Impaxis Securities est l’arrangeur principal et chef de file du dernier Appel public à l’épargne du Sénégal. Dans cette interview, son directeur général et administrateur, Ababacar Diaw, livre les détails de l’opération. À l’en croire, lever 450 milliards de FCfa sur des maturités allant de 3 à 10 ans en trois semaines veut dire que les investisseurs croient au Sénégal.
L’Appel public à l’épargne du Sénégal a connu un succès, permettant de mobiliser plus de 450 milliards de FCfa. Comment appréciez-vous les résultats de l’opération ?
C’est un signal fort de confiance et de maturité du marché régional. La troisième émission obligataire par appel public à l’épargne (Ape 3), arrangé par Impaxis, est le plus important emprunt obligataire local du Sénégal, avec plus de 450 milliards de FCfa levés. L’opération a été sursouscrite à plus de 150 %, avec une base d’investisseurs diversifiée et élargie incluant la diaspora, malgré un contexte économique exigeant. C’est un vote de confiance fort envers la signature souveraine du Sénégal. Dans un contexte mondial difficile, réussir à lever plus de 450 milliards de FCfa sur des maturités allant de 3 à 10 ans en à peine 3 semaines, c’est un signal fort. Cela veut dire que les investisseurs intervenant sur le marché régional croient au Sénégal.
Que nous enseigne ce résultat sur la capacité du Sénégal à mobiliser des financements endogènes ?
Le marché local est profond, crédible et désormais stratégique pour le financement public, mais aussi le financement de nos projets pour un développement plus inclusif. L’Ape 3 s’inscrit dans une dynamique où le Sénégal mobilise des montants importants sur les marchés régionaux. Cela prouve la profondeur du marché Uemoa et la confiance des investisseurs. Ces ressources locales renforcent la soutenabilité de la dette et diversifient les sources de financement de l’État. Aujourd’hui, le Sénégal prouve qu’il peut se financer par ses propres forces, grâce à un marché régional profond et mature. C’est un gage de souveraineté et de soutenabilité. Toutefois, comme à son habitude, c’est un pays d’ouverture et de dialogue qui cherche à élargir ses partenaires et donc, a fortiori, à retenir et développer ses partenaires historiques dans des schémas durables et mutuellement bénéfiques.
Cette émission intervient dans un contexte où Moody’s a abaissé la notation du Sénégal à Caa1. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
La récente révision de la note souveraine du Sénégal par Moody’s intervient dans un contexte de transformation économique marqué par la mise en œuvre du Plan de redressement économique et social (Pres), un dialogue soutenu et en cours avec le Fmi et les investisseurs de tout bord et une dynamique somme toute positive pour le Sénégal. La lecture de Moody’s est trop prudente et malheureusement incomplète.
Les motifs avancés par Moody’s – pression sur le financement, ratio d’endettement, etc. – étaient déjà connus et intégrés depuis longtemps par les investisseurs. Cependant, depuis, plusieurs signaux confortent la crédibilité de la trajectoire économique et budgétaire du Sénégal, et malheureusement ils n’ont pas été pris en compte à leur juste valeur, selon nous, par Moody’s.
Il s’agit du déploiement du Pres, avec un cadre d’exécution précis et une gouvernance renforcée, de la reconnaissance par le Fmi des efforts de transparence et des projets de réforme afin de consolider la trajectoire budgétaire et le maintien de la discipline fiscale. Sans oublier la réforme de certaines dispositions du Code général des impôts pour soutenir la mobilisation des ressources endogènes. Il y a également l’objectif affirmé de retour et de maintien de la cible de déficit dans les standards Uemoa (retour à 3 % du Pib à horizon 2027). L’atterrissage 2025 est prévu à c. 7.8/8 % vs c.12-14% à fin 2024 avec un objectif intermédiaire à 5 % sur 2026.
Parmi les différents facteurs, nous pouvons citer également la tenue du Forum Invest in Sénégal (Fii Sénégal 2025), avec plus de 23 milliards Usd d’intentions d’investissement (un écho favorable du nouveau Code des investissements), ainsi que la réaction du marché régional à travers la réussite exceptionnelle de l’Appel public à l’épargne (Ape 3) qui illustre la solidité de la signature souveraine et la profondeur croissante du marché régional.
Ces signaux confirment la capacité de l’État à financer ses besoins sans tension majeure, grâce à une base d’investisseurs élargie et incluant une endogénéité solide. En prenant en compte ces éléments, on peut dire que la note de Moody’s ne traduit pas la réalité du terrain : le Sénégal reste sur une trajectoire maîtrisée, et les investisseurs eux-mêmes ont répondu par la confiance.
Quelles sont les perspectives du Sénégal ?
Il faut maintenir le cap, agir avec agilité et continuer à attirer l’investissement privé tant national que régional et international. Le Pres fixe une trajectoire claire : celle d’une discipline budgétaire, d’un maintien du déficit sous contrôle et de la poursuite des réformes. Les perspectives restent solides, avec une croissance attendue autour de 8 % à fin 2025 (largement au-dessus du coût moyen global de la dette qui est autour de 5 % cf. la récente interview du ministre de l’Économie). Nous avons aussi l’apport du secteur des hydrocarbures avec une année pleine en 2025 et tout l’effet entrainant devant en découler. Idem pour tout le secteur extractif (mines et autres).
Les investissements et projets en cours sur l’agro-industrie vont contribuer à réduire les importations, assurer la souveraineté alimentaire et créer des emplois. L’État devra garder de l’agilité pour ajuster les priorités et faire face aux éventuels chocs macroéconomiques. Le recours à l’« Innovative financing » est important pour poursuivre les investissements stratégiques en s’appuyant sur le secteur privé/le pooling de capitaux régionaux (inclus Diaspora) pour un effet de levier sans recours à un endettement de l’État. Il faut savoir qu’avec un pooling de 250 milliards de FCfa, vous pouvez au moins structurer 1.000 milliards de FCfa de financement sans recours à l’État central ! Sur 3 à 5 ans, arriver à injecter 1.000 milliards de FCfa/an dans les secteurs clés (agro-industrie, énergie, éducation, santé, habitat, etc.) pourrait changer drastiquement la structure de notre économie et son positionnement régional voire continental.
Et cette mobilisation est à portée de main, c’est comme trouver 250.000 Sénégalais et entreprises, sur 18 millions de Sénégalais, à hauteur de 1 million de FCfa par an sur les 3 à 5 ans : c’est plus que faisable. Le cap est clair : discipline, agilité et ouverture. Le Sénégal continuera d’investir, mais avec des financements mieux ciblés, plus mixtes et plus soutenables. Le Sénégal reste une économie solide, résiliente et confiante. Le vrai rendez-vous sera dans 9 à 12 mois, pour confronter les craintes de Moody’s aux faits et réalisations sur le terrain. Et s’il plaît à Dieu, tout indique que les faits donneront raison à la confiance des investisseurs.
Demba DIENG

