Sortie des entrailles de la Revue du même nom, la maison d’édition Présence Africaine, créée en 1949 sous l’impulsion du Sénégalais Alioune Diop, a ouvert la voie aux plus prestigieux auteurs noirs. Elle porte aujourd’hui l’album le plus emblématique de la littérature africaine.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’humanité traverse une période de bouleversements sans précédent. Les idéologies se redéfinissent et cherchent à s’imposer dans un désordre qui menace les fondements des civilisations. L’Afrique, longtemps marginalisée, tente alors de trouver sa voix… et sa voie. Dans ce combat, la littérature est appelée à jouer un rôle déterminant en réhabilitant la culture négro-africaine, absente de la scène internationale. C’est dans ce contexte que le Sénégalais Alioune Diop, fervent militant de la cause africaine, accompagné d’un groupe d’étudiants issus des colonies, entreprend d’apporter une réplique au déni culturel qui perdurait.
En 1949, ils fondent la maison d’édition Présence Africaine, dans la continuité de la revue créée deux ans plus tôt. Leur ambition reste claire : rappeler à la face du monde l’apport inestimable du continent noir dans l’histoire des civilisations. Pour Alioune Diop, il fallait créer une tribune capable de mettre en lumière les cultures africaines et de valoriser l’homme noir, longtemps engagé pour le triomphe des principes humanistes. « Nous avons constaté que, sous l’occupation allemande à Paris, combien notre culture était absente de la culture dite universelle ; combien notre histoire était bafouée dans la culture universelle », affirmait cet acteur majeur de l’émancipation des peuples noirs. Inspirée par les fondamentaux de la Revue, la maison d’édition entendait célébrer la grandeur et la profondeur de l’histoire africaine en valorisant les auteurs du continent et de la diaspora.
« Présence Africaine s’est constituée à la fois comme une tribune, un mouvement, un réseau en vue de susciter un espace de création à travers l’édition de livres et la publication d’articles œuvrant à la reconnaissance des richesses culturelles du monde noir, en particulier dans les domaines de la littérature, des arts, de l’anthropologie et de l’histoire », nous expliquait Mamadou Ba, professeur à la Faculté des Lettres de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, en 2019, lors de la célébration des 70 ans de la maison d’édition. Relais de la cause africaine Présence Africaine s’inscrit dans le sillon du mouvement culturel noir des années 1930, porté par des intellectuels désireux d’offrir une tribune à leur peuple. Héritière du panafricanisme et de la Négritude, elle se présente comme un relais au service de la cause du monde noir.
En 1955, Alioune Diop définit la ligne éditoriale en ces termes : « Tous les articles seront publiés sous réserve que leur contenu s’y prête, qu’ils concernent l’Afrique et qu’ils ne trahissent ni notre volonté antiraciste, anticolonialiste, ni notre solidarité avec les peuples colonisés. » Cheville ouvrière du premier congrès des intellectuels et artistes noirs, Présence Africaine s’est affirmée comme un espace de production intellectuelle, un lieu de combat politique, de dialogue des cultures et d’expression. L’histoire de la littérature africaine, en particulier francophone, est indissociable de cette maison d’édition. Dès sa création, elle a ouvert la voie non seulement aux auteurs noirs, mais aussi à tous ceux qui, par leurs écrits, s’intéressaient aux problématiques des peuples d’Afrique.
Elle fut en quelque sorte le point de lancement de la littérature africaine moderne. Sembène Ousmane, Djibril Tamsir Niane, Édouard Glissant, Aimé Césaire, Cheikh Anta Diop, Guy Tirolien, Léon-Gontran Damas… tous ces écrivains majeurs ont été publiés par Présence Africaine, qui était aussi une librairie. « Les œuvres des grands classiques de la littérature africaine et de la pensée noire ont été publiées par cette maison d’édition. Grâce à cette institution, inséparable des noms de Senghor, Césaire, Damas, Cheikh Anta Diop et Alioune Diop, les auteurs et penseurs noirs ont pu se forger une visibilité et une place sur la scène mondiale de production des savoirs sur l’Afrique », rappelait Pr Mamadou Ba. De son point de vue, Présence Africaine a également favorisé la circulation des œuvres littéraires et des productions théoriques du monde noir.
Par Ibrahima BA