Il est né Ousmane Guèye et veut mourir en Cheikh Ibrahima Fall. Son Bamba, le Sénégal. Il est né sculpteur et a touché à la musique. Son domaine, l’art. Il a parcouru le monde et amassé avoir et savoir. Son vœu, transmettre son savoir-faire.
Dix-neuf heures et quelques minutes, le crépuscule, presque. Face à l’astre, un homme, un artiste. Il n’est certes pas insensible à la beauté d’un coucher de soleil, mais ce n’est pas ce qu’il est venu contempler. De la pierre, c’est ce que cherche cette masse de chair sur laquelle le temps a laissé bien des scarifications. L’âge… Mais l’âge ne ternit en rien la clarté d’esprit du Monsieur. Ousmane Guèye, artiste-sculpteur, ne cherche pas à collectionner. Ces blocs sur ce site en face du Monument de la Renaissance à Dakar, il les laisse sur place. Son esprit terrasse, ses mains nivellent, sa voix pose sur le vide ce qui se conçoit dans son esprit. Il pense aménagement de l’espace. Pour ce, pierres, il veut. Le reste, c’est du savoir-faire. Il en a et son Cv peut en témoigner.
La Forêt Bleue, Google sait ce que c’est et il l’envisage au Sénégal. Là, sur cette élévation qui fait face au Monument de la Renaissance, qui fait face au phare, qui fait face à une de ces routes qui contournent le monument. Ou ailleurs, peu importe. Ousmane Gueye est sculpteur mais ne pense plus miniature, à son âge. À son âge, il pense tailler à gigantesque échelle. « Sculpture monumentale », « Sculpture fonctionnelle », « Sculpture végétale monumentale », dit-il. Dix-huit heures, à quelques tic-tacs de la dix-neuvième, la Mosquée de la Divinité est dépassée en taxi. Le demi-cercle sculpté par l’eau près de la Mosquée stimule M. Guèye.
De Ballabey à Harlem…
Sur cette eau docile qui berce les pirogues, il voit déjà son exposition « Floating forest » danser. Il est loin de la France où il peaufine l’esthétique de sa forêt couleur eau et laisse son imagination transformer pierres et bois. Loin de ses possessions où il s’occupe entre sculpture et travail de la terre. Presque cinq hectares, pommes, cerises. Autres. Mais il y pense, et il pense surtout mettre ses hectares à la disposition des artistes africains et du Sénégal, les ouvrir aux ministères du Tourisme, de la Culture et de l’Agriculture. Des centres culturels de pays d’Europe sont éparpillés un peu partout en Afrique. L’inverse est possible, croit-il. Et il fait le premier pas avec ses parts de terres dans l’Anjou.
L’âge a blanchi la tête du Monsieur. Quelques années auparavant, cette tête aujourd’hui rasée portait des locks. Cette tête concoctait des chansons. Cette tête a fait de la musique. Il montre volontiers un de ses deux albums. En pochette, qui reste enveloppé, comme symbolisant une carrière musicale qui n’a pas été aussi fructueuse que celle de sculpture. Non pas par manque de talent musical, mais parce que papa avait dit non au fils. Qui a obéi. Qui a par contre eu la bénédiction du père, pour ce qui est de la sculpture… Ouagou Niayes 2, une maison, rez-de-chaussée, premier étage. C’est celle des Guèye. Ce qu’il en reste, plutôt. Le fils en a hérité, qui installe en-bas un espace de travail et d’exposition. C’est dans cette maison, se souvient Ousmane Guèye, qu’une lettre de Senghor fut envoyée, adressée à un jeune garçon qui avait tapé dans la sensibilité du poète. Qui reçut donc de lui une missive où il lui disait : « Cher compatriote… »
Du « Baobab d’honneur » au « Gold Gouye » : sculpter les notes
Puis l’École des Arts de Dakar, puis la bourse, puis la France (Beaux-Arts de Paris, école de la Boulle) puis l’Italie (Académie des Arts de Rome), puis les États-Unis (c’est aux Usa que son album «Dakar in Harlem », 11 titres, sera fait), puis le Japon. « Cher compatriote », et les portes du monde s’ouvrirent devant lui, qu’il parcourut, apprenant, aiguisant son art, rencontrant du monde, emmagasinant savoirs, contacts et expériences. Il était ainsi à la recherche d’une chose qu’il appelle « l’Absolu ». Et comme un Marley qui fit son « Exodus », il ne veut qu’une chose : rentrer, faire profiter. Marley ? Cheikh Ibra Fall, préfère dire Ousmane Guèye. Son Bamba s’appelle Sénégal et il le servira via sa sculpture. « On est plus près de la mort que de la vraie vie. Aujourd’hui, je suis prêt à laisser le « best of » de ce que j’ai pu acquérir comme connaissances techniques et savoir-faire dans le monde au Sénégal. Pour faire honneur à mes ancêtres, mon père, ma mère et mes amis pour qu’ils puissent être fiers ». Ce Cheikh Ibrahima Fall compte, encore une fois, servir son Bamba à travers son avoir, son savoir et son savoir-faire essentiellement orienté vers la sculpture. Et par sculpture, il entend un « art qui vient à vous, comme un don de Dieu, tout simplement ». Et, quand on l’a, on est « doté d’un regard indiscret qui se pose sur des formes, des couleurs, la nature, l’environnement ».
« Je ne peux pas dormir, je reste éveillé, me demandant ce que l’artiste que je suis peut apporter au Sénégal. Dans mon esprit, je vois un magnifique jardin de sculptures en plein air où nous peindrons les arbres eux-mêmes afin que les bûcherons soient trop impressionnés pour les abattre. Ouvre les yeux, bûcheron, et vois la beauté de ce que tu détruirais ». Ces lignes devaient être rendues sous forme de vers : c’est leur forme originelle. Cette poésie fut chantée il y a plus de vingt ans dans « Dakar in Harlem ». En fait, Ousmane Guèye a toujours été habité par l’idée de magnifier les colosses à gros tronc. Petit déjà, il rêvait devant Senghor d’une sculpture qu’il nommait « Baobab d’honneur ». Il le voulait alors à la place de l’indépendance. Avoir dans son album un titre dédié au Gouye n’a ainsi été qu’un moyen de prolonger par la musique son rêve d’enfant. L’enfant de Thiès et Dakar, l’adulte de Paris et Rome, le vieux de New-York et Tokyo, ne sont pas trois. Ils sont une trinité nourrie par la sève du baobab, incarnée dans la musique et mue par la volonté de démontrer par la sculpture qu’il est possible de faire des parcs paysagers avec ce qui pousse dans le pays. Cette trinité débouche sur un sujet unique qui préoccupe Ousmane Guèye : la création d’emplois. Les parcs paysagers qui poussent dans son cœur peuvent générer du job par milliers. Il affirme…
« J’ai très vite pris goût, parce qu’on travaillait moins. Il n’y avait pas de travail intellectuel. D’ailleurs, ça s’appelait travail manuel ». L’artiste sourit, se rappelant cette initiation à l’art dont il a très tôt bénéficié. Thiès, Cité Ballabey, l’école, Madame Guène, la verdure, les oiseaux, les serpents, tout lui revient. Madame Mbawa, Médina Fall, l’école buissonnière pour aller contempler Madame Mbawa faire des canaris à Médina Fall, tout lui revient. Ses premières « affaires » (éléphants, oiseaux…) réalisées avec l’aide de Mbawa et vendues aux tubaabs de Ballabey, tout lui revient. Babacar Traoré (« le roi de la Médina »), Niaw Lo Mboup, la corniche ouest de Dakar prise comme atelier à ciel ouvert pour la taille de pierres, tout lui revient. La baie de Hann, les concours de châteaux de sable, les premières victoires, tout lui revient. Le parc de Hann, aussi, s’invite dans son discours. Et il s’étonne. « C’est quand même extraordinaire d’en avoir un pour tout le pays » ! Selon le sculpteur, « chaque quartier devrait être doté d’un parc paysager ». Pour lui, encore, « chaque ville devrait être dotée d’un très grand parc paysager » ! Pas que les villes, pas que les quartiers ! Monsieur se projette et prône la « maison végétalisée » avec « potager suspendu sur sa terrasse ». Faire bien manger le Sénégalais et l’immerger dans du vert : ces deux idées se jumellent dans son esprit d’artiste qui s’y connaît bien en agriculture bio. Sa maison de Ouagou Niayes 2 porte déjà les traces de cette ambition. Du vert au portail, du nébadaay qui grandit au premier étage, le gazouillis qui résonne…. Peut-être, aussi, reproduit-il Ballabey à petite échelle, pour ne cesser de vivre dans son royaume d’enfance. En tout cas, ce jardin qu’il y entretenait tout jeune a fini par s’implanter dans son âme. Sans doute, c’est pourquoi il semble saigner de l’intérieur, lorsqu’il remarque combien l’embellissement des villes par le vert est négligé. Aussi est-il écœuré, de constater que le reboisement n’est pas considéré comme une activité vitale.
Christie’s, Sotheby’s, Drouot…
Il suffit de jeter le Monsieur dans un espace tel que le Golf de Saly pour s’apercevoir qu’il n’a rien perdu de son enthousiasme enfantin. Lequel est accouplé à une expertise acquise par la pratique, l’expression simultanée des deux donnant. Les images suivantes. On l’y voit nommer des arbres, donner des astuces pour venir à bout des termites qui envahissent la pelouse, penser recyclage des « déchets » en engrais, imaginer l’aménagement d’espaces de détente… On l’y voit, surtout, faire des accolades… à un baobab. Et si un jour il lui est demandé d’appliquer son savoir-faire dans un espace aussi particulier que le Golf de Saly, ce ne sera pas pour lui une première. Ousmane Guèye l’a déjà fait. En 2020, on pouvait apercevoir ses « Têtes-Livres » gigantesques taillées dans des troncs de chêne décorer le parcours d’un golf à Anjou bleu. Christie’s, Sotheby’s, Drouot. Il lâche ces noms et les répète. Christie’s (Londres), Sotheby’s (New York) et Drouot (Paris) sortent de sa bouche avec une passion que transmet son regard et qui se traduit dans son langage gestuel. On ne saurait parler des places où se vendent les œuvres d’art en occultant ses trois lieux, et si Ousmane Guèye en parle aussi passionnément, c’est qu’il y a un vœu derrière son discours. Un vœu, un rêve : voir des œuvres de Sénégalais s’y vendre aux enchères. Un : « l’Afrique doit refléter l’Art ». Deux : « c’est par l’Art que l’entrée de l’Afrique dans le vingt-et-unième siècle se fera ». Trois : il faut viser et oser Christie’s, Sotheby’s et Drouot, selon le sculpteur.
Ce dernier cite les jardins à la française, les parcs paysagers d’Amérique et les espaces japonais embellis avec l’art floral. Il les connaît et les cite en les désirant pour son pays d’origine. Mais, loin de lui l’idée de faire des répliques à implanter en terre sénégalaise. Il les imagine locaux, en baobabs, en dattiers du désert… Il les imagine africains et sénégalais, dans le style du décor dont il rêvait pour le Woodstock africain, des décennies auparavant. Lorsqu’il avait encore ses rastas. Et il les imagine comme des moteurs du tourisme vert. Christie’s, Sotheby’s, Drouot ? Pourquoi pas ! Seulement, avec sa Forêt Bleue, Ousmane Guèye est déjà dans une idée de musée d’art contemporain africain à ciel ouvert. C’est alors Christie’s, Sotheby’s, Drouot…autrement. « Faire de l’Afrique un musée, c’est ce que je propose. Je ne parle pas de l’édifice dans lequel il y a des œuvres d’art. Les sculptures monumentales, c’est les immeubles, c’est les maisons qui doivent être transformées en sculptures fonctionnelles pour changer tout le décor. Et l’Afrique verte c’est aujourd’hui, c’est maintenant, ce n’est pas demain… » : Ousmane Guèye, sculpteur…
Moussa SECK