L’œuvre d’Amadou Hampâté Bâ est plurielle, riche et pleine d’instructions. Mais une œuvre retient particulièrement l’attention de ses fidèles lecteurs, qui ressentent toujours autant d’émotions et de fierté à son évocation : Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara.
La spiritualité chez Amadou Hampâté Ba a vu le jour très tôt grâce à sa mère Kadija Pâté Pullo, fille de Paté Pullo, un des compagnons d’El Hadj Omar Tall, et Tidjani Thiam, son père spirituel. Néanmoins, celui qui aura réussi à faire éclore cette graine n’est autre que Tierno Bokar Salif Tall, son maitre spirituel. C’est lui qui l’a initié au Coran ainsi qu’aux sciences islamiques. En guise d’hommage, Amadou Hampâté Bâ a décidé de lui consacrer un livre après sa mort, ainsi qu’à tous les enseignements qu’il lui aura prodigués. Récit fidèle de l’esprit mais surtout du cœur de Tierno Bokar, cet ouvrage lie à la fois faits historiques et enseignements religieux, spirituels et moraux. La lecture de cette œuvre ne laisse jamais indifférent.
Madame Ndiaye, née Hadjiratou Ba Ndongo, prof de Français à Thiès, n’a pas hésité à parler de ce livre. « Le livre qui m’a le plus marqué, c’est Vie et enseignements de Tierno Bokar. De tous ses livres c’est celui qui m’a le plus aidée du point de vue spirituel, philosophique. C’est un livre qui m’a aidée. Au contact de Tierno Bokar, on apprend la tolérance, on apprend à se dépasser, à faire même ce qu’on appelle le don de soi, à se sacrifier pour les autres et à se donner entièrement à son seigneur parce que malgré toutes les souffrances, toutes les injustices subies par Tierno Bokar, il inculquait et encourageait les autres à la tolérance, à ne pas s’entretuer. Et jusqu’au bout, il est resté digne », renseigne-t-elle d’abord, avouant par ailleurs qu’elle passe volontiers le livre à tous ses amis afin de leur permettre à eux aussi de profiter de son savoir. « C’est un livre très spécial et je le conseille à tout le monde. On le lit et on s’en trouve grandi, on retrouve quelque chose qui nous a fait défaut pendant longtemps. Vie et enseignements de Thierno Bocar reste ma référence, mon livre de chevet. On apprend à mieux connaitre le personnage découvert déjà dans Amkoullel et Oui mon commandant. Vie et enseignements de Thierno Bocar, un livre unique et exceptionnel », clame-t-elle la voix pleine d’émotions.
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Il faut dire que le Sage de Bandiagara, à travers ses leçons de vie, était un chantre de l’Amour et de la tolérance. Il répétait comme un mantra un enseignement de Cheikh Ahmed Tidjani. « Si vous êtes calomniés, ne calomniez pas. Si vous recevez des coups, ne les rendez pas. Si quelqu’un vous refuse une faveur, accordez-lui en », disait-il. Ce, alors qu’il avait été calomnié, trainé dans la boue et ostracisé. Des comploteurs avaient profité de leur proximité avec les colons pour le mettre à l’écart de la société, chose dont il ne s’est jamais plaint d’ailleurs.
(Re) Découvrir le Hamallisme
L’autre avantage de Vie et enseignement de Tierno Bokar, c’est qu’Amadou Hampâté Bâ a aussi permis à ses lecteurs de découvrir ou de redécouvrir Ahmedou Hamahoullah, appelé aussi Cheikh Hamallah, un grand Cheikh de la Tijania qui va, au fil de l’histoire, devenir le maitre spirituel de Tierno Bokar, malgré certaines contraintes liées à son statut de membre de la famille d’El Hadj Omar Foutiyou Tall. Si le « Hamallisme » a connu quelques couacs au début des années 1930, aujourd’hui, il a des milliers d’adeptes au Sénégal et dans la sous-région. Ce, grâce à Amadou Hampâté Bâ qui a parlé de lui. Abdoulaye Dramé est un des fidèles du Hamallisme ici au Sénégal. Il explique l’impact que Vie et enseignement de Tierno Bokar a eu sur lui.
« Tierno Bokar m’a permis surtout de mieux comprendre le Cheikh Hamahoullah, et ça m’a permis quand même d’être beaucoup plus à l’aise en en discutant, et aussi, surtout, de m’enraciner davantage, de comprendre qu’il n’y a nulle part autre où je dois aller, si ce n’est de rester dans le Hamallisme. C’est une communauté qui est très vivante, qui fait beaucoup de zikrs, et qui n’est pas dans l’ostentation. Non, ce n’est pas du voyez-moi, ce n’est pas tout ça, c’est juste la pratique, comme le Cheikh l’avait demandé, avec la pratique des onze grains, qui est un retour vers Dieu. Donc c’est ça que nous faisons tous les jours », assure-t-il.
M. Dramé de poursuivre, expliquant qu’étant né dans le Hamallisme, il a pu mieux comprendre ses parents et le poids de l’histoire de Cheikh Hamallah, qui a subi de terribles injustices avant d’être exilé en France, où il est mort en détention. « J’ai compris pourquoi ce silence dans ma famille quand on parle de Cheikh Hamahoullah. Les parents n’ont jamais voulu en parler. Peut-être que c’est toute cette histoire qu’ils ont vécue, que leurs parents ont vécue, tous ces complots, ces médisances et surtout les conseils, la dimension du Cheikh qu’ils avaient comprise, qui faisait qu’ils étaient tous silencieux. Parce que le silence quand même, c’est la meilleure des armes. J’ai compris aussi pourquoi ils portaient le chapelet au cou, pourquoi ils étaient si élégants quand ils étaient à la maison, quand ils étaient dehors. Ils étaient si élégants dans le rapport avec leur famille, dans la maison. Pourquoi ils étaient si travailleurs, j’ai compris tout ça dans ce livre », souligne-t-il. « Parce qu’aussi quand on a un bon maître, c’est naturellement qu’on devient bon aussi. Et l’impact aussi, c’est que quelque temps après, j’ai pris wird. Et ça m’a permis surtout d’aimer le dernier Moukhadam de Cheikh Hamahoullah, qui fut Mouhamadou Ibn Abdullah Guidado Koïa, qui était à Kayhaydi, qui est décédé en 2020, le 19 juin ».
Oumar Boubacar NDONGO
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