Sous le signe du renouveau, l’exposition « Bourgeons Printaniers » déploie une palette d’œuvres où chaque création émerge comme un éclat de transformation. À travers des regards multiples et des univers foisonnants, cette exposition invite à une exploration sensorielle et psychologique. Un voyage visuel, au cœur des mutations du monde et de l’âme humaine.
En cette matinée du 26 février, lumière naturelle et lumière artificielle se côtoient sous l’ombre des murs de la Galerie Artcanes sise près de l’aéroport de Yoff, précisément en face du Jardin tropical. Ici, règne encore un calme olympien. On n’entend que les murmures silencieux des différentes productions qui invitent à la réflexion. Quelques visiteurs se lèvent déjà avec la beauté du matin pour voyager dans les rayons du soleil encore timides, convergeant dans l’exposition « Bourgeons Printaniers ». Une appellation pour évoquer le renouveau, la croissance et la transformation, aussi bien dans le domaine artistique que dans la société. À l’image du printemps, période de réveil et d’épanouissement, cette exposition met en avant des artistes dont le travail traduit une dynamique de changement et d’émergence.
Chaque œuvre présentée est comparable à un bourgeon sur le point d’éclore, porteuse d’un futur en gestation, d’un regard neuf sur le monde et d’une créativité en perpétuelle réinvention. « L’exposition explore la manière dont l’art saisit les prémices du changement et accompagne les mutations du monde contemporain », explique Idrissa Diallo, curateur de l’exposition. À travers cette présentation collective, les artistes nous plongent dans un univers où l’art s’épanouit. Un univers où chaque œuvre oscille entre émergence et métamorphose. Un univers où la création est envisagée comme un processus organique. Ainsi surgit l’inspiration « Bourgeons Printaniers ».
Un voyage au cœur de l’art
La salle n’est pas seulement un lieu de production, mais un véritable laboratoire où se croisent héritage et innovation, donnant naissance à des œuvres en perpétuelle mutation. Ainsi disait l’ethnologue et écrivain Amadou Hampaté Bâ : « La tradition n’est pas le passé ; elle est ce qui ne passe pas ». « Bourgeons Printaniers » se veut aussi intemporelle. L’un des axes essentiels de cette exposition réside dans la mise en avant de l’atelier comme espace d’exploration, où chaque œuvre prend forme bien avant d’atteindre son état final. Ce lieu, à la fois intime et expérimental, témoigne d’un processus où la création se nourrit d’une réécriture constante, oscillant entre maîtrise et savoir-faire, entre continuité et rupture. C’est là que les créations pénètrent notre conscience. Les œuvres sont nimbées de psychologie. Complexe, certes, mais essayons quand même de briser le mur infranchissable de Daouda Ndiaye, artiste spécialisé en art thérapie et psychopédagogie. L’artiste, à travers son pinceau, tisse les liens entre passé et présent. Il superpose des ardoises composées de strates narratives à la manière des anneaux de croissance d’un arbre.
L’artiste n’est-ce pas la liberté ? Ndiaye, lui, est libre. « Sur le plan purement technique, je refuse d’être catalogué. Je préfère garder une certaine liberté qui me permet d’explorer et d’utiliser tous les matériaux qui s’offrent à moi », dit-il, sans rechigner. Sa technique, une pénétration palpable de l’esprit humain. Des figurines, des têtes dessinées en pleine méditation comme pour donner raison à Platon dans son fameux « fleuve de l’oubli » ; la réminiscence.
Longue maturation
Se souvenir et écrire, se souvenir et dessiner, se souvenir et effacer avant de recommencer avec la plus grande insouciance, sa démarche. Daouda philosophe, mais Latifa Pouye, dans ses peintures, questionne les lois de l’univers. Elle interroge les liens entre formes et symboles. Son approche oscille entre instinct et construction réfléchie, capturant cet instant fragile où l’œuvre cherche son équilibre, puis explore la tension entre ce qui est maîtrisé et ce qui demeure insaisissable.
Latifa traverse des mondes différents dans son art entre la peinture abstraite, la peinture figurative, le style néo-expressionniste ou la calligraphie arabe. Impossible pour elle de déterminer le chemin à emprunter pour façonner une œuvre. Le pinceau s’impose alors comme boussole. Pour sa démarche artistique, elle utilise le plus souvent de l’acrylique sur toile, la peinture aux couteaux ou parfois une technique mixte entre peinture et collage de différentes matières.
Plutôt que d’être figées, les créations exposées dans cette Galerie traduisent un état de transition. Elles sont le fruit d’une longue maturation, portant en elles les résonances du passé tout en esquissant de nouvelles voies. Cet esprit de quête est particulièrement visible dans le travail de Mahmoud Baba Ly. Artiste à la fois libre et académique, M. Ly explore les territoires de la peinture avec une véritable fraîcheur, en fouillant les scènes de la vie quotidienne du Sénégal. Son inspiration tient lieu de son observation permanente des scènes qui l’entourent, comme autant de figurations symptomatiques du présent et du réel. Sa peinture laisse une large place à la lumière qui fait naître un champ ouvert sur l’horizon et qui fait de ses toiles des compositions embrasées et profondes. Utilisant des techniques relativement classiques, il fait des esquisses pour ensuite préparer sa toile de fond avant de créer ses personnages et ses silhouettes. « Très inspiré par l’art de son père que celui-ci lui a transmis, il parvient toutefois à créer un univers personnel tourné vers une alchimie de couleur et une mise en scène précise », explique le commissaire d’exposition.
L’imaginaire, un territoire de métamorphose
Les images qu’il donne à voir au monde sont africaines et représentatives des couleurs de « nos terres » et de l’incarnation des êtres qui y vivent. Mais la vie, c’est aussi du palpable, du matériel. Abdoulaye Armin Kane se signale, alors. Il s’attarde sur la matérialité des œuvres, explorant les variations de textures et la porosité des surfaces. Nous plongeant dans sa technique de peinture dessin-collage sur toile, son approche, en constante évolution, rappelle que l’art n’est pas un aboutissement figé, mais un dialogue ininterrompu entre la matière et l’intention. Son travail plastique questionne en général sur le comportement de bonnes gens en quête de repères face aux mutations du monde. « Bourgeons Printaniers » ne se contente pas de préserver la mémoire : elle la réinterprète, la transforme en un matériau vivant qui alimente de nouvelles perspectives. Si certaines œuvres réinterprètent l’histoire pour en dégager de nouvelles lectures, d’autres font de l’imaginaire un territoire de métamorphose. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le travail de Dieynabou Baldé, qui nous plonge dans un univers où le réel et l’onirique s’entrelacent. Connues sous le nom de « Lewrou », les œuvres de l’artiste plasticienne explorent les territoires du rêve et de l’inconscient, où se croisent les émotions, les souvenirs et les aspirations humaines. À travers un langage visuel et poétique, elle joue avec les formes et les couleurs pour capturer les contrastes du quotidien entre lumière et obscurité, joie et mélancolie, chaos et harmonie. Peindre, pour elle, est un moyen de transcender la réalité, de la réinterpréter en y insufflant espoir et humanité. Le curateur : « Une démarche artistique où chaque toile devient une invitation à sonder les profondeurs de l’âme et à révéler cette étincelle qui éclaire les chemins du possible ». Une étincelle qui jaillit dans les sculptures de Makhone Issa Diop. Lui, son art nourri d’une profonde sensibilité traduit également une nostalgie de l’enfance qu’il sublime dans des séries dédiées aux jeux traditionnels africains.
« Bourgeons Printaniers » nous plonge dans l’invisible, où chaque œuvre révèle les mutations profondes de l’âme humaine. Chaque création est une métamorphose, un appel à l’éveil psychologique et sensoriel. Ainsi, l’art y devient un miroir qui ébranle nos certitudes et nous invite à explorer nos propres transformations intérieures.
Adama NDIAYE