Pikine: DJ Kinita ou l’art de la résilience

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Dans la banlieue, les jeunes sont souvent confrontés à d’énormes difficultés d’insertion après avoir quitté l’école. Ils sont nombreux à errer sans but, et tombent souvent dans la facilité ou la délinquance. Mais Kiné Sène a décidé de braver les difficultés en surmontant tous les obstacles. Cette jeune femme, qui exerce comme DJ, mixe les sons pour trouver sa voie dans un milieu où très peu de femmes réussissent à s’imposer au Sénégal.

Il y a des parcours qui forcent l’admiration. Celui dont on va parler ici en est indéniablement un. Kiné Sène à l’état civil, cette jeune femme change d’identité comme une super-héroïne le soir et prend le pseudonyme de DJ Kinita. Un sobriquet qu’elle utilise devant la table de mixage, devenue son havre de paix. Canaux, faders, égaliseur… autant d’outils et de fonctionnalités qu’elle utilise pour remodeler les sons et le monde, et faire bouger le public.

Kiné avait commencé à s’intéresser au monde des DJ, mais avait finalement mis ce rêve dans un placard, jusqu’au jour où, il y a quelques mois, un de ses amis lui a fait une révélation. « Un ami, DJ Tef, m’a un jour trouvée à la maison alors que je m’apprêtais à aller bosser et m’a dit qu’il y avait une formation en DJing au complexe Africulturban. J’ai de suite sauté sur l’occasion, car j’avais déjà commencé à m’y intéresser avant. J’ai appelé mon lieu de travail pour dire que je ne viendrais pas. Une fois à Africulturban, j’ai su que c’était ma voie et qu’il fallait que j’y mette toute mon énergie. C’est ainsi que j’ai commencé la formation en juin 2024 avec Mat Killer, DJ Nina, DJ Weuz… De plus, à Africulturban, je fais en même temps de la communication événementielle. Donc là, je suis DJ, et quand on a un événement, je rejoins l’équipe de communication. »

C’est alors que l’histoire d’amour peut enfin débuter. Mixer, faire bouger les gens, créer du plaisir et des sons inédits, voilà tout l’enjeu du métier de DJ. Kinita va alors peu à peu faire ses gammes. Elle commence à fréquenter le TaBooCluBSenegal aux Almadies et y va chaque samedi, même si elle préfère les scènes de concert. Petit à petit, de soirée en soirée, la jeune fille commence à se familiariser avec le matériel, jusqu’au jour où elle est jetée dans le grand bain, à son insu. « J’ai géré ma première soirée toute seule au restaurant le Pélican, à Liberté 6. En principe, je devais être avec DJ Zouzou, mais il m’a abandonnée avant le début de la soirée et a complètement disparu. C’était la première fois que je faisais face à autant de monde, c’était intimidant, mais j’ai géré la situation. Zouzou est revenu jouer quelques minutes et est encore reparti. Depuis lors, il me laisse me débrouiller toute seule lors des soirées qu’on gère ensemble. »

Tout plaquer pour le DJing

Même si le DJing a toujours été dans un coin de sa tête, Kiné Sène n’a pas croisé les bras pour attendre que son rêve se réalise. Bien au contraire. Elle a trimé et porté plusieurs casquettes, aussi variées les unes que les autres. Née en 2003, elle a abandonné l’école très tôt, malgré le refus de sa mère qui lui disait alors qu’elle devra s’occuper de toutes les tâches ménagères. Puis, elle décide finalement de s’inscrire dans une école de stylisme et de couture, qu’elle fréquente pendant un an et quelques mois, tout en allant à une agence de mannequinat à la Place du Souvenir. Cependant, les attitudes et certaines pratiques la dégoûtent. Elle les juge incompatibles avec l’éducation qu’elle a reçue et décide donc de tout plaquer.

S’ensuivent d’autres expériences, comme des cours en hôtellerie et restauration, des stages dans des restaurants avec seulement 10 000 francs CFA de salaire mensuel, voire moins, une carrière de chef cuisinier pour une crèche de sa tante à la Cité Keur Gorgui pour préparer de la nourriture pour enfants, un travail à EDK, la vente de charbon à Touba, mais aussi du babysitting chez l’ex-journaliste de la Télévision Futurs Médias, Sara Cissé. Des expériences certes enrichissantes, mais qui, semble-t-il, n’étaient pas à la hauteur. À la question de savoir pourquoi avoir tout plaqué pour le DJing, la réponse fuse comme une évidence : « Par amour ! Quand j’étais sous-chef cuisinier, avant l’arrivée des patrons, il m’arrivait de prendre deux poêles ainsi que des fourchettes et des cuillères, et j’improvisais une table de mixage. Je mettais un son et je faisais comme si je mixais. Depuis gamine, j’adore tout ce qui touche à la musique et à l’art. Même quand je faisais du stylisme, je découpais des tissus n’importe comment et je portais ça. Les gens me prenaient pour une folle (rires). »

Cette dernière phrase semble déclencher en elle une grande alacrité. Kiné Sarr rit à gorge déployée à l’évocation de ce souvenir, boit quelques gorgées de son cocktail avant de reprendre son souffle. Néanmoins, tout le monde n’a pas bien pris son choix de carrière. Des critiques ont en effet fusé, même si elle a préféré faire fi de tout cela. « J’ai décidé de ne pas écouter les commentaires négatifs : ‘Tu ne réussiras jamais dans ce domaine, tu ne seras jamais quelqu’un, ce n’est pas pour toi, pourquoi veux-tu faire ça, il n’y a pas assez d’argent…’ Les gens veulent tout tourner autour de l’argent alors que l’essentiel est ailleurs, il faut trouver un domaine où on s’épanouit réellement. L’argent a perverti beaucoup de gens. Sans amour et sans passion, on ne peut arriver à rien, et ce sont mes moteurs. »

Une ambition débordante

Désormais fixée dans son choix de carrière, DJ Kinita a des objectifs clairs. Dans un milieu dominé par les hommes, son premier but est de montrer que les femmes peuvent aussi s’imposer comme DJ et ainsi suivre le sillon creusé par DJ Zeyna, DJ Nina ou encore DJ Channel. Elle avoue que les filles ne prennent malheureusement pas le métier au sérieux, et le grand public voit mal qu’une femme soit dans ce milieu avec toutes les tentations qui l’entourent. En outre, un autre défi trotte dans la tête de Kiné : permettre aux DJ de reprendre le lead. En effet, avant, c’étaient les DJ qui payaient les rappeurs. Malheureusement, les choses ont changé avec l’évolution du milieu hip-hop.

Pour réaliser ses rêves, la jeune fille peut compter sur sa mère, avec qui elle échange beaucoup concernant son métier et le milieu dans lequel elle baigne. Elle assure que sa génitrice sait parfaitement de quoi elle est capable ou non. Ce qui lui donne la tranquillité d’esprit de pouvoir viser très loin. « Je rêve de jouer au Parc des Princes (le stade du PSG, qui abrite parfois des concerts). Ce serait génial de jouer dans des concerts à Sorano ou au Grand Théâtre, mais ces salles ne me donneront sans doute pas une notoriété à l’échelle internationale. Pour me faire un nom, il faut que je travaille dur. C’est à moi de me forger une réputation et de gagner ma place. Il faut donc que je me donne à fond », révèle la jeune femme avec une détermination dans la voix qui se lit également sur son visage. Elle ajoute que son objectif à l’échelle internationale est de s’asseoir à la même table que David Guetta ou encore Bob Sinclar, rien que ça. « Quand tu choisis ta voie, il faut avoir confiance en toi et oser. Je me dis que tout est possible si on s’en donne les moyens. Ils ont travaillé pour être à cette place, donc moi aussi je peux y arriver d’ici quelques années, ou même quelques mois. Toutefois, cela ne se fera pas par miracle, il faut se concentrer sur soi, abandonner tous les divertissements et s’entraîner tous les jours. Se donner à fond est le seul moyen de réussir. »

Une ambition et une détermination qui, semble-t-il, sont de famille, puisque Kiné est la petite sœur de Bina Sène, de Fass Mbao, qui n’est autre que la première femme à pratiquer la menuiserie au Sénégal.

Même si tout n’a pas été rose, DJ Kinita prend ses marques. Elle qui a trimé, échoué à plusieurs reprises, s’est relevée à chaque fois avec courage, faisant sienne la fameuse citation de Nelson Mandela : « La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute. » Ainsi, cette jeune fille née en 2003, Serère avec des ascendances maliennes et guinéennes, peut arborer un sourire de satisfaction à chaque fois qu’elle fera bouger les foules au rythme de ses mixes

Oumar Boubacar NDONGO

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