Intemporel ! Avant-hier, le film du spectacle « Birima » a été projeté au Complexe Pathé Dakar. Ce conte musical, écrit par Pape Omar Ngom et Youssou Ndour, a été interprété au Théâtre du Châtelet (France), en septembre 2023. La captation importée donne à admirer le génie sénégalais dans un art majuscule et en splendeur. Moult traits sont à retenir de ce chef-d’œuvre spectaculaire. D’abord, l’aisance presque innée de Youssou Ndour à négocier les virages, avec une fine intelligence des situations. Sans tourner casaque à ses principes artistiques, YN s’aligne toujours admirablement au diapason.
Très souvent en se plaçant en avant-garde et posant les jalons des transmutations. C’est là où réside son exception : il puise dans les sources du patrimoine culturel, et répond sans complexe aux sirènes parfois même pas encore écloses de leurs œufs. Ce faisant, YN inspire une démarche salvatrice dans une ère embrumée d’errance et de cafouillages. Nous ne cessons de le défendre, la clef est de s’inspirer du patrimoine. Suivre le progrès oui, mais célébrer et élever nos identités itou. Illuminer nos imaginaires qui, en dépit de toutes pirouettes du réel, demeurent notre essence la plus authentique. Dans « Birima », YN n’est toutefois que la locomotive d’une synergie de grands talents. Son étoile illumine la chose ; éventuellement plonge-t-il dans les souvenirs de la première partie de sa carrière professionnelle cinquantenaire.
YN a débuté sa profession à 13 ans, en tant que chanteur de Sine Dramatique, embauché pour déclamer l’hymne de ladite troupe théâtrale. Il retrouve ainsi ses premières amours, ses premières pulsions, dans une merveilleuse mise en abyme orchestrée par Majaw Njaay. Ce dernier, qui avait mis en scène la cérémonie d’ouverture de la 15e édition de la Biennale Dak’Art, excelle, car il crée en harmonie avec le public et les subtilités des temps.
Le prodigieux metteur en scène prête alors son génie au tableau dramaturgique de « Birima ». Une fresque où chaque partie est flamboyante. Les costumes de Maguette Guèye marquent l’époque (1855-1859) sur-mesure, les comédiens interprètent magistralement l’Histoire, les musiciens composent un feu d’émotions, la chorégraphie est parfaitement exécutée, le conte maîtrisé, et Youssou Ndour donne pleine mesure à son art. Majaw Njaay a surtout l’ingéniosité de mettre en mouvement nos valeurs bienfaisantes, avec une sélection adaptée de l’éléphantesque répertoire de Youssou Ndour. Via ces arts, la troupe a exalté nos propriétés et vertus cardinales : sacralité de la parole, honneur, dignité, fidélité, courage, dilection, solidarité, bienveillance.
La tradition, l’oralité, la modernité. Maitrise, justesse, panache. Quel meilleur médium que le théâtre pour passer cette sublime dépêche ? Cet art majeur traverse, malheureusement, depuis un bon moment, un « itinéraire de page blanche à la scène », tel que le regrettait en 2005 déjà l’ancien directeur du Théâtre Daniel Sorano, Ousmane Diakhaté. Plusieurs acteurs méritants et actifs fournissent un effort considérable pour la relance.
On pense à Mamadou Diol, Yacine Sané, Meïssa Gueye, Kader Diarra, Seyba Traoré avec le Sorano bien sûr, entre bien d’autres. Mais l’élan reste brisé. Le 6e art a pourtant connu un âge d’or ici, en évoluant des planches de Sorano dont la troupe dramatique faisait le tour du monde avec des pièces d’envergure, pour passer à l’urbain, au théâtre populaire (domicilié à ses premières années au ministère de la Jeunesse, avec en 1969 les Assises du théâtre populaire), au théâtre forum et à la petite lucarne. Une déstructuration a gagné son champ depuis pratiquement 30 ans, gangrénant ses institutions, son école, ses troupes, son esprit. Le manque de critique corrective et la censure du pouvoir exacerbée par un financement insuffisant avaient entamé le cancer. La désaffection voire l’ignorance du grand public s’ajoutant, l’exponentielle virtualité, la confusion de genre et la démêlée portent l’estocade. Un Grand Théâtre national qui (re)trouve sa vocation, l’implication effective des municipalités et surtout le retour du théâtre scolaire pourraient être d’un grand secours. Ah cette période où nous recevions le théâtre le mercredi à l’école élémentaire pour des après-midis didactiques, ludiques et cathartiques ! mamadououmar.kamara@lesoleil.sn
Par Mamadou Oumar Kamara