À Saly comme partout sur le littoral, les populations locales ne profitent que très peu des établissements touristiques. Entre la cherté des pensions et le regard social, les promoteurs doivent redoubler d’efforts pour attirer une clientèle nationale qui pourrait bien participer à la relance du secteur touristique au Sénégal.
MBOUR – En ce début d’après-midi, la météo affiche 31 degrés. Sous un ciel bien dégagé, les plages de Saly Portudal accueillent des centaines de personnes venues profiter du beau temps. Entre musique, jeux de société, séances sportives ou balades en famille, chacun vient passer un moment agréable. Cette ambiance festive, qui anime les belles plages de sable fin, attire chaque jour des touristes désireux de humer le parfum salin de l’Atlantique.
La station balnéaire de Saly s’étend sur plusieurs kilomètres. Tout le long du littoral sud de Dakar, se dressent des hôtels et des résidences privées. Mais ce paysage paradisiaque, qui fait rêver des visiteurs venus des quatre coins du monde, reste inaccessible pour de nombreux locaux. Depuis toujours, Benoît Coly vit à Mbour. Amateur de plages, il se rend souvent à Saly pour profiter de la compagnie des vagues. Mais dormir à l’hôtel ? Il n’y pense même pas. Des alternatives à la pension complète « Depuis ma naissance, je n’ai jamais eu l’opportunité de loger dans un hôtel. Les prix sont exorbitants pour nous, les jeunes. Avec la situation du pays, on ne peut pas se permettre un certain luxe. Quelqu’un qui fait vivre toute une famille ne peut pas se payer le luxe d’une chambre d’hôtel. Peut-être qu’un jour, j’aurai de quoi me l’offrir, mais pour le moment, c’est trop cher », confie-t-il, avec un sourire désabusé.
Comme Benoît, nombreux sont les jeunes Sénégalais qui rêvent d’un séjour à l’hôtel, sans pouvoir s’en donner les moyens.Sur la plage de Safari, le vent marin caresse les cocotiers qui se plient et se redressent au rythme des bourrasques. Plus loin, un groupe d’enfants fait une course à pied. Des vendeurs de collations et de beignets cherchent des clients. Assise sur un pagne blanc étendu sur le sable, Odile profite de ses congés. Faute de pouvoir s’offrir une nuitée dans un palace, elle a trouvé une formule qui lui convient : une demi-journée à l’hôtel avec accès à la piscine et à la plage, boisson comprise. « C’est un peu coûteux pour moi de prendre une pension complète. Mais avec moins de 10.000 de FCfa, j’ai accès à la piscine et à la plage toute l’après-midi. Ça me permet de changer d’air et de me sentir mieux », explique-t-elle, satisfaite.
D’autres obstacles, surtout d’ordre socioculturels, freinent la fréquentation des hôtels par les locaux. C’est le cas d’Assane, qui souligne le regard suspicieux que la société porte sur les clients des hôtels. «Chez nous, les gens pensent que fréquenter les hôtels, c’est avoir des mœurs légères. Même si j’en ai envie, je ne me vois pas quitter ma maison pour séjourner à l’hôtel juste pour me faire plaisir », regrette-t-il. En réalité, la culture sénégalaise n’a pas encore totalement intégré l’hôtel comme lieu de détente familiale ou personnelle, contrairement à d’autres sociétés où ce type de séjour est banal.
Quand la culture freine le tourisme local Du côté des professionnels, les arguments sont d’abord économiques. Entre les coûts de construction, les charges salariales, l’entretien des infrastructures, et surtout les factures d’eau et d’électricité, les marges de manœuvre pour baisser les prix sont limitées. Pour Ibrahima Sarr, directeur de l’hôtel Les Filaos de Saly, le débat ne devrait pas tourner uniquement autour des prix. « Le bien-être n’a pas de prix. Le tourisme n’est pas une affaire de riches, mais de culture. Depuis plus de quarante ans que je suis dans l’hôtellerie, je vois que les Sénégalais viennent chercher le bonheur dans nos établissements», dit-il.
Il reconnaît que la perception sociale évolue grâce à la diaspora et aux réseaux sociaux. « 95 % des clients que nous recevons actuellement sont des Sénégalais. Ils comprennent que venir à l’hôtel n’est pas synonyme de débauche. La diaspora aussi est un bon client. Quant aux prix, ils s’expliquent par les lourds investissements nécessaires pour faire tourner un établissement hôtelier», souligne Ibrahima Sarr.
Le tourisme local représente une opportunité stratégique pour la relance du secteur au Sénégal. Mais pour que les populations locales puissent vraiment en profiter, il faudra lever plusieurs freins : économiques, culturels et logistiques. Il appartient maintenant aux promoteurs, autorités et collectivités de mieux adapter l’offre aux réalités des Sénégalais, tout en poursuivant les efforts pour valoriser le potentiel exceptionnel de la Petite-Côte.
Diégane DIOUF (Correspondant)