Dans le cadre du Festival Jazz de Saint-Louis (du 28 mai au 1er juin 2025), le centre culturel Ndar Weesul a accueilli une exposition d’arts visuels intitulée « Griots de la peinture ». Composée de peintures sur toile et de peintures sous verre, cette exposition installe l’artiste plasticien comme un médiateur qui raconte le silence de sa communauté à travers son pinceau et ses couleurs.
Partageant les cimaises avec les peintures sous verre d’Aïssatou Pouye et de Malal Tounkara, les toiles colorées d’Alioune Badara Kébé ajoutent du pimpant au décor du centre culturel Ndar Weesul. Dans une première série de tableaux, on voit des êtres anthropomorphes qui, à la place des pattes arrière ou avant, ont des roues. Ces bêtes aux visages partiellement humains prennent la forme de chiens, de chevaux ou d’autres animaux domestiqués. Ces créatures chimériques symbolisent le soutien physique et émotionnel qu’ont longtemps représenté les animaux domestiques pour les personnes à mobilité réduite. Côté technique, l’artiste utilise principalement la peinture, le dessin et le collage.
Lui-même atteint d’un handicap moteur, Alioune Badara Kébé a ressenti le besoin d’utiliser son art pour raconter sa condition et se faire le héraut de ses semblables. Il s’agit aussi, pour le plasticien saint-louisien, de délivrer un message environnementaliste et humaniste à travers le lien entre les animaux domestiques et les personnes en situation de handicap. « Auparavant, il n’y avait pas de chaise roulante. Ce sont les animaux domestiques qui soutenaient les personnes handicapées dans leurs déplacements et étaient ainsi un prolongement de leur humanité. Ce n’est pas pour rien que le wolof dit Lafañ, boroom mbaam lay faral (la personne handicapée prend le parti du propriétaire de l’âne) », explique Alioune Badara Kébé, qui avait d’abord envisagé d’écrire un livre avant de se raviser et de rester dans la voie de la peinture.
Cette familiarité entre l’homme et l’animal dans les œuvres renvoie aussi au diptyque enracinement et ouverture. Cette fois, au-delà du champ culturel, cela concerne les faits naturels et sociaux qui entourent la condition humaine.
Lumières d’espoir
Il s’agit de célébrer non pas les valeurs, qui sont relatives, mais surtout les vertus, et de considérer les vices avec bienveillance et humanisme. Il faut comprendre et préserver sa culture, sans pour autant exclure la biodiversité, sans laquelle le monde n’existerait pas et ne trouverait pas son équilibre. Une autre série, intitulée Espoir, présente la pirogue comme fil rouge. Le visiteur découvre, sur chacune des embarcations, un convoi d’humains se dirigeant vers l’horizon occidental, sans entrevoir la destination ni ses réalités. Au-dessus des têtes des migrants, dans toutes les œuvres, le soleil brille intensément et illumine cette pièce du centre culturel Ndar Weesul. Alioune Badara Kébé explique que le soleil brille partout et pour tout le monde, et qu’il peut symboliser l’espoir et les chances qui valent pour chaque être humain. Il aborde ainsi le thème de la migration autrement.
Cette idée d’espoir revient aussi dans une toile représentant des pêcheurs qui, dans un malheureux contexte de raréfaction des ressources halieutiques, vont chercher leur pitance, guidés par l’espoir pour seule boussole.
Sur l’une des œuvres montrant le rush de migrants obstinés sur la route de l’Eldorado, Alioune Badara Kébé (se) questionne : « À quand l’Afrique ? ». S’inspirant notamment de la littérature, l’artiste emprunte cette interrogation à l’historien Joseph Ki-Zerbo pour susciter la réflexion et le sursaut. À ses yeux, une œuvre d’art doit interpeller. Et les Africains doivent se demander, à juste titre, quand ils seront vraiment libres, et quand ils auront pleinement la maîtrise (abusus) de leurs ressources. Malgré tout, le plasticien reste optimiste, en accord avec son esprit et sa signature artistique.
Hommage
Alioune Badara Kébé aborde des sujets graves, mais les colore toujours de tons très chatoyants. Il raconte des histoires avec la forme et avec la joie. D’où le titre «Griots de la peinture ».
Alioune Badara Kébé confie avoir réfléchi à ce thème depuis 2020 : « Je devais participer à un festival en hommage aux Africains en France, Couleurs, Paroles d’Afrique. Je me suis dit que la meilleure figure africaine, celle qui raconte ce qu’elle a de plus précieux – son histoire et sa culture -, c’est le griot. J’ai toujours voulu être ce lien, ce lien entre nous et avec les autres », déclare-t-il. Le symbole du griot évoque également la diversité, la multiplicité des voix, des manières, des goûts, des saveurs ; la transversalité et l’humilité.
Alioune Badara Kébé, artiste visuel, est fondateur et directeur de l’Agence Baobab Culture, ancien responsable de la Galerie du Fleuve à l’Institut français de Saint-Louis. Après des études en gestion informatique et administrative, il se consacre aux arts plastiques et à l’accompagnement des jeunes artistes. Il est également commissaire d’exposition, à la tête de plusieurs projets curatoriaux entre 2012 et 2024.
Mamadou Oumar KAMARA