Entre masques, statues et bijoux, le musée Théodore Monod d’art africain de Dakar raconte l’histoire plurielle d’un continent aux traditions passées, mais encore vivantes à l’aune du modernisme et de la technologie.
Un bel écrin. En cette matinée du jeudi 21 août, les lourdes portes du musée Théodore Monod s’entrouvrent. Elles laissent filtrer un souffle de fraîcheur. Au-dehors, le quartier Plateau de Dakar, comme d’habitude, s’anime déjà d’un ballet incessant de véhicules. Sous la chaleur montante du mois d’août, la circulation est dense, les voitures avancent à peine à cause des longues files d’embouteillages.
À l’intérieur du musée Théodore Monod d’art africain Ifan Cheikh Anta Diop (Ucad), sis à la Place Soweto au Plateau, le silence impose le respect. Dans l’ombre accueillante des salles, les premières vitrines apparaissent comme autant de fenêtres sur une Afrique plurielle, foisonnante d’expressions artistiques.
Œuvre architecturale remplie d’objets d’art, le musée Théodore Monod d’art est fondé en 1938 sous le nom de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). C’est en 2007 qu’il portera le nom du savant et naturaliste français Théodore Monod (décédé le 22 novembre 2000) pour toutes actions accomplies pour l’art africain.
Le musée demeure aujourd’hui l’un des plus grands dépositaires de l’art africain contemporain. Ses couloirs recèlent près de 9000 pièces allant des objets du quotidien aux créations les plus raffinées. « Ici, chaque pièce raconte une histoire, chaque masque porte une mémoire », confie Mouhamadou Moustapha Dièye, responsable de collection, qui nous fait visiter pas à pas. Sa voix grave résonne doucement sous la hauteur des plafonds.
Héritages vivants
Au fil des salles, l’œil s’accroche aux bois patinés des statues dogons, aux bronzes béninois aux détails minutieux ou encore aux textiles tissés par des mains patientes du Mali.
Devant une vitrine de bijoux peuls, M. Dièye s’arrête : « L’art africain n’est pas un art figé. Il est utilitaire, spirituel et social. Aujourd’hui, le fait de porter un bijou, de sculpter un masque, c’est aussi dialoguer avec les ancêtres, chercher protection et affirmer son rang », explique-t-il.
Le musée, aussi grand soit-il avec ses expositions permanentes riches en histoires, peine davantage à accueillir un nombre conséquent de visiteurs. Il n’y a pas foule, les visites se comptent au bout des doigts, s’exclame-t-il.
« Cette situation est en grande partie due à un manque criant de communication autour de ces objets d’art. Nous espérons qu’avec la digitalisation des services publics par les nouvelles autorités, cela profitera au musée », confie Mouhamadou Moustapha Dièye avec une pointe d’espoir.
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En attendant l’effectivité de la digitalisation, le musée accueille quelques personnes venues visiter les expositions. Parmi eux, Antoine Germain, étudiant français en art visuel. Il découvre pour la première fois la richesse de ces collections.
« On apprend l’histoire de l’art à travers des manuels où l’Afrique est souvent réduite à quelques pages. Ici, c’est une claque visuelle et culturelle. Chaque objet est une œuvre, mais aussi un fragment de vie », laisse-t-il entendre, encore ébloui par un imposant masque baoulé aux traits sobres mais habités.
Plus loin, devant des fresques sénégalaises contemporaines, une jeune femme prend des notes rapides dans un carnet. Fatimata Diallo, étudiante à l’École des beaux-arts de Dakar, observe attentivement la manière dont les traditions dialoguent avec la modernité.
« Ce musée nous rappelle que l’art africain ne s’arrête pas aux objets anciens. Il inspire encore nos créations. Quand je peins, je pense souvent à ces couleurs, à ces formes, à cette mémoire commune », estime-t-elle. Son regard se fixe sur un masque bassari originaire de la région de Kédougou dans le sud-est du Sénégal.
Regards croisés
« C’est une passerelle entre hier et aujourd’hui », murmure F. Diallo. Pour Mouhamadou Moustapha Dièye, la mission du musée dépasse l’exposition des collections d’arts. « Nous devons éduquer, transmettre et surtout créer un dialogue avec les générations futures. Beaucoup de jeunes ignorent encore la richesse de leur propre patrimoine. Le musée est là pour combler ce vide », avance Dièye.
Chaque salle est pensée comme une étape dans un récit. Chaque pas mené devient une rencontre avec l’histoire de tout un continent. Ainsi, des vitrines pédagogiques expliquent les contextes, les usages, les symboliques. Mais le guide insiste : « Le musée n’est pas un cimetière d’objets. C’est un lieu vivant », clame-t-il avec joie.
Les expositions temporaires accueillent régulièrement des artistes contemporains, créant une résonance entre passé et présent. Midi approche. Dans le jardin verdoyant, les pas résonnent sur les dalles chauffées. Les quelques visiteurs sortent peu à peu, emportant avec eux des images gravées dans l’esprit, des masques aux regards troublants, des textiles chatoyants, des sculptures qui semblent respirer encore.
« Ce lieu n’est pas seulement un musée, c’est un voyage. J’ai été bercé de long en large », soupire un visiteur, le sourire aux lèvres. À 12 h 15, le soleil darde sans pitié ses rayons. Fatimata Diallo, carnet fermé sous le bras, esquisse un sourire.
« J’ai trouvé de nouvelles idées pour mes toiles. L’art africain continue de nous parler encore ». Ainsi, en franchissant la porte de sortie du musée, les visages s’illuminent, les petites discussions se multiplient sur le futur de ces œuvres d’art. Derrière elles, le silence reprend ses droits, gardien d’un patrimoine toujours vibrant.
Par Mamadou Elhadji LY (Stagiaire)