Depuis les années 1920, après un siècle donc, Saint-Louis tend toujours aussi bien son cœur que ses oreilles au jazz. Cette musique, apportée en cadeau merveilleux par les soldats américains, les marins et des tirailleurs sénégalais revenus des tranchées, a su trouver en Ndar une chambre. Tant l’esprit de cette musique correspond au rythme de la ville tricentenaire. Depuis 1991, le Festival international de jazz de Saint-Louis (St-Louis Jazz) a su réparer l’anomalie de l’absence d’une plateforme formelle et convergente pour les férus et les acteurs du genre. Cette année, pour sa 33e édition, le St-Louis Jazz revient avec son plateau pour servir les bonheurs du jazz dans toute sa splendeur et son universalité. Quoiqu’avec ses couacs et une organisation belle de ses défaillances.
En ouverture de la 33e édition du Festival international de jazz de Saint-Louis, le mercredi 28 mai, le lyrisme s’est imposé comme le thème du soir. Aussi bien le quartet Saïko Nata que le trio Metz Fondation ont été tout poétiques dans leur performance, berçant plus les âmes sur la Place Baya Ndar (ex-Place Faidherbe) qu’ils n’ont cherché à gratter les plantes des pieds. En première, le groupe Saïko Nata a exorcisé la place et le rendez-vous trentenaire avec un set sensible, gracieux, mystique. C’est une musique disons caramélisée, composée du beurre de l’Occident et de la chaleur du patrimoine africain, mandingue notamment. Leur musique est principalement portée par la kora de Cheikh Yankouba Diabaté, qui est aussi au chant, et le piano d’Hélène Niddam. Les rythmes sont sublimement prononcés par les calebasses de Fallou Ndiaye et la basse de Hichem Takouaté. C’est une rencontre des diversités, magnifiée par une action créatrice hybride basée sur les patrimoines ouest-africain et européen. Comme dans leur déclinaison de « Carmen », cet opéra qui est ici pénétré par les esprits et les airs du Mandé.
Un dialogue des classiques d’ici et d’ailleurs
« Carmen » est d’ailleurs le titre fétiche du groupe, rendant pertinemment compte, s’il en est besoin, de sa franche hybridation. Alors que la pianiste Hélène Niddam garde la substance lunaire de cet opéra-comique, la kora lui donne sa dose tropicale et de ferveur, avec les coups de calebasse en appoint. La voix de Cheikh Yankhouba Diabaté, comme avec tout le répertoire, vient fendre la prière sonore par des chansons qui sonnent plus comme des récits. Le public a aussi bien reçu le titre « Kuruntu Kelefa », qui est une discussion charmante entre les cordes du piano et de la kora. Un peu dans le même ordre que leur « Carmen », « Les Guddi de Chopin » revisite les Nocturnes de Chopin, autre classique romantique.
En seconde partie du set de Saïko Nata, c’est autour de l’Occident de se mettre au diapason des veillées lyriques d’Afrique de l’Ouest. La voix chaude du koriste raconte, à travers le titre « Sacrifice », les réalités des autels du royaume de Ouagadou, d’après le percussionniste Fallou Ndiaye. Il s’agit notamment ici de l’histoire de Mariama, une jumelle qui devait passer à la tradition du sacrifice de la plus belle jeune fille vierge du royaume, qui se perpétrait tous les 60 ans pour assurer la prospérité. Le quartet est ensuite rejoint par le fils de Doudou Ndiaye Rose, qui a conduit une grosse batterie de tam-tams composée de la famille Niang, griots de Saint-Louis. Ça a été assurément le clou du spectacle, avec des dialogues fascinants entre le sabar et les slaps du bassiste Hichem Takouaté. C’est un moment éclectique, électrique sur lequel sont tombés la plupart du public qui venait juste d’arriver et regrettait ainsi de n’avoir pu être présent depuis le début de la performance de Saïko Nata.
Au Festival de jazz de St-Louis, le public a souvent cette habitude de se présenter à la deuxième partie, trainant souvent les pieds dans les restaurants, les cafés et la foire des produits artisanaux qui est mitoyenne à la scène IN. Certains aussi préfèrent se reposer dans les chambres, prévoyant de tarder la soirée dans les OFF sur d’autres scènes, notamment celle de l’Institut français de Saint-Louis. À propos, le public regrette beaucoup la scène « Autour de Minuit » animée par le koriste Ablaye Cissokho.
C’était comme dans un pub à ciel ouvert, avec Metz Fondation. C’était là un set qui est en parfaite correspondance avec l’identité de ce trio qui affectionne les jam sessions et s’épanouit dans l’univers underground. Avec un saxo ténor (le lead Joël Metz), une batterie (Thomas Ruokonen) et une basse (A. Gimenez), le groupe pénètre les sources et les convenances du jazz dans une rare élégance et une fine contemporanéité. Joël Metz et son saxophone, d’ailleurs un des instruments-emblèmes du jazz, a survolé les rythmes pour imposer ses fabuleuses harmonies auxquelles ont vite adhéré les spectateurs. Ça se promenait entre le free et le cool jazz, osant quelquefois le be-bop, tout en annonçant au fur et à mesure le swing qui s’emparera d’une bonne partie du chapitre, le jeudi, avec Alune Wade.
Par Mamadou Oumar KAMARA (Envoyé spécial)