Emblème de beauté et marqueur identitaire, le tatouage fait partie des vieilles traditions dans le Ferlo, notamment chez la communauté peule. Si certaines femmes et jeunes filles se tatouent le contour des lèvres et de la bouche, d’autres se contentent de se pigmenter la gencive. Cependant, avec les jeunes générations qui privilégient une esthétique plus globalisée, cette pratique traditionnelle séculaire, autrefois considérée comme un marqueur d’appartenance culturelle, amorce un déclin progressif et risque de s’éteindre définitivement.
Dents blanches, gencives tatouées, contours des lèvres pigmentés, sourire éclatant… Chez les Peuls, la beauté se conjugue au féminin. La culture de cette communauté est riche de traditions et de pratiques qui puisent leurs racines dans les pratiques ancestrales. Le tatouage qui s’inscrit dans les normes esthétiques et identitaires en fait partie. Il est rentré dans leurs mœurs, devenant un élément incontournable de leur culture qu’ils ont su préserver et transmettre depuis des temps immémoriaux. Il n’est pas rare de croiser une femme ou une jeune fille arborant fièrement son tatouage, qu’il s’agisse du tatouage gingival appelé « sokko » qui ne disparait jamais une fois que l’opération est réussie et celui des contours buccaux appelés « touppoungal ». Un signe qui permet de les distinguer des autres groupes ethniques. Dans le Ferlo, n’est pas tatoueuse qui veut. Les secrets de cet art particulier sont détenus par les Laobés, les seules habilitées à pratiquer le tatouage, qu’il soit buccal, labial, gingival. À Billy Fafabés, bourgade située à l’est de la commune de Ranérou, « Le Soleil » est allé à la rencontre des femmes, réputées être les anges gardiennes de cet art. Dans ce village, le tatouage est pratiqué par la famille Sow. L’aînée, Mariam, fait partie des sentinelles de ce rite. Depuis la disparition de sa mère qui était détentrice du secret de cette pratique, elle s’efforce de jouer un rôle essentiel dans le maintien de cette tradition familiale. La cinquantaine révolue, Mariam Sow revient avec nous sur l’histoire, la portée et le symbolisme entourant cette pratique qui remonte dans le temps. « Nous avons hérité ce métier de nos grand-mères. Nos mamans l’ont perpétuée. Aujourd’hui, c’est à nous de la conserver et de la transmettre à la nouvelle génération », déclare-t-elle, confiante. Dans le passé, dit-elle, « ce sont de jeunes filles braves et courageuses » qui se faisaient tatouer.
À travers cet art, elles voulaient se faire belles, et en étaient fières. À l’époque, les filles le faisaient par tranche d’âge, explique la tatoueuse. D’après elle, la tendance se justifiait par le mimétisme. Constatant que leurs mamans et aînées avaient le tatouage à la bouche et/ou aux lèvres ou encore à la gencive, les jeunes filles n’hésitaient pas à les imiter. À en croire Mariam Sow, il arrivait souvent que de jeunes filles fuguent pour aller se faire tatouer à l’insu de leurs parents. Ces derniers seront juste mis devant le fait accompli, impuissants. Dans ce cas de figure, si la jeune fille n’a pas par-devers elle de l’argent pour s’acquitter du coût du service, elle laissait en gage un objet de valeur comme une bague ou un bracelet en or, confie Mme Sow. Si elle retourne chez elle, ses parents venaient récupérer l’objet précieux moyennant le paiement de la prestation. L’inverse pouvait aussi se produire, selon notre interlocutrice. Des parents des jeunes filles qui souhaitaient se faire tatouer pouvaient inviter les maîtresses de cet art. Ce qui sous-entend le consentement des parents. « J’ai trouvé que des membres de ma famille pratiquaient cet art. Je n’ai pas hésité à suivre leurs pas », explique Fatou Diallo, jeune dame de teint clair. À l’en croire, le tatouage permet à la fille de s’identifier à sa communauté. Et de reconnaître facilement son appartenance, dit-elle. Très souvent, ce sont de jeunes filles âgées entre 12 et 14 ans qui s’adonnent à cette pratique jugée thérapeutique par certains. Dans cette famille, K. S., âgée de 14 ans, est l’unique jeune fille qui ne s’est pas fait tatouer. « Je n’en veux pas et je ne le ferai jamais. Personne ne pourra m’y contraindre », réagit-elle, sèchement, en présence de son père, Mamoudou Sow, qui ne compte guère lui imposer de se tatouer. «C’est son choix. Je le respecte», rassure-t-il.
Par Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes) et Mbacké BA (photos)