Penser, parole et plastique. C’est autour de ce triptyque que Pape Aly Diop évolue. Créer des émotions, les distiller à travers des rôles, des scenarios, des actes et des scènes est son apanage. Ce jeune homme de 25 ans est parti pour assurer la relève.
Pape Aly Diop, quand on le voit jouer, il est difficile de ne pas apercevoir l’ombre de l’immense Makena Diop ou même de Ibrahima Mbaye Thié. Le parallèle est de trop, mais l’avenir qui se profile à l’horizon est prometteur. Dans l’ombre douce du cinéma sénégalais, il se déploie comme un souffle, imperceptible, mais lourd de significations. Il n’est pas de ces acteurs qui cherchent à conquérir le monde par un éclat brutal, il est de ceux qui naissent dans la lumière tamisée des regards furtifs, de la simplicité du geste juste. Tel un arbre que l’on ne remarque d’abord pas, mais qui, une fois sa racine perçue, se révèle comme un ancrage profond dans la terre de l’âme humaine. Dans chaque rôle, Pape Aly semble se fondre avec une aisance qui frôle l’invisible. Il ne joue pas un personnage, il le devient. Son corps, presque éthéré, se dissout dans les contours d’un homme, d’une histoire, d’une émotion. Ses gestes sont comme des vagues légères, effleurant la surface de l’eau sans jamais troubler sa tranquillité. Il n’est pas l’acteur qui hurle, qui s’impose par des gestes grandiloquents.
Il est celui qui parle dans le silence, dans ces moments suspendus où l’émotion se déploie dans un simple regard, dans un soupir. Il est l’ombre d’une lumière qui, en caressant le monde, fait apparaître ce que les mots ne savent dire.
Vivre pour son art
L’acteur se glisse dans la peau de ses personnages comme un écrivain s’empare de sa plume, avec la douceur d’une seconde peau qui devient la sienne. Il incarne les luttes internes des jeunes hommes en quête d’équilibre, entre un passé lourd d’histoires et un futur incertain, comme si chaque souffle qu’il prenait dans ses rôles portait les échos d’une génération tout entière.
Ses personnages ne sont pas faits de mots, ils sont faits de silences, de non-dits, d’une tension douce entre ce qui est montré et ce qui reste caché, entre ce qui est dit et ce qui reste entre les lignes. Son regard, profond et presque insaisissable, est un abîme dans lequel il nous entraîne sans effort. Il n’y a pas de théâtre de la parole chez Pape Aly, mais un théâtre du regard, du corps, de l’âme. À travers lui, on aperçoit une vérité cachée derrière les voiles du quotidien, une vérité d’une infinie poésie. Tout est parti d’un « complot de hasards ». « J’ai toujours été passionné par le cinéma. J’ai commencé par faire des publicités, et j’en ai tourné plusieurs », explique-t-il avant de confier : « Un jour, j’ai accompagné ma petite sœur à un casting auquel j’avais postulé pour elle. Il s’est avéré que c’était un casting pour une série. Arrivé au studio, le directeur de casting m’a remarqué et m’a dit qu’un rôle correspondait exactement à mon profil. Ils m’ont fait passer un test que j’ai réussi, et ce fut mon premier projet ». Depuis lors, tout en lui semble flotter dans une dimension où le temps se suspend, où les émotions sont tels des éclats d’eau, éclatant en mille fragments lumineux à chaque mouvement. En ce sens, le jeune acteur et comédien tire la passion du cinéma chez sa mère. « Ma mère est une grande passionnée de cinéma. Elle peut passer toute une journée à regarder des films. En grandissant, je regardais souvent des films avec elle, et j’adorais ce que je voyais à l’écran. C’est ainsi que j’ai développé ma passion pour le cinéma. Un jour, j’ai décidé de tenter ma chance, et cela a marché », a-t-il confié. Aujourd’hui, dans le cinéma, il incarne ce pont fragile entre le passé et l’avenir, ce fil invisible qui relie les générations d’hier et celles de demain. Pour dompter son art, il a pris le temps pour se former. À cet effet, il a été à Acting Center et, là, il parachève sa formation à Saint Style Académie et à Eiad (École internationale des acteurs et actrices de Dakar). Il est le jeune homme sénégalais tiraillé entre la force ancestrale de ses racines et l’appel d’un monde en mutation. Mais ce n’est pas dans une confrontation violente qu’il le fait, c’est dans l’acceptation de cette dualité, dans l’espace délicat où les deux se rencontrent et se fondent, qu’il trouve sa force. Son jeu ne cherche ni la confrontation ni la rupture, il est la ligne douce qui relie les extrêmes, une mélodie qui se joue lentement, comme les vagues d’une mer paisible.
Pour le moment, il ne se consacre qu’au cinéma et au théâtre, qui, selon lui, sont des métiers qui demandent beaucoup de temps et de concentration. Ce qu’il pense du cinéma sénégalais est clair : « Je pense que nous devrions produire beaucoup plus de films. Le nombre de productions par an reste trop faible, alors que nous avons tant d’histoires à raconter. Nous devons oser pousser notre imagination plus loin et traiter des sujets profonds, même ceux que l’on considère comme tabous. Nous avons une responsabilité en tant qu’artistes : dénoncer les vrais problèmes pour contribuer à leur résolution », martèle le jeune artiste ».
Au-delà des frontières
Dans l’univers de Pape Aly, tout est question de nuances, de poésie subtile, de sentiments qui se déploient à l’ombre des grands gestes. C’est un acteur qui sait qu’une émotion se révèle dans l’invisible, dans ce qui échappe à la saisie directe, et qui choisit de suivre ce fil ténu pour nous dévoiler une vérité nue. Son idéologie est celui du partage et de dessiller les yeux de ceux et celles qui le suivent à travers l’écran. « En tant qu’acteur, notre rôle est d’être la voix des sans-voix. Nous devons parler des fléaux qui ravagent notre société, de ces sujets considérés comme tabous alors qu’ils nous affectent profondément. Le cinéma ne force personne à adhérer à un point de vue, mais il pose les problèmes sous un autre angle et pousse à la réflexion. Pour moi, on ne choisit pas l’art, c’est l’art qui nous choisit », explique-t-il, sûr. Sa voix, presque murmurée, porte le poids d’une culture et d’une époque, mais elle ne crie jamais. Elle se fait entendre dans la douceur, dans la retenue, comme un poème que l’on chuchote à l’oreille du monde.
Cette tension et cette sensibilité dans son jeu se laissent découvrir à travers les productions dans lesquelles il a joué. Parmi elles : Une vie de mec pour Wido (Sénégal), Teranga pour Canal+ (Afrique), Blood River pour Arte (France – Belgique), Playgame pour Canal+ (Afrique – France), Timpi Tampa avec Cinekap et Europacorp (bientôt en salle de cinéma), qui a également obtenu une double sélection au Fespaco 2025, Géej Amul Banxaas, un court-métrage (Sénégal – Bénin) et Échange, un court-métrage (Sénégal). Pape Aly n’est pas un acteur qui brûle d’une gloire immédiate ; il est un poème à écrire lentement, dans l’intimité de chaque scène, dans l’entre-deux des regards échangés. Il est celui qui, sans se presser, tisse sa place, un fil à la fois, dans le grand tapis du cinéma sénégalais. Et c’est dans ce mouvement lent, presque imperceptible, que se trouve toute la grandeur de son art. Car il sait que la véritable lumière ne brille pas toujours dans l’éclat ; elle réside dans l’ombre douce, celle qui caresse sans effrayer, qui éclaire sans aveugler.
Pape Aly, c’est un souffle du Sénégal, un murmure que l’on capte dans l’ombre des ruelles, là où la lumière se faufile timidement entre les arbres. C’est l’éclat d’une étoile qui naît au milieu de la nuit, une présence silencieuse mais éclatante. Son visage est une toile où se dessinent les contours d’une jeunesse à la fois rêveuse et affamée, fragile et infiniment forte. Dans ses yeux, on lit des histoires que le temps n’a pas encore écrites, des récits de luttes et de quêtes qui se déploient avec une grâce insoupçonnée. Le cinéma sénégalais sera un jour en mesure, de dire : « Habemus Papam » (nous avons un Pape), car la relève sera assurée.