Le Tribunal interdiocésain de Thiès joue un rôle central dans la régulation de la vie matrimoniale des catholiques sénégalais. Dirigé par des prêtres formés en droit canonique, il traite les demandes d’annulation de mariage, les sanctions contre des prêtres et même l’invalidité de certaines ordinations. L’Abbé Tobie Oscar Badiane, vice-président de cette juridiction ecclésiastique, nous ouvre les portes d’une institution peu connue, mais cruciale pour la vie spirituelle des fidèles.
Peu connu du grand public, le tribunal interdiocésain de Thiès représente une juridiction originale et d’exception dans le contentieux lié à la foi. Doté de plusieurs attributions en lien direct avec la vie et la foi des fidèles et des acteurs de l’église, il tranche sur plusieurs affaires. « Le grand travail est vraiment figé sur les causes matrimoniales », explique d’emblée Abbé Tobie Oscar Badiane. Chaque année, entre 16 et 20 dossiers sont traités au tribunal de Thiès, concernant des fidèles mariés à l’église, mais séparés civilement. Ils sollicitent alors l’Église pour que le lien sacramentel soit aussi rompu. « Nous déclarons l’invalidité du mariage, parce qu’une personne peut se marier à l’église de manière invalide », précise-t-il.
Ce jugement repose sur l’existence de « vices de consentement », tels que le manque de liberté, la crainte grave, l’infidélité antérieure ou encore l’absence d’âge canonique (14 ans pour les filles, 16 ans pour les garçons). Le droit canonique, pilier de la procédure Le processus commence par une demande écrite adressée au président du tribunal, accompagnée d’un dossier comprenant l’extrait de baptême, le jugement civil de divorce, des certificats médicaux et autres preuves. Le président confie ensuite l’affaire à un juge instructeur chargé de l’interrogatoire des parties et des témoins.
L’Abbé Tobie Oscar Badiane précise que « l’instruction dure généralement une demi-heure, mais tout dépend des cas ». Les parties sont entendues séparément, par souci de neutralité. « On ne les écoute jamais ensemble, c’est pour avoir plus de justice et mieux évaluer la chose », justifie-t-il. Une fois l’instruction achevée, une délibération a lieu entre les membres du tribunal : le président, le vice-président, le défenseur du lien, le promoteur de justice, et un notaire. « C’est à la majorité que la décision est prise et le président ne fait qu’entériner ce que la majorité décide », souligne l’Abbé Badiane.
Le Tribunal ecclésiastique s’appuie sur le droit canonique, la loi propre à l’Église catholique. « Il y a des avocats spécialisés, prêtres ou laïcs, qui maîtrisent ce droit », explique le vice-président. Le tribunal de Thiès est une juridiction de première instance. En cas de désaccord avec la décision rendue, les parties peuvent faire appel au Tribunal d’Abidjan, qui est la cour d’appel interdiocésaine. Un tribunal interdiocésain et actif Mais l’Église ne se précipite pas vers la nullité matrimoniale. « Avant même de commencer l’interrogatoire, la première chose à faire, c’est de militer pour la réconciliation », insiste l’Abbé.
Fidèle à l’enseignement du Christ, l’institution cherche d’abord à rétablir le dialogue et l’harmonie dans le couple. Cependant, lorsque la situation devient irréversible, « l’Église doit rendre justice à ses fils qui demandent à être libérés d’une situation difficile ». Une fois la sentence de nullité rendue, les fidèles sont autorisés à se remarier à l’église, à condition que la sentence ait été transmise à leur curé de paroisse. Le tribunal est interdiocésain, c’est-à-dire commun aux sept diocèses du Sénégal. Son président réside à Kaolack, mais assure des permanences à Thiès tous les quinze jours.
L’Abbé Tobie Oscar Badiane, quant à lui, est présent deux fois par semaine. « C’est un tribunal qui fonctionne pratiquement tous les jours », affirme-t-il. Outre les affaires matrimoniales, il traite aussi des contentieux liés à des sanctions pénales infligées aux prêtres et fidèles. Une procédure essentiellement écrite « L’Église a un droit pénal et certains prêtres peuvent faire l’objet de peines canoniques. Ces causes sont également examinées ici », informe Oscar Badiane. Il arrive même que le tribunal statue sur l’invalidité de certaines ordinations sacerdotales. « Un prêtre peut être ordonné de façon invalide, et cela relève aussi de notre juridiction », explique-t-il. Les procédures sont exclusivement écrites, tant pour les causes matrimoniales que disciplinaires. « La personne rédige une demande adressée au tribunal avec tous les documents nécessaires », déclare le religieux.
Un seul des conjoints suffit pour saisir le tribunal. L’autre est ensuite convoqué pour être entendu séparément. « Dans la plupart des cas, les couples sont déjà séparés. Nous respectons donc leur distance », dit-il. Une fois la nullité prononcée, l’église permet aux fidèles de reconstruire leur vie sacramentelle. « Tant que la sentence n’est pas prononcée, ils ne peuvent pas se remarier à l’église. Mais une fois la sentence rendue, ils sont libres de le faire ou non ». Le tribunal délivre alors un acte officiel, transmis aux curés des paroisses concernées afin que la situation des intéressés soit connue et prise en compte pastoralement. « C’est pour leur bien spirituel, et pour permettre leur réintégration dans la communauté », conclut l’Abbé.
Daouda DIOUF