La culture nourrit le tourisme. Le tourisme nourrit les zones qui produisent la culture que viennent consommer les touristes. Seulement, tout élément de culture n’est pas forcément destiné à rejoindre le circuit du tourisme. Au Pays Bassari (région de Kédougou), la culture nourrit donc le tourisme, mais, attention : il ne faudrait pas tomber dans le piège de la folklorisation…
Dans le cadre du programme « sur la piste du Caméléon », il fallait parcourir des kilomètres, escalader des montagnes, surmonter des obstacles. Ils l’ont fait. Cartographier, décrire, écouter les populations locales, ils l’ont fait. Comparer le contenu recueilli au contenu des récits, ils l’ont fait. Aller, revenir. Dakar – Le Pays Bassari (dans la région de Kédougou). Voir, écouter, noter : il fallait être précis et le plus convaincant possible pour réussir le pari de l’introduction du Pays Bassari dans le patrimoine de l’Unesco. Pari réussi, chose faite. « Quand on classe un site, c’est pour lui donner le label Unesco. Le label Unesco, c’est un réseau, c’est pour plus de visibilité. Maintenant, à charge aux autorités locales de pouvoir exploiter ce filon », relève le scientifique et archéologue, Aimé Kantoussan. « Nous avons fait le boulot, nous avons fait le job », ajoute-t-il.
M. Kantoussan s’exprimait ainsi en février dernier dans le cadre de la table ronde sur le thème « Comment associer tourisme et culture pour permettre un développement inclusif », à l’Institut français de Dakar. Et il faut dire que « la reconnaissance de cette zone comme patrimoine mondial de l’Unesco a apporté des changements ». Le premier, dit Bacari Camara, responsable du programme, est relatif à « la question de l’esprit collectif au niveau de ces communautés ». En effet, « c’est justement la reconnaissance de cette zone comme patrimoine mondial de l’Unesco qui a emmené la mise en place de l’Association des minorités ethniques. Ça a suscité l’esprit de résilience face aux menaces sur les pratiques culturelles ».
M. Camara défend ainsi qu’« il faut être ensemble pour valoriser ce patrimoine que tout un chacun a, et réunir ce patrimoine pour voir quelles sont les similitudes, et comment il faut prendre en compte ces pratiques pour pouvoir les perpétuer dans le temps. Mais en les perpétuant dans le temps, c’est de maîtriser aussi les techniques de transmission des savoir-faire. Les perpétuer dans le temps et aussi en faire des choses qui sont dans l’ordre du tourisme. Mais bien sûr, tout ce qu’on est en train de développer, c’est pour en faire un élément, une offre touristique ». Classement comme patrimoine mondial de l’Unesco, impact sur les communautés, offre touristique… et voilà ! Mise en valeur n’est pas folklorisation Tourisme et culture, la question du mariage ne se pose plus dans l’esprit de Aliou Gaye. Pour l’enseignant-chercheur à l’Université Iba Der Thiam de Thiès, les deux vont ensemble.
Seulement, il y a un danger, et folklorisation est son nom. Pour M. Gaye, il faut tout faire pour éviter de désacraliser des éléments de culture, parce qu’on a voulu partir du culturel pour concocter une offre touristique. « Vous allez par exemple actuellement à Ziguinchor, le kankourang sort à tout moment parce que ça a été folklorisé, pour des évènements culturels, touristiques. Et finalement, cet esprit perd sa réalité et on ne veut pas que ça se reproduise aussi en Pays Bassari», avance-t-il.
Comment faire alors ? Cibler est le mot-réponse de celui dont les enseignements tournent autour du tourisme et du patrimoine. « Mettre en valeur quelque chose, c’est extrêmement important, mais il faut savoir protéger ce qu’on a de sacré ». Ce n’est donc pas tout masque, tout endroit et toute pratique qu’il faut mettre dans le circuit touristique. D’ailleurs, le programme intitulé « sur la piste du caméléon » a tenu à travailler avec les communautés de la région de Kédougou, pour mieux vendre la destination via ce qu’elle offre comme culture. Faire alors du Pays Bassari un lieu touristiquement fréquenté et avec ceci comme principe : « Il ne faudrait pas que cette fréquentation vienne dénaturer ces pratiques culturelles qui ont été préservées jusqu’à maintenant », rappelle Bacari Camara.
Le responsable du programme « Sur la piste du caméléon » fera en outre remarquer que la démarche d’associer les communautés à l’établissement du lien entre culture locale et tourisme aura porté ses fruits. Dialonkés, Bédiks, Kognagis et Bassaris ont, dans cette logique, élaboré des calendriers culturels spécifiques à chaque communauté et, avec les partenaires, un calendrier culturel commun portant sur « tous les évènements culturels de l’année ». Aussi, les communautés et les partenaires travaillent sur des projets allant dans le sens de protéger, ensemble, l’environnement et le paysage qui fait la richesse culturelle, donc le potentiel touristique, du Pays Bassari.
C’est dans ce cadre que M. Camara inscrit les activités agroécologiques qui y sont menées. Culture, participation communautaire en vue d’animer l’activité culturelle. Et, pourquoi pas, tracer un itinéraire qui traverse le Pays Bassari ? Une idée ? Non, une réalité ! Monsieur Camara d’en parler : « L’itinéraire culturel qui a été déjà tracé traverse 12 communes. La commune de Madina Baffé dans le département de Saraya, et toutes les communes du département de Kédougou et quatre autres communes dans le département de Salémata ». Ce qui est envisagé avec, c’est « de valoriser tout ce qui a comme potentiel à la fois culturel et touristique, mais également aussi tous les métiers traditionnels que vous trouvez dans ces différents villages ».
Aussi, un dispositif d’ambassadeurs territoriaux a été mis en place, accompagnant l’idée de l’itinéraire. Rien ne se fera sans les communautés Sur la piste du caméléon, on se veut lent et on se veut, comme l’animal, capable de prendre les couleurs de l’environnement. Ainsi le semblant d’imposition d’une pratique touristique aux populations crainte par l’archéologue Aimé Kantoussan est dissipé. Et de toutes les façons, « la valorisation du patrimoine et la promotion touristique ne peuvent pas se faire sans les communautés. Et nous, c’est quelque chose qui nous tient à cœur », souligne Sarah Maupin de l’Ong Tétraktys.
Cette dernière, chargée d’appui au programme « Sur la piste du caméléon pour le compte de Tétrakys », retiendra deux points principaux. Il s’agit premièrement de « la structuration au niveau du territoire, dans le sens où il faut continuer les recherches, la documentation, sur les éléments du patrimoine culturel, mais aussi des éléments du patrimoine naturel comme l’a bien indiqué Aimé Kantoussan par rapport à la faune ».
Et deuxièmement : la formation, concernant « les guides locaux puisque c’est eux qui détiennent les informations et qui sont en relation avec les touristes. Car il est important de faire en sorte que leur travail soit le plus formalisé possible et aussi le plus professionnel possible. Il est aussi question de former les structures hôtelières, les campements touristiques ».
Moussa SECK