À l’instar de Gorée, Saint-Louis et Dakar, Rufisque peut se targuer de son riche patrimoine bâti et architectural hérité de la colonisation. Ce Vieux Rufisque, qui fut jadis l’épicentre des activités économiques et commerciales de la colonie française avec ses entrepôts de stockage d’arachide, son usine d’huilerie, sa gare ferroviaire et son port, est aujourd’hui en quête de reconnaissance et de valorisation face aux menaces de décrépitude.
Le projet de démolition de l’huilerie de Petersen, initié par son nouvel acquéreur, un promoteur sénégalais, avait suscité, la semaine passée, une vague de soulèvement du collectif dénommé le Pacte pour la valorisation et la rénovation du Vieux Rufisque. Ce dernier, au-delà de dénoncer, s’est insurgé contre la démolition qui mettrait en péril tout un pan d’histoires.
Une petite visite sur une partie du patrimoine bâti qui part du canal de l’Est, tout le boulevard de la gare, jusqu’au canal de l’Est et à la mer (Keury Kao et Keury Souf) nous a permis de découvrir la beauté architecturale de ces bâtiments. Ces édifices (maisons administratives, de commerce, écoles, lieux de culte…) allient style breton, bordelais et marseillais dans la construction. Ils sont pour la plupart faits en pierre de Rufisque, matériau local taillé sur place, avec des toits en tuile rouge et les balcons en bois ou en fer forgé. Chacun de ces bâtiments témoigne d’une épopée glorieuse du Vieux Rufisque : capitale arachidière, ce bien avant même Kaolack. « Les maisons coloniales bordelaises, nantaises, tous ces grands magasins qui longeaient la route qui menait du chemin de fer au port montraient que Rufisque était une ville marchande, vivante et développée », renseigne Djiby Guissé, un membre du collectif.
Toutefois, rappelle Mama Sabara, le coordonnateur du collectif, le transfert du port arachidier, le déplacement des maisons de commerce bordelaise et marseillaise et la chambre de commerce à Dakar dans les années 30 ont sonné le glas de cet âge d’or et de ces périodes fastes de l’économie de cette ville. Et les infrastructures y afférentes n’ont pas été épargnées. Contrairement à Gorée et Saint-Louis, Rufisque semble délaissé à son propre sort dans la gestion de son patrimoine. Aujourd’hui, sous le poids de l’âge, mais également des effets dévastateurs de la nature avec l’avancée de la mer et du fait de l’homme, certains menacent ruine, d’autres se sont déjà écroulés ou sont délaissés. Pourtant, cet héritage, reconnu patrimoine national depuis 2004 et qui tend vers une reconnaissance de l’Unesco, mérite d’être valorisé sous peine d’une décrépitude certaine.
La préservation de ce patrimoine : des responsabilités partagées
Plusieurs facteurs sont mis en avant, relevant des défis auxquels fait face la prégnante question de rénovation. Il s’agit, selon Mama Sabara, d’un manque de ressources, du faible intérêt donné au patrimoine et du manque de culture du « Patrimoine » par les autorités municipales.
Meïssa Beye, acteur culturel et membre du collectif, est un farouche défenseur de cet héritage du Vieux Rufisque. Optimiste, cet octogénaire, rencontré au jardin public, un site qui fait partie du Vieux Rufisque, ne dédaigne pas à porter ce noble combat pour les générations futures. Sans ambages, il regrette que les maires Badara Sène et Daouda Niang n’ont pas compris l’enjeu de la préservation, de la sauvegarde, de la rénovation du Vieux Rufisque. En effet, le Vieux Rufisque qui avait soumis à l’Unesco, depuis 2005, son dossier sous Ndiawar Touré n’a pas été réactualisé depuis. Alors que chaque décennie, la liste indicative du patrimoine doit être mise à jour. « Parce que le patrimoine étant pluriel : architectural, matériel et immatériel. Des choses peuvent disparaître. Il peut y avoir une transfiguration du site », explique-t-il.
Djiby Guissé, qui abonde dans le même sens, a qualifié d’erreur grave de l’histoire la vente récente du site de Petersen racheté par un privé sénégalais. « Les communes devaient le racheter pour le valoriser, pour en faire des centres commerciaux, ou pour en faire des lieux de mémoires, d’habitats, mais il ne fallait pas laisser s’échapper ce filon d’or atterrir dans les mains des privés qui vont en faire une exploitation personnelle », a-t-il regretté de la dernière énergie.
Au-delà de l’implication des élus, la responsabilité de l’État central est indexée. Mama Sabara, coordonnateur du pacte pour la valorisation et la rénovation du Vieux Rufisque, estime que la ville souffre d’un manque de considération de son héritage. « Aucune mesure de protection du patrimoine architectural et urbain n’a été déployée pour la valorisation et la réhabilitation du patrimoine de la ville de Rufisque », a-t-il décrié dans la mesure où Gorée jouit du statut de zone de rénovation urbaine depuis 1976 et de même que Saint-Louis. Ainsi, l’absence de ladite mesure ne concourt pas à la préservation de ce patrimoine qui n’est pas à l’abri des casses et modifications tous azimuts. C’est d’ailleurs le cas avec l’ancien bureau du Trésor situé dans la rue Demobry qui a été cassé inutilement, d’après Meïssa Beye, par le Conseil départemental et puis laissé à l’abandon.
Approche communautaire, institutionnelle et politique
Le chantier pour la préservation du patrimoine du Vieux Rufisque est vaste. Toutefois, les défenseurs demeurent convaincus qu’il faut adopter une approche communautaire, institutionnelle et politique de ce dossier pour permettre de revisiter la liste, de réactualiser le classement et d’établir un plan de sauvegarde et de rénovation. Pour y arriver, l’acteur culturel Meïssa Beye mise sur le bottom-up (par le bas), car il est convaincu que les dynamiques les plus réussies sont celles portées par le bas pour aller vers le haut. Il compte sur les leviers tels que la sensibilisation, l’appropriation de ce combat par les jeunes et notamment le recours aux métiers du patrimoine.
La gare du Ter, le jardin public et la place Alé Gaye Diop réhabilités
La gare ferroviaire, qui était l’un des symboles de l’activité économique et commerciale du Vieux Rufisque, a été réhabilitée dans le cadre du projet du Train express régional. Outre ce site, deux autres ont été récemment réhabilités par la mairie de la Ville de Rufisque dirigée par Dr Oumar Cissé. Il s’agit de la place Alé Gaye Diop, ex-place Gabard, inaugurée le 25 février dernier, et du jardin public en janvier 2024 grâce à une coopération décentralisée entre la ville et Dahla (Maroc). D’ailleurs, les membres du collectif misent en grande partie sur la coopération décentralisée pour rénover le maximum d’édifices et de monuments historiques. « Saint-Louis a la chance de conserver une bonne partie de son patrimoine grâce à la coopération internationale, notamment avec Lille. Rufisque peut profiter de celle existante avec Nantes pour essayer de voir comment sauvegarder le patrimoine qui lui reste », défend Djiby Guissé.
Pour rappel, la coopération nantaise accompagne la ville dans la construction de la Maison des arts.
Mohamed DIÈNE (Correspondant)