Styliste visionnaire, costumière des stars et pionnière de l’internet à Dakar, Oumou Sy a bâti un empire créatif où se croisent tradition et modernité. De Podor aux scènes mondiales, cette autodidacte a fait de chaque tissu une œuvre et de sa vie un manifeste de liberté. Grâce à son audace stylistique et sa maîtrise du désir vestimentaire, elle façonne le présent et l’avenir, insuffle une énergie nouvelle à la mode africaine.
Dans l’univers de la mode et du stylisme, des femmes se sont démarquées par leur audace et leur créativité. Elles ont su allier talent, détermination et vision pour redéfinir les standards. Oumou Sy fait partie de ce lot, de ces figures emblématiques qui rivalisent d’ingéniosité pour se hisser au sommet.
Entre la conception de costumes pour le cinéma et des créations de haute couture vendues dans le monde entier, Oumou Sy, costumière, styliste, créatrice de bijoux, décoratrice, pionnière d’internet en Afrique, est une femme d’affaires accomplie et une figure incontournable dans le domaine de la culture au Sénégal et en Afrique.
Les costumes, sa marque de fabrique, sont faits à partir de matériaux traditionnels et contemporains et des tenues intrigantes aux détails singuliers. On y retrouve du textile, des disques compacts, des paniers, des bouteilles de parfum, des plumes et du raphia. Chacune de ses créations raconte une histoire. Oumou Sy mélange le passé et le présent, les cultures et l’histoire africaine.Depuis sa jeunesse, elle n’a jamais laissé son destin se dessiner à l’avance.
Combat pour la transmission et l’innovation
Née en 1952, à Podor, elle a très tôt pris une aiguille pour réécrire les lignes de sa vie, transformant ainsi le tissu en un manifeste d’indépendance et de résilience. Femme battante, Oumou Sy a, très tôt, su prendre son destin en main, convaincue que le succès serait au bout du chemin.
Et de ses premières coutures à l’âge 13 ans à son influence sur la scène culturelle et technologique africaine, elle a toujours déjoué les pronostics. Son histoire est celle d’un combat constant pour la liberté, la transmission et l’innovation.
Oumou Sy voit son père passer à trépas alors qu’elle n’avait que cinq ans. Une disparition qui crée un vide, mais qui laisse derrière elle le poids d’une éducation stricte, régie par la rigueur de l’éducation religieuse.
Naturellement, pour une jeune fille de son milieu, le chemin semble tout tracé avec un mariage arrangé, une vie de soumission. Fort d’un gros caractère, elle refuse catégoriquement ce destin qui lui était présagé. « À neuf ans, je refuse le mariage arrangé », déclare-t-elle. Une phrase qui marque le début d’une révolution personnelle.
Son terrain de jeu n’est pas l’école coranique, mais des tas de tissus récupérés, des morceaux de toile attendant d’être transformés. C’est là, dans cette solitude créative, qu’elle apprend à donner une seconde vie à l’éphémère, à faire d’un rebut une œuvre d’art.
À seulement treize ans, elle crée « Bagatelle-Couture » à Saint-Louis. Le nom évoque fortement l’insouciance qu’elle a dû abandonner trop tôt, mais l’acte est d’une grande importance.
De l’audace en bandoulière
C’est son premier pas vers l’indépendance à tout point de vue. Un atelier qui arrive pile au bon moment et représente plus une boutique qu’un refuge. La renommée de ce jeune prodige ne tarde pas à se répandre.
À vingt ans, Oumou Sy ouvre une boutique de prêt-à-porter à Dakar, faisant de la capitale un nouveau terrain de jeu pour ses ambitions. Elle ne se limite plus à être couturière, elle devient styliste et artiste. Ses créations font le pont entre le passé et le présent, mêlent les techniques traditionnelles de broderie, de teinture et de tissage à une vision résolument tournée vers la modernité.
Les années passent et la « reine de la couture sénégalaise », comme on la surnomme, ne cesse de montrer son génie créatif au monde. Les années 1980 et 1990 le prouvent à suffisance, car elles sont synonymes de consécration pour cette autodidacte qui enseigne aux Beaux-Arts et anime des ateliers de Genève à Milan.
Son savoir-faire est un trésor qu’elle partage sans compter, maîtrisant tout du bijou à la scénographie, en passant par la peinture sur soie à la création de décors. « Quand je pose un chapeau d’officier colonial, je veux conquérir le monde », déclare-t-elle, soulignant l’audace qui la pousse à casser les codes pour mieux les transformer continuellement.
Grande dame imposante, par son timbre vocal, elle ne cesse de gravir les échelons vers ses objectifs bien tracés, dit-elle.Créative et talentueuse, Oumou s’engage sur plusieurs fronts. Son talent ne cesse de se développer et dépasse rapidement les frontières de la mode.
En parallèle, elle habille les icônes de la musique sénégalaise à l’image de Youssou Ndour qu’elle a rencontré, dit-elle, lors d’une séance photo. Une rencontre qui portera ses fruits, car elle l’habillera lors de chacune de ses tournées à Bercy.
Elle a aussi habillé Baaba Maal, une connaissance d’enfance. Si cela est pour certains une prouesse, pour elle, c’est naturel, car Massamba ou Mademba peu importe, à ses yeux, toutes les personnes se valent, clame-t-elle avec le sourire. Ses tissus deviennent des récits, des porteurs d’histoire et de fierté.
Fort d’un mental et des ambitions bien claires dans sa tête, elle déjoue les pronostics en s’investissant sur un autre domaine.
En 1996, sa carrière prend une direction inattendue. Elle ouvre le Metissacana, le premier cybercafé d’Afrique de l’Ouest. Ce lieu novateur fusionne la mode et la technologie, l’art et la culture devenant un centre de créativité à Dakar.
En 1997, elle lance la Semaine internationale de la mode de Dakar (Simod), un événement qui promeut la mode sénégalaise à l’échelle panafricaine et internationale. Une année après la Simod, elle lance le Carnaval de Dakar, un défilé annuel de danseurs costumés, de chevaux, de chars, de musiciens et de fêtards.
Pour Oumou, la mode est un outil de développement, un moyen de connecter les cultures et de soutenir les jeunes talents, raconte-t-elle. Pour Oumou Sy, la culture est en constante évolution et sans frontières.
« Internet est un outil pour voyager sans bouger… comme nous Peuls, lorsque nous voulons partir, nous laissons s’écouler une poignée de sable ». Cette métaphore poétique illustre sa profonde philosophie tirée de sa terre natale, une soif d’ouverture et de connexion qui transcende les frontières physiques.
Plus qu’une styliste
Autodidacte, touche-à-tout, Oumou Sy a toujours affiché une passion inaltérable et un sens de la perfection constant. C’est dans son Adn. Aujourd’hui, à plus de soixante-dix ans, la styliste aux doigts d’argent, qui tient à la transmission de son savoir, n’a rien perdu de sa passion.
Elle rouvre les ateliers Leydi créés en 1990, un lieu de formation où elle partage les techniques traditionnelles et modernes, du tissage à la bijouterie. Cet endroit représente son combat pour l’émancipation par le savoir.
En mai 2024, une exposition au Grand Théâtre de Dakar a mis en avant son lien spécial avec la kora, cet instrument qui, comme elle le dit, « raconte des histoires anciennes, des légendes ». Son travail est un dialogue permanent avec son passé, un hommage à ses racines dans un monde dominé par la modernité.
Couturière de choix de l’élite artistique
Elle a donc révolutionné la mode et son talent créatif l’a propulsée au cœur du cinéma. Elle s’est très tôt faite connaître dans le septième art en collaborant avec les plus grands cinéastes africains.
Tout a commencé avec une rencontre avec le réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambéty. L’artiste sénégalais lui a confié la confection des costumes de son chef-d’œuvre, « Hyènes ». Forte de son génie, Oumou Sy a fait preuve de créativité avec des robes rouge sang pour les « Amazones » et des colliers inspirés de bijoux somalis. Ses créations donnaient aux personnages une dignité ancestrale et une force visuelle.
Ses costumes n’étaient pas juste des vêtements. Ils étaient des histoires, un mélange du passé et du présent, un hommage à la richesse de l’histoire et de la culture africaine. Le succès du film « Hyènes » lui a ouvert les portes du cinéma.
Surnommée la reine de la couture sénégalaise, elle est devenue la costumière que tout le monde s’arrache. Elle a travaillé avec plusieurs réalisateurs de génie à l’instar d’Ousmane Sembène pour « Guelwaar », Idrissa Ouédraogo pour « Samba Traoré » en 1992 ou encore Flora Gomes pour « Po Di Sangui » et « La République des enfants », films sortis respectivement en 1996 et en 2010.
Le talent de Oumou Sy a dépassé les frontières du Sénégal. Ses créations ont monté les marches du Festival de Cannes. La native de Podor est devenue une ambassadrice de l’art africain. Ses œuvres dans le cinéma sont une preuve de son engagement à préserver et à moderniser le patrimoine culturel africain.
Par Mamadou Elhadji LY (stagiaire)