Les avis divergent sur le dialogue national voulu par le chef de l’État. Des artères bondées de l’avenue Cheikh Ahmadou Bamba jusqu’à l’intérieur des quartiers, le sujet s’invite aux conversations.
Sur l’avenue Cheikh Ahmadou Bamba, le trafic est intense. Entre les commerces et les mouvements incessants de passagers, l’activité est rythmée. Assis sur un banc aménagé en face de l’école Madièye Sall, un septuagénaire lit tranquillement son journal. « Quand on est à la retraite, il faut s’occuper, lire, trouver des activités pour combler le temps », lance-t-il. Sur le dialogue national voulu par le chef de l’État qui sera lancé du 28 mai au 4 juin, Vieux Sarr ne voit ni l’urgence ni la pertinence. « Le président n’a qu’un an de mandat. Les élections les plus proches sont les locales dans deux ans. Il pourrait se concentrer sur les priorités, sur les urgences », fait-il savoir. Son compagnon, Modou Fall, lui emboîte le pas : « Au Sénégal, si tu exerces le pouvoir, il faut avoir une capacité de discernement. Sinon, les gens vont t’imposer des agendas dont les vrais gagnants ne sont pas les populations ». Sirotant un café, ce professeur de mathématiques qui préfère garder l’anonymat, n’a pas la même perception que les deux vieux. « Dans la vie, tout se règle autour du dialogue. Même pendant la guerre, il y a le dialogue. Même les pires ennemis se parlent. Tu as vu les États-Unis et la Russie, ils discutent », fait-il remarquer.
Pour lui, le dialogue est consubstantiel à la marche du monde et permet de dépasser les clivages. Un dialogue vu comme un entre soi politique Au garage Guédiawaye, Ami Faye, vendeuse d’eau fraîche et de jus exprime son scepticisme. « Le dialogue, c’est entre eux les politiciens, qui se retrouvent pour régler leurs affaires. Ce n’est pas notre préoccupation. La vie est chère, les prix flambent, le loyer est intenable », peste cette jeune dame au teint clair, visiblement remontée contre la classe politique. « Les hommes politiques, c’est fini. Je ne peux pas leur faire confiance. Tout ce qu’ils disent peut changer au gré des circonstances », lâche-t-elle. Non loin de là, Vieux Aïdara tient son commerce de fortune, exposé sur un espace réaménagé pour les préparatifs de la Tabaski au marché Hlm. « Les institutions sont solides. C’est pourquoi le nouveau pouvoir est là. Si le Conseil constitutionnel n’avait pas agi, ils ne seraient pas là. Ils doivent maintenant s’attaquer aux priorités : la situation économique et les conditions sociales des Sénégalais », affirme Mamadou Sarr.
Assis sur une natte avec des amis autour d’un jeu de dames, Naby Sylla dit suivre avec intérêt le dialogue national. « Ce pouvoir est sur la bonne voie. Il ne faut pas attendre que les problèmes surgissent pour chercher des solutions. C’est maintenant qu’il faut réfléchir sur les sujets cruciaux concernant nos institutions », confie-t-il. Pour lui, les critiques à l’encontre du dialogue sont infondées. « Tous les cycles de violences viennent des manipulations des institutions ou des tripatouillages des lois et des constitutions », avance Naby Sylla. Institutions, économie et avenir du pays Son camarade Ndiaga Seck partage cet avis. « Comment veut-on qu’un pays se développe sans institutions solides ? Un investisseur, avant d’injecter son argent, vérifie s’il y a des garanties juridiques. Sinon, il ira ailleurs », affirme-t-il. Un peu plus loin, Fadel Seck, gestionnaire d’un parking automobile sur la même avenue, fustige la place prépondérante accordée à la politique. «
C’est une minorité qui prend en otage ce pays. Je ne comprends pas pourquoi, presque toute l’année, on ne parle que de politique. Les nations qui se sont développées misent sur la transformation industrielle et les nouvelles technologies », dit-il, se lançant dans une comparaison régionale : « Est-ce que tu as déjà voyagé dans d’autres pays en Afrique comme l’Éthiopie ? Ce sont eux qui comprennent les enjeux actuels. Nous, nous jouons avec le destin du peuple ». Massyla Niang, lui, ne partage pas cette vision. Pour cet ancien fonctionnaire rencontré à la devanture de sa maison, le pays a traversé des situations dramatiques qui nécessitent des garde-fous. « Le dialogue est pertinent. Au Sénégal, on a toujours dialogué. C’est ce qui a permis la rentrée du président Wade au gouvernement sous Diouf et l’adoption du code consensuel de 1992. Donc, il faut dialoguer. Cela ne remet pas en cause la volonté du président de s’attaquer aux priorités », soutient le vieux Diallo. Pour lui, ce gouvernement est sur la bonne voie et que les Sénégalais doivent l’accompagner dans sa volonté de réformer les institutions pour renforcer les assises de notre démocratie.
Daouda DIOUF