C’est toute une philosophie de l’élevage, une trajectoire humaine enracinée dans les traditions du Fouta et résolument tournée vers l’avenir qui a été présentée, mardi 5 août, au Musée des civilisations noires (Mcn). « Une vie pour l’élevage », tel est le titre limpide de l’œuvre signée Abou Kane, à la fois autobiographie pudique, traité technique d’élevage ovin et manifeste pour une réforme agricole audacieuse.
C’est dans une atmosphère empreinte d’émotion et de solennité que s’est tenue, mardi 5 août, au Musée des civilisations noires (Mcn), la présentation du livre « Une vie pour l’élevage » de El Hadj Oumar Kane dit Abou Kane, suivie d’une séance de dédicaces. L’événement a rassemblé plusieurs personnalités de premier plan issues des sphères politique, religieuse, culturelle et agricole, notamment le ministre de l’Agriculture et de l’Élevage. Cette diversité des invités illustre la reconnaissance institutionnelle et communautaire d’un homme dont l’engagement en faveur de l’élevage ne fait plus débat. À la fois récit de vie et manuel technique, « Une vie pour l’élevage » de Abou Kane mêle mémoire intime et expertise en élevage ovin. Dans la première partie, l’auteur plonge le lecteur dans l’univers culturel des Foutankés, entre foi, vertu, respect du droit d’aînesse et attachement communautaire. Il y restitue avec finesse l’héritage moral de ses aînés, père, mère, frères qu’il a su adapter aux défis contemporains. Mais c’est dans la seconde partie que le livre déploie toute sa richesse. Abou Kane y raconte, avec une clarté remarquable, l’épopée de la création du Ladoum, cette race ovine d’élite devenue emblème national. « La partie la plus succulente, c’est quand l’auteur fait la généalogie de ces « Rolls Royce » comme nos bardes et grands griots continuent à le faire pour les membres des familles nobles. Des moutons aux noms évocateurs, comme « Senghor », « Kabila », « Boy sérère », « Gorgui », deviennent des personnages si bien dessinés qu’au fil des pages, on ne sait plus si ce sont des moutons ou des dignitaires de la communauté », a souligné le préfacier Samba Ka, ancien fonctionnaire international.
Transmettre
M. Kane, a-t-il souligné dans la préface, nous avertit que pour réussir cet élevage d’élite, il faut certes de la pugnacité, de la hardiesse, de l’obstination, mais aussi et surtout des pratiques éclairées par une démarche scientifique : « Les recettes et pratiques de cet élevage « scientifique » sont exposées en détail et le lecteur même néophyte pourra se familiariser avec les termes de la médecine vétérinaire, réputés ésotériques. » Pour Sidy Diop, conseiller éditorial du directeur général du journal Le Soleil, par ailleurs présentateur du livre, en lisant ce livre, on mesure combien l’enfance est une école. Et combien certaines familles sont, à elles seules, des univers entiers d’éducation, de transmission, de foi et de courage. « Son approche scientifique, son engagement en faveur de l’amélioration des races locales et sa détermination sans faille ont fait de lui une référence incontestée dans le milieu de l’élevage », a souligné l’écrivain.
Dans la dernière partie de l’opus, Abou Kane esquisse une politique d’élevage visionnaire. Pour lui, l’avenir passe par la fin de la transhumance au profit de la stabulation moderne. Ainsi, il appelle l’État à accompagner les éleveurs dans cette transition vers un élevage rationnel, productif et durable.
Dans une déclaration riche en introspection, il a expliqué la genèse de son ouvrage. Pour lui, « Une vie pour l’élevage » n’est pas seulement une autobiographie ni un récit d’autopromotion, mais un acte de transmission. « Écrire sur son propre parcours, ce n’est pas s’ériger en modèle, c’est jeter une passerelle vers les autres, surtout vers cette jeunesse qui cherche des repères », a-t-il souligné. Face aux nombreuses sollicitations suite à ses publications en ligne, a-t-il confié, l’auteur a ressenti le besoin de structurer ses réponses et d’offrir une vision globale de son engagement à travers un livre. L’objectif : éclairer, inspirer et partager.
Au fil de son allocution, l’auteur a retracé les grandes étapes souvent douloureuses de son parcours. Il revient notamment sur les critiques reçues lorsqu’il a introduit des notions de sélection, de génétique et de métissage dans l’élevage traditionnel. Une prise de position à contre-courant, parfois raillée, souvent incomprise.
Revenant sur l’élevage du mouton ladoum, l’auteur a insisté sur la nécessité d’un encadrement scientifique. Ainsi, à ses yeux, le Ladoum n’est pas une fantaisie esthétique. C’est le fruit d’un travail minutieux, génétiquement exigeant, où chaque accouplement compte. Et de citer Cheikh Anta Diop en cohérence avec sa vision : pour réussir dans l’élevage, « il faut s’armer de science jusqu’aux dents. »
L’avenir de la filière Dans la partie la plus prospective de son intervention, l’auteur a formulé trois priorités à adresser d’urgence pour structurer la filière ovine au Sénégal. Il s’agit de l’homologation du Ladoum pour la reconnaissance et la protection de ce patrimoine génétique national, de l’autosuffisance en moutons pour mettre fin à la dépendance extérieure lors des fêtes religieuses et de la réduction des coûts d’alimentation via le développement de cultures fourragères adaptées au climat et aux réalités du terrain.
Le mot de la fin s’adresse à la jeunesse, souvent en quête d’orientation. L’auteur les exhorte à embrasser l’élevage sans complexe. « N’ayez pas peur d’aimer la terre, d’aimer les moutons. L’élevage n’est pas un repli, c’est un avenir », a lancé le président de la Fédération nationale des acteurs de la filière ovine.
Par Adama NDIAYE