Il y a tout de même quelque chose de profondément troublant dans l’affaire Fulbert Sambou et Didier Badji : peu de journalistes, de chroniqueurs, de responsables politiques et d’acteurs de la société civile évoquent ce dossier. Même les défenseurs des droits humains, d’ordinaire très sensibles à ce genre de situation, se sont montrés d’une prudence inhabituelle. Pas de tribunes dans les journaux. Pas de grandes mobilisations.
Encore moins d’émissions ou de plateaux spéciaux. Pourquoi ? De quoi les gens ont-ils peur ? Y a-t-il des mains invisibles derrière ce silence macabre ? Et pourtant, nous sommes bien face à une situation terrible, inédite : la disparition de deux militaires en exercice. Fulbert et Didier, agents jugés exemplaires et ayant rendu de bons et loyaux services à la Nation, ont disparu, le 18 novembre 2022, dans des conditions qui ne sont toujours pas élucidées. Laissant orphelins tout un monde : leurs épouses et enfants, leurs collègues et amis.
Ce qu’il y a de plus inacceptable dans ce dossier, c’est que le pays qu’ils ont servi, défendu, protégé, aimé et respecté jusqu’au dernier souffle de leur vie, semble les avoir abandonnés, sans montrer de volonté manifeste de traquer et de punir les criminels qui les auraient lâchement enlevés. Comment expliquer, trois ans après, les lenteurs observées dans la conduite des enquêtes ? Aucune avancée significative. Beaucoup ont le sentiment que certains cherchent à empêcher l’éclatement de la vérité, que la lumière soit enfin faite pour rendre justice aux deux braves militaires. Trois ans après, ce sont toujours les mêmes questions sans réponse qui assaillent les familles et leurs soutiens : qui a donné l’ordre de les enlever ? Et surtout, qui a commandité leur enlèvement ?
Exiger la lumière sur cette affaire est le minimum que notre pays puisse faire pour honorer la mémoire des illustres disparus. En revanche, adopter la stratégie du pourrissement pour éviter cet exercice de justice —et empêcher ainsi les Sénégalais de savoir ce qui s’est réellement passé la soirée du 18 novembre 2022— serait un précédent dangereux aux conséquences fâcheuses. Plus qu’un mauvais signal, cela ferait basculer le Sénégal dans la catégorie des États où l’impunité devient la norme, où des citoyens, et même des militaires, peuvent disparaître en toute impunité. Peut-on l’accepter ?
Bien évidemment, non. En décidant de servir sous les drapeaux, Fulbert Sambou et Didier Badji avaient choisi la République, son idéal, ses promesses, ses valeurs et ses fondamentaux, consentant à d’énormes sacrifices par amour pour la patrie. Cette République qui a failli, en ne parvenant pas à les protéger contre leurs bourreaux, a, aujourd’hui, une belle occasion de se racheter.
Comment ? En se mobilisant aux côtés des familles qui remuent ciel et terre, multipliant les initiatives (hommages aux disparus, messes, marches pacifiques, points de presse), pour exiger vérité et justice. Toute autre démarche serait indigne du Sénégal, connu pour sa riche trajectoire démocratique et son attachement au respect des droits humains.
En réalité, les familles du sergent Fulbert Sambou et de l’adjudant-chef Didier Badji ne réclament pas l’impossible. Tout ce qu’elles veulent, c’est qu’on les aide à identifier les malfaiteurs et leurs commanditaires. C’est seulement après, elles l’ont dit et répété, qu’elles pourront faire le deuil et envisager le pardon. Autrement, le pardon doit être précédé d’un préalable : l’exercice de vérité et de justice. abdoulaye.diallo@lesoleil.sn

