La fête du 4 avril, telle une fresque vivante et colorée, offre dans les rues du Sénégal un spectacle envoûtant. Les majorettes sont aussi ces autres actrices qui participent à l’effervescence du défilé. Celles du Lycée John Fitzgerald Kennedy et de Notre-Dame sont très attendues. Cette pratique investie au Sénégal par Germaine Acogny et le défunt tambour-major Doudou Ndiaye Coumba Rose, reste une invention qui célèbre la culture dans l’excellence.
4 avril, ce jour sacré consacré à l’indépendance du pays, est plus qu’une simple commémoration. À travers les défilés, les rues s’illuminent de costumes éclatants et de rythmes enivrants. Parmi les spectacles les plus attendus et admirés, il y a l’apparition des majorettes, ces jeunes filles qui, par leurs mouvements fluides et précis, transforment les pavés en un ballet rythmique, célébrant, à leur manière l’héritage et l’avenir du Sénégal. Il s’agit, en fait, des meilleures élèves de ces lycées qui sont choisies pour prester. Ainsi, chaque année, les majorettes du lycée Kennedy, comme des éclats de lumière dans la tradition, dévalent les allées du Centenaire ou celle de la place de l’Indépendance avec une élégance impériale. Leur mouvement simultané est une danse de flammes, une ode à l’excellence et à la rigueur. Vêtues de costumes étincelants, elles font virevolter leurs bâtons en un ensemble parfait. Ces filles, fières et disciplinées, incarnent non seulement la beauté du mouvement, mais aussi l’essence de l’éducation reçue au lycée Kennedy. Le défilé des majorettes a pris forme en 1975 avec Germaine Acogny, qui tire l’idée sur les majorettes de Saint-Maure des Fossés, ville française jumelle de Ziguinchor. En compagnie de Doudou Ndiaye Coumba Rose, ils font danser celles qui allaient devenir les majorettes de Kennedy, comme on les appelle.
À quelques pas de là, les majorettes de l’établissement Notre-Dame s’élancent dans une fluidité inouïe, comme des vagues légères se brisant sur le rivage. Leur chorégraphie est une composition de grâce et de souplesse, une danse légère qui semble défier les lois de la gravité. Leurs corps se tordent, se tendent et s’élèvent avec une harmonie magique, chacune de leurs figures comme une œuvre d’art en mouvement. Ces défilés des majorettes ne sont pas seulement une performance. C’est une invitation à rêver, à se perdre dans la beauté de l’instant, à croire que la jeunesse peut transformer le monde par sa poésie et sa joie de vivre.
Mais ce spectacle, aussi fascinant soit-il, ne serait pas aussi envoûtant sans l’âme qui l’anime : les tambours. Ces battements, lourds et profonds. Ils sont le cœur battant du défilé, l’énergie primitive qui propulse les majorettes dans une transe joyeuse et ininterrompue. Les batteurs, héritiers d’une tradition séculaire, frappent les peaux tendues des tambours. Chaque coup résonne comme un tambour de guerre, une déclaration de liberté et d’indépendance, mais aussi comme un chant d’amour pour la culture sénégalaise.
Au centre de cette explosion rythmique, on ne peut ignorer l’ombre gigantesque de Doudou Ndiaye Rose, le maître incontesté des tambours, dont l’héritage continue de vibrer dans les mains des batteurs. La musique du sabar, héritée de lui, s’élève comme une mer en furie. Chaque tambour frappant l’air avec la force d’un orage. L’influence de Doudou Ndiaye Rose est palpable, non seulement dans la rapidité et l’intensité des percussions, mais aussi dans la manière dont elles dialoguent avec les majorettes. Le sabar n’est pas qu’un genre musical : il est l’âme même du Sénégal, le témoignage vivant de la puissance de la percussion, le battement de cœur d’un peuple.
Le défilé, paré de cette double force, celle des majorettes et des tambours, se transforme alors en un poème épique. La danse et la musique, telles deux forces indomptables, s’entrelacent pour célébrer l’histoire du pays. Les rythmes effervescents des tambours se mêlent aux figures aériennes des majorettes, créant un équilibre parfait entre la tradition et la modernité. Les tambours qui résonnent semblent revêtir une couleur particulière, une teinte de mémoire et d’espoir, comme un hommage à l’œuvre de Doudou Ndiaye Rose, dont les batteurs, fidèles à son héritage, continuent de faire vivre la magie des percussions.
Dans les rues, le spectateur, emporté par la cadence effrénée des tambours et la grâce des majorettes, se laisse submerger par cette énergie vibrante, cette communion parfaite entre la culture et la jeunesse. La fête du 4 avril devient un hymne vivant à la beauté de l’héritage sénégalais, un cri de joie lancé par les tambours et les corps en mouvement, un appel à la transmission de la culture, à la préservation de l’histoire et à l’affirmation d’un avenir prometteur.
Les majorettes, avec la précision de leurs gestes, et les tambours, avec la force de leurs battements, chantent ensemble une même mélodie : celle de l’indépendance retrouvée, de la culture préservée et de la jeunesse prête à faire résonner son propre tambour dans le monde.
Amadou KEBE