Dans cette interview, Abdoul Kambane Diédhiou, consultant senior Pétrole, Gaz et Immobilier, défenseur du contenu local et conseiller stratégique en Développement, revient sur le Code des investissements et le climat des affaires au Sénégal. Il estime que sur le papier, le Sénégal dispose d’atouts considérables qui en font un pays attractif.
Le Sénégal a mis à jour son Code des investissements. Quelle lecture faites-vous des évolutions de ce document ?
Le Sénégal avait besoin de réviser son Code des investissements pour l’adapter aux réalités actuelles de notre économie et à nos ambitions à l’horizon 2050. C’est un pas important, et le texte introduit de nouvelles incitations pour orienter les capitaux vers des secteurs stratégiques comme l’énergie, l’agriculture, l’immobilier ou le numérique. Ces évolutions vont dans le bon sens et traduisent la volonté de rendre notre pays plus attractif dans un environnement concurrentiel. D’abord, il faut éclairer sur une confusion fondamentale : l’assimilation du contenu local à la Responsabilité sociétale des entreprises (Rse). Or, la Rse relève de l’engagement volontaire, alors que le contenu local est une obligation légale et stratégique. Il ne s’agit pas de dons ou de parrainages sociaux, mais d’un mécanisme central pour bâtir une économie souveraine à partir de nos ressources. En diluant le contenu local dans la Rse, on nuance un instrument qui devait garantir l’ancrage national des investissements. Un investisseur qui vient au Sénégal doit savoir qu’il ne se limite pas à exploiter un marché, mais qu’il doit contribuer à la montée en puissance de nos entreprises, de nos compétences et de nos industries. « Vision Sénégal 2050 » trace la voie d’une souveraineté économique intégrale, avec des moteurs de croissance clairs comme l’énergie, l’agro-industrie, le numérique et le logement social. Le Plan de redressement économique insiste sur la résilience et la réduction de notre dépendance extérieure.
Comment appréciez-vous aujourd’hui, dans le cadre général, le climat des affaires au Sénégal?
Le climat des affaires au Sénégal est paradoxal. Sur le papier, nous disposons d’atouts incontestables : stabilité politique relative, position géostratégique, appartenance à des espaces comme l’Uemoa et la Cedeao, et une jeunesse dynamique prête à entreprendre. Ces atouts font du Sénégal un pays naturellement attractif, et des réformes comme le nouveau Code des investissements ont cherché à renforcer encore cette attractivité. Mais on oublie que le Sénégal dispose déjà d’une richesse souveraine : sa stabilité, sa démocratie et surtout la transparence dans les affaires, impulsée aujourd’hui par la philosophie du «Jub Jubal Jubbanti» (vérité, rigueur et rupture). C’est cela notre véritable capital, et il ne doit pas être bradé. Dans la réalité quotidienne, les entrepreneurs sénégalais sont encore confrontés à des lourdeurs administratives, à des lenteurs dans l’exécution des réformes, à un coût du financement trop élevé et parfois à un manque de transparence dans certains processus. Trop souvent, les textes sont bien conçus, mais leur application manque de rigueur, ce qui crée une insécurité juridique et économique. Or, un climat des affaires crédible et équitable ne se mesure pas seulement au nombre d’incitations fiscales, mais à la confiance, à la prévisibilité et à l’intégration des acteurs locaux dans les chaînes de valeur. Nous devons miser sur nos véritables atouts : stabilité, démocratie et transparence. Le climat des affaires ne doit plus se résumer à attirer des capitaux étrangers à tout prix, mais à garantir que chaque investissement, étranger comme local, contribue à la montée en puissance de nos entreprises, de nos compétences et de notre souveraineté économique.
N’est-il pas impacté par le statu quo concernant le partenariat avec le Fmi ?
Oui, le statu quo avec le Fmi a un impact direct sur la perception des investisseurs. Dans la logique classique, l’aval du Fmi est considéré comme un sceau de crédibilité macroéconomique. Son absence a créé de l’attentisme, retardant certains décaissements et projets. Mais paradoxalement, ce statu quo a été une bonne nouvelle pour le Sénégal. Il nous a obligés à une prise de conscience réelle : nous devons prouver que notre économie peut exister sans tutelle permanente du Fmi. Cette période a renforcé notre résilience économique et nous a poussés à diversifier nos sources de financement. Elle nous a aussi amenés à renforcer la transparence et le contrôle des finances publiques, ainsi que la gouvernance des projets d’État. Contrairement à d’autres pays comme le Ghana, qui se sont retrouvés fragilisés faute d’avoir su sortir d’une dépendance structurelle, le Sénégal a montré qu’il ne reposait pas sur une fondation d’argile. Notre économie, malgré ses défis, reste debout parce qu’elle est soutenue par des fondamentaux solides : stabilité politique, démocratie vivante et une volonté nouvelle de transparence, impulsée par le Jub Jubal Jubbanti. Il est temps de changer de paradigme. Le Fmi doit être considéré comme une source de financement parmi d’autres, et non comme le tronc de notre développement. Le Sénégal doit croire en ses propres capacités, mobiliser ses leviers internes comme la titrisation de nos ressources naturelles, l’épargne nationale et de la diaspora, l’innovation financière à travers la Brvm, le renforcement du contenu local, mais également bâtir une souveraineté économique fondée sur la confiance en nous-mêmes.
Car, un climat des affaires solide ne peut pas dépendre uniquement d’un aval extérieur, il doit refléter notre propre cohérence et notre propre crédibilité.
Quels sont, à votre avis, les secteurs les plus propices à absorber des investissements actuellement ?
Aujourd’hui, plusieurs secteurs apparaissent comme des pôles stratégiques capables d’absorber rapidement des investissements et de transformer durablement notre économie. Le premier, c’est le secteur de l’énergie. Notre développement repose entièrement sur une source d’énergie abondante et à faible coût, capable de booster tous les autres secteurs connexes : industrie, agriculture, numérique, immobilier. Le Sénégal dispose non seulement de ressources pétrolières et gazières en exploitation, mais aussi d’un fort potentiel dans les renouvelables. Et surtout, nous avons une expertise et des compétences locales disponibles pour faire face. L’énergie est donc le socle à partir duquel nous devons bâtir notre souveraineté économique. Le deuxième secteur est celui des mines, qui reste encore sous-valorisé. Or, il possède un potentiel énorme, à la fois pour mobiliser notre capital humain jeune et pour mieux répartir les opportunités sur l’ensemble du territoire. Contrairement au pétrole et au gaz, concentrés sur certaines zones, le secteur minier touche presque toutes les 14 régions du Sénégal. En y attirant des investissements structurés, nous pourrions transformer ce secteur en moteur de développement inclusif, capable de dynamiser toutes nos régions.
Troisièmement, l’agriculture et l’agro-industrie, qui passionnent particulièrement la jeunesse. C’est le cœur de notre souveraineté alimentaire. Nous importons encore trop de produits que nous pourrions transformer localement. Investir dans ce secteur, c’est réduire notre dépendance, stabiliser nos prix, créer de la valeur ajoutée pour nos producteurs et donner des perspectives concrètes à des milliers de jeunes. Quatrièmement, l’immobilier et le logement social. La demande est massive et constante, portée par la croissance démographique et l’urbanisation. Si nous structurons correctement ce secteur par une régulation et des financements adaptés, il peut absorber d’importants investissements, créer des milliers d’emplois et répondre à un besoin vital des populations. Cinquièmement, le numérique et l’innovation. Ce n’est pas seulement un secteur d’avenir, c’est un outil transversal pour moderniser toute notre économie : agriculture intelligente, fintech, e-éducation, e-santé, administration numérique. La jeunesse sénégalaise regorge de talents et peut devenir un véritable moteur d’innovation. Enfin, le tourisme durable. Nous disposons d’un patrimoine culturel, historique et naturel exceptionnel. Pourtant, ce potentiel reste largement sous-exploité. Avec des investissements ciblés dans les infrastructures, la formation et la promotion, le Sénégal peut se repositionner comme une destination majeure en Afrique de l’Ouest. En résumé, les capitaux doivent aller là où ils produisent un double effet : rentabilité pour l’investisseur et renforcement de notre souveraineté économique et sociale. C’est cette double exigence qui doit guider la hiérarchisation de nos secteurs prioritaires.
Propos recueillis par Demba DIENG