Soundioulou Cissokho a vécu 72 ans. Assez de temps pour participer à donner des couleurs à notre identité musicale, et être couronné roi de son art et laisser une œuvre intemporelle.
C’est dans la nuit du 7 au 8 mai 1994 qu’est décédé Thiémokho Kandara Bamody Cissokho. La communauté mandingue venait de voir affaisser un monument. Le Sénégal était endeuillé avec la mort de l’un des pères fondateurs de la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano, temple tutélaire de sa diversité culturelle. L’État avait décrété un deuil national de deux jours, après l’enterrement au cimetière de Dakar-Yoff. La Guinée-Bissau, où il a affuté ses armes de «korafola» et où est originaire sa mère (Caro Da Sylva), était triste.
La Guinée pleurait un fils adoptif, d’où il connut son épouse et duettiste légendaire, la cantatrice Mah Awa Kouyaté. Soundioulou Cissokho est né à Ziguinchor, en mars 1921. Enfant curieux, il vit épanoui dans les vastes aires verdoyantes de la Casamance, avant d’intégrer d’abord l’école coranique à 7 ans, puis l’école coloniale à 10 ans. Il avait en ce moment non pas une aversion pour la kora, mais une indifférence qui affligeait son entourage.
D’autant plus que sa maison était une école d’art, dirigée par son père Baa Kimintan Djali Cissokho, maître en kora et en épopées du tout-Mandé. Son oncle paternel, plus investi pour insuffler l’esprit de la kora en Soundioulou, lui dit, prémonitoire : « Tu obtiendras de la kora ce qu’aucun de tes ancêtres n’a obtenu, tu iras avec elle dans des pays où aucun d’eux n’a été, et tu seras célèbre plus qu’aucun autre joueur de kora ». La pluie allait confirmer très vite la météo.
L’histoire raconte que quelques jours après la prédiction, le petit Soundioulou va se saisir d’une kora pour rectifier de grands élèves de son oncle, au cœur de la concession. La légende débute. Avant même sa majorité, déjà chevronné, le jeune chanteur et joueur de kora acquiert le succès dans toute la Casamance. Le surnom Soundioulou lui est collé à cette période par ses admiratrices. À 17 ans, il commence un parcours hors de son terroir, qui le mène d’abord en Guinée-Bissau, dans les autres régions du Sénégal (1943), et ensuite au Mali dès 1948. C’est après qu’il tourne avec Les Ballets africains de Keïta Fodéba et se fait connaître hors de l’Afrique.
Il s’établit à Dakar en 1954, et conquiert très vite la capitale de l’Aof. On le réclamait pour les banquets, les cérémonies populaires, les veillées. Sa légendaire urbaine est lancée. Un doigté unique sur un registre syncrétique 1962, il intègre officiellement le Théâtre du Palais de Dakar, et devient membre-fondateur du Théâtre national Daniel Sorano en 1965. « Soundioulou fut un de mes tout premiers compagnons, un des supports de ce mouvement théâtral qui engendrera plus tard une troupe d’artistes abritée par le Théâtre du Palais. Il comptait parmi ceux qui avaient réussi à imprimer à la troupe une foi et une vivacité communicatives qui nous permirent d’assumer pleinement le pari du renouveau théâtral », témoignait le concepteur et tout premier directeur du Théâtre Daniel Sorano, Maurice Sonar Senghor, au jubilé de Soundioulou 1982.
Soundioulou se distinguait par la pureté de son jeu, la richesse de son interprétation mise au service des grands morceaux du répertoire traditionnel, sa sensibilité culturelle et artistique unique. « Il s’est donné à fond à sa kora jusqu’à l’épuisement, gagnant l’admiration et l’affection du public », poursuivait Maurice Sonar Senghor. « Ses doigts agiles jouaient de l’instrument avec tant de maestria, étrennant les notes limpides et harmonieuses de son fameux tube « Mariama », que l’on a cru à l’immortalité du grand maître Soundioulou », écrivait le journaliste Jean Pires du Soleil au lendemain de son décès.
Soundioulou est présent dans les plus belles pages de l’histoire du Théâtre national Daniel Sorano dont il est le précurseur de l’Ensemble lyrique. Il fera les autres continents avec la troupe pour promouvoir nos identités et égayer les grands rendez-vous culturels du monde. Sa notoriété internationale va être confortée avec les honneurs de Sékou Touré à l’occasion de l’inauguration du Palais du Peuple (1967) et la série de performances en Côte d’Ivoire (1974) avec sa femme Maa Hawa Kouyaté, au cours duquel la presse locale va les surnommer « Le couple royal de la musique traditionnelle ».
Ce sera d’ailleurs le titre de l’album du couple amoureux et musical, enregistré en 1980 au terme d’une tournée africaine et européenne. En 1972, il recevait la médaille suprême de la Société des auteurs compositeurs éditeurs de musique (Sacem-France) pour l’ensemble de ses 58 œuvres déposées. C’est en 1981 que Soundioulou prend sa retraite administrative. Il effectue une tournée nationale, clôturée les 28 et 29 avril 1982 avec un jubilé au Théâtre Daniel Sorano. Il se met ainsi en retrait de la scène, se consacrant à la transmission et l’enseignement de la kora et de la musique traditionnelle. Il meurt 12 ans après.
Mamadou Oumar KAMARA