Merci Jahman.
Dans le sillage du succès de cette chanson qui aura fait le tour du pays ces dernières semaines, beaucoup de mes concitoyens se sont retrouvés sur les sentiers de la mémoire en se délectant d’échos d’un passé où des mastodontes de notre landernau culturel ont soudainement refait surface pour nous faire un clin d’œil. Ou pour nous apporter un message d’un ailleurs pourtant si proche.
L’un de ces mastodontes est, bien sûr, Souleymane Faye, Jules.
Il représente cette figure, mieux, cette silhouette, à la fois disruptive et déconstructrice de l’entendement esthétique traditionnel. Cet homme qui se meut allègrement avec un air trompeur de fragilité nous rappelle le destin premier d’un artiste ; un être dont le champ de définition se situe aux marges de la société, dans ses périphéries où se trouvent les balises de son Graal
Il est viscéralement incapable de se conformer et de s’aligner aux normes même s’il s’acharne parfois à parapher le pacte communautaire, le temps d’une collaboration.
Mais, la vérité Jules, c’est qu’il ne s’agit pas de toi, aujourd’hui, en dépit du fait que tu es la pierre d’angle créatrice de ce phénomène musical ; tu en portes aussi le fardeau narratif qui nous rappelle la vanité de tout, y compris et surtout de la beauté. Tu l’introduis, le développes et le conclus. Tu réussis à être partout sans cristalliser sur ta Personne sa carte d’identité historique.
Je ne parle pas non plus de la diva Kiné Lam, qui a eu sa part d’occupations des ondes en ces temps de notre enfance, où elle parvint à positionner son amour de Dogo au centre des conversations. Elle parvint majestueusement à démontrer que la musique, l’art, de manière générale, trouvait toujours un terreau fertile dans le réel du quotidien et dans le maelstrom des relations humaines, comme le rappelait Flaubert. Kiné Lam était ainsi, et sans aucun doute cette voix reconnaissable des cérémonies sociales joyeuses, un élément de validation d’une certaine allégresse dans la communauté.
Elle n’a pas perdu de son aplomb ni l’amplitude d’une voix bénie pour distiller des sonorités identitaires. Et pourtant, ce n’est pas pour elle, que je m’aventure à coucher ces mots.
Je suis là pour parler de la Grande Dame.
Oui la personne la plus à même pour donner corps et vie à l’idée la plus aboutie du raffinement ultime, de beauté originelle et d’exemplarité caractérielle. J’ai entendu parler de sa manière valsée d’être dans la société, d’être mère, d’être grand-mère, d’être amie et confidente, d’être tante, d’être Voisine, d’être Sœur, bref d’être humaine. J’ai aussi entendu parler de l’expression de sa dévotion et son attachement à la religion, et son dévouement à son marabout pour qui elle était prête à tout sacrifice. Humble et serviable. Ces traits constitutifs de sa personne ont servi de fondements à sa personnalité où la flamboyance cède résolument la place à l’élégance. Cette dernière se révèle dans Toure sa plénitude chez cette Reine de l’Art, version Sénégalaise.
J’ai aperçu ses rides et les empreintes du temps sur elle. Les rides pour confirmer et rappeler que le temps est passé mais les anges de la beauté se sont constitués en rempart pour la soustraire du Destin de la rose de Ronsard.
Le temps et son effet corrosif sur la matière tente de ralentir ses mouvements, mais ne réussit qu’à accentuer leur grâce. Le rythme et l’harmonie en motion trouvent un chez soi on ne peut plus approprié chez cette dame qui vous rend spontanément fier et privilégié de partager un héritage avec elle, de vivre une histoire avec elle. Soda Mama.
Je ne mentionnerai pas son nom de famille de peur de susciter voire de justifier des accusations de verdict tendancieux et un brin subjectif. Soda Mama, la sonorité même de son nom est une ode à l’euphonie, et comme une évidence, elle en porte tous les stigmates.
Elle danse comme la danse, elle chante comme la chanson, bref elle est ce à quoi tout Sénégalais peut aspirer comme élément d’identification socioculturel final. Ceci est d’autant plus vrai qu’elle nous amène, de manière ludique, légère et intéressante à réaliser, en temps réel, la capacité unique de l’art de générer un consensus spontané à travers une verbalisation sociale symphonique.
L’art, cet art incarné par Soda Mama et ses amis, nous rappelle à travers cette chanson que nous avons tellement de choses en commun au regard de nos tiraillements aussi fréquents qu’improductifs.
C’est finalement la réussite, pendant un moment, un instant de notre vie, de ce phénomène ou cet évènement musical. Jules, Kiné et Soda Mama sont des gardiens. Soda Mama l’emblème floral distillant les effluves de la quintessence de la beauté du Sénégal. Accrochons un poster de Soda Mama aux murs de nos salons et auréolons nos demeures de son aura scellée dans l’authenticité. Jahman, merci.
Aziz Fall
Écrivain