
Sur les cimaises du MuPho de Dakar, au travers du vernissage reçu le mercredi 14 mai, Muriel Pénicaud offre un réseau d’images en noir et blanc, symbole des valeurs qu’elle a en partage avec la nature et les humains à l’ombre de leurs conditions. Ces caractéristiques sont notamment visibles dans la photo intitulée « Qui es-tu, toi qui regardes ? ». Ce cliché lui a par ailleurs valu d’être, en 2024, la lauréate du prix international Julia Margareth Cameron dans la catégorie non professionnelle.
Comme le suggère le titre, la photo interpelle le spectateur, chargé lui-même de trouver à l’œuvre sens et vie, significations et formules. La photographie peut indiquer, par la posture de l’oiseau et sa majesté malgré le dos tourné, une sagesse sublimée par la simplicité du geste. Une humilité acquise au travers d’expériences, une puissance nourrie des épreuves, un repos rêvé. Muriel Pénicaud ne suggère pas qu’au spectateur de décoder, mais aussi de subir une transmission qu’il construit au gré de sa propre imagination. Le possessif dans le titre « L’Ombre de tes rêves » a tout son sens.
Réflexion
Muriel Pénicaud répond au principe qui veut que le photographe soit un agent de l’immortalité. En un millième de seconde, il faut retenir, figer et immortaliser un instant ou un évènement, le prendre en photo. La photo s’inscrit ensuite dans la continuité de cette seule action d’une tierce, devient immortelle et éternelle, mais surtout universelle. Mais que cherche à immortaliser Muriel dans les photos qu’elle prend ?
« Personnellement, je cherche ce lien ténu, cet instant fugace et sa dimension éternelle. Pour moi, il s’agit d’une quête de sens. La photo déclenche une illumination. C’est cette dimension que je nous invite à rejoindre. Il y a cette quête de sens dans tout mon chemin photographique, qui se trouve aussi dans la poésie qui est existentielle chez moi (les photos sont accompagnées dans l’expo de poèmes de Birago Diop, Rennie Yotova et Patrick Mathelié-Guinlet)», explique la photographe autodidacte et à ses heures perdues durant ses nombreux voyages comme femme politique, cheffe d’entreprise, militante, conférencière et mécène. Pour elle, il y a là toute une réflexion sur le sujet, si on considère en plus la fragilité de la photo (la matière). Il y a de la magie. Elle s’inspire notamment des mots de Henri Cartier-Bresson, qui considère que « Photographier, c’est aligner la tête, l’œil et le cœur ».
La bienveillance est cet autre noble caractère qu’on trouve dans les clichés de Muriel Pénicaud. Muriel Pénicaud prend en photo des situations souvent intimes, mais sans jamais violer la frontière du voyeurisme. Elle évite la photo intrusive, prédatrice. « Je fais de la photo, respectueuse, mais pas de la cueillette », confie-t-elle. Comme pour la photo de la fillette avec un regard singulièrement profond et vivement interpellateur, presqu’entre deux âges. La photographe avait joué avec elle, passé du temps en sa compagnie durant plus de trois heures avant de lui demander la permission de la prendre en photo. C’est en ce moment que l’enfant fait la pose, change d’expression, comme pour rendre compte de plusieurs vies qu’elle a vécues en si peu d’années d’existence. Comme pour susciter des questions et des angoisses salvatrices aux spectateurs.
« Je conçois que l’humain est responsable de deux à trois sens dans sa vie, dont son regard. Et ce regard, en photographie, est très sensible. Selon le cadrage qu’on fait et la manière de prendre la photo, on peut alimenter le lien humain. Ça peut de l’élévation, de la haine, ou de l’amour », théorise Muriel Pénicaud. La responsabilité du photographe, de son avis, est dans ce regard qu’il partage, nourri par celui des autres.
Expression
Elle pense que les gens qui regardent et comprennent ses photos en savent plus sur elle que ceux qui croient la connaitre. Les photos de Muriel parlent pour elle, pour son cœur et son esprit. On trouve notamment dans les photographies de Muriel Pénicaud l’enfance, la vieillesse, la nature et la faune, et la perspective. L’ancienne ministre française du Travail, fidèle à sa ligne « artistique », a publié en co-autrice une bande dessinée qui parle de l’avenir du monde du travail, en mettant en scène une fillette, sa grand-mère et des personnalités concernées. La BD s’intitule « Travailler demain ». Son histoire projette la situation en interrogeant des personnalités des affaires, du syndicalisme, du monde scientifique et de l’entreprenariat.
Son idée a été de poser un langage que tout le monde comprend, mené par un enfant, appelé dans le monde du travail de demain et à le définir. Le livre est axé sur 4 préoccupations majeures. D’abord l’intelligence artificielle, avec l’angoisse pour l’humain d’être exclu de plusieurs secteurs et activités professionnelles, avec son cerveau ravi par l’ordinateur. Ensuite la transition écologique (encore la sauvegarde de l’environnement et de la nature). Enfin, le vieillissement et la quête de sens au travail. « J’ai écrit des essais sur le travail. Mais à un moment, je me suis demandée qui, le vendredi soir, va prendre un livre de trois cents pages pour le lire et y réfléchir au thème. J’ai donc eu l’idée de la bande dessinée pour parler à tout le monde, et surtout à ceux que l’avenir concerne réellement », explique-t-elle.
Muriel Pénicaud a été Ministre du Travail de la France de 2017 à 2020. Sa passion pour la photographie se révèle à l’âge de onze ans, où elle commence découvrir l’art du cadrage et de la composition. A 23 ans, une expérience marquante avec la censure lui fait mesurer la puissance des images et leur impact. Elle n’a depuis ce temps cessé de concilier ses engagements sociétaux et professionnels avec sa pratique photographique.
Après Paris, Pondichéry (Inde), Dakar et Saint-Louis, ses photographies vont être exposées prochainement à Barcelone (Espagne), Athènes (Grèce) et Hyderbad (Inde). Muriel Pénicaud est aussi fondatrice et présidente de la Fondation Sakura, dédiée au soutien des artistes émergents engagés sur les enjeux sociétaux.
Par Mamadou Oumar KAMARA