Dans ce gros village du département de Ziguinchor, marqué par les stigmates du conflit armé, un homme continue inlassablement de cultiver l’espoir à travers un fruit : la mangue. À 60 ans, Adama Diallo, imam ratib de la mosquée de Kaguite, planteur et commerçant aguerri, incarne la résilience, l’engagement communautaire et la passion d’un métier qu’il pratique depuis plus de 30 ans.
KAGUITE – L’histoire d’Adama Diallo avec la mangue remonte à 1994. Alors que d’autres fuyaient les violences ou perdaient tout, lui y a vu une opportunité. « Très jeune, j’ai appris ce métier aux côtés des « bana-banas » (commerçants) qui venaient à Kaguite pour collecter les mangues. Mais, après le conflit, les commerçants ne venaient plus. C’est là que j’ai décidé de me lancer à fond. Aujourd’hui, je rends grâce à Allah. Je vis de la mangue », confie-t-il d’un ton serein et empreint de gratitude.
Plutôt que de se contenter de vendre au détail, Adama Diallo a vu grand. Ce sage de Kaguite à la barbe toute blanche exporte des tonnes de mangues vers Touba, Dakar et d’autres grands centres urbains. Au plus fort de sa carrière, il parvenait à convoyer 33 camions par campagne. Aujourd’hui encore, malgré le poids de l’âge et les difficultés logistiques, il en a déjà expédié huit depuis le début de la saison. 700 000 FCfa par camion Mais, les coûts sont lourds. « Il faut débourser environ 700 000 FCfa par camion. C’est très difficile pour nous, les petits commerçants », se plaint-il. Pourtant, il tient bon parce qu’il croit fermement que la mangue peut transformer des vies, comme elle a transformé la sienne.
« J’ai construit ma maison grâce à la mangue. Je nourris ma famille grâce à elle. Ce fruit m’a tout donné », certifie le religieux-commerçant. Cette réussite personnelle ne l’a pas enfermé dans une bulle. Au contraire, elle est devenue une source d’espoir pour tout un village. Pendant la campagne, qui s’étale d’avril à juillet, le vieux Adama Diallo emploie plus d’une vingtaine de jeunes. Et parfois plus. Cueilleurs, transporteurs, trieurs… Chacun trouve sa place dans cette petite industrie villageoise. « Je les paie à la journée. À la fin de la campagne, un jeune peut repartir avec plus de 100 000 FCfa. Les grimpeurs, eux, gagnent davantage. Ils sont essentiels dans ce métier », explique-t-il, visiblement fier d’offrir une alternative à la jeune génération de son village. Son action ne passe pas inaperçue. Léon Diédhiou, également producteur de mangues, témoigne. « Adama Diallo est un grand monsieur. Cela fait des décennies qu’il se bat pour que la mangue devienne une filière forte. Au début, il était seul. Aujourd’hui, c’est tout le village qui en bénéficie. Il crée de l’emploi, il inspire ». Mais, tout n’est pas rose dans l’univers de la mangue. Chaque année, des tonnes de fruits pourrissent faute d’infrastructures de transformation. Adama en appelle à l’État. « À part l’anacarde, c’est la mangue qui nourrit le plus son homme en Casamance. Nous demandons la mise en place d’unités modernes de transformation. Ce serait un tournant décisif pour toute la région », insiste M. Diallo.
Loin des discours théoriques et des plans sur papier, Adama Diallo est de ceux qui bâtissent à la sueur de leur front. Il est l’incarnation même d’un Sénégal profond, entreprenant et digne. Son combat pour la mangue est aussi un combat pour la justice économique et la valorisation des ressources locales. En attendant que les décideurs entendent son appel, Adama continue son chemin. Ainsi, il reste fidèle à ses principes, à son village, à son fruit.
Gaustin DIATTA