Les relations de l’Afrique avec les agences de notation internationales s’inscrivent de plus en plus sur une tendance conflictuelle. C’est devenu fréquent de voir un pays du continent contester l’objectivité d’une note défavorable, au moment où on ne s’y attendait pas.
C’est à peine si le président kenyan, William Ruto, n’avait pas crié à un vaste complot lorsqu’il déclarait, en février dernier, en marge d’un sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba : « les agences de notation mondiales ne nous ont pas seulement joué un mauvais tour, elles ont aussi délibérément laissé tomber l’Afrique ». En réaction à la dégradation de la note souveraine du Sénégal de B3 à Caa1, en octobre dernier, le ministère des Finances et du Budget reprochait à Moody’s de s’appuyer sur des « hypothèses spéculatives, subjectives et biaisées », qui ne reflètent « ni la réalité des fondamentaux économiques du pays, ni les mesures de politiques publiques mises en œuvre pour consolider la stabilité budgétaire ».
Des critiques et des appels aux réformes des agences de notations fusent de plus en plus depuis les pays occidentaux. Samuel Didier, un analyste senior d’une agence de notation européenne, va jusqu’à soulever le caractère ambigu de leur mission : surfer entre liberté d’expression et rôle de régulateur privé du marché de la dette qui leur assure leur rente. Nées aux Etats-Unis au 19e siècle, les agences de notation sont des entreprises dont le rôle est d’évaluer la santé financière d’une entreprise ou d’une entité publique, d’étudier sa capacité à rembourser la dette. Aujourd’hui, Moody’s Standard & Poor’s et Fitch, surnommées les « Big Three », dominent le marché mondial (95%).
Ces trois géants ont réussi à faire de l’ombre aux autres agences éparpillées à travers le monde. Leurs notes étaient paroles d’évangile jusqu’à ce que leur objectivité et la justesse de leurs notes ne soient remises en cause, notamment en Afrique. Elles ont été accusées d’avoir joué un rôle dans la survenue de la crise des subprimes, après qu’elles eurent attribué des notes élevées aux produits financiers toxiques, poussant les investisseurs à acheter des actifs supposés être sûrs.
Dans la mesure où elles sont rémunérées par les entités qu’elles notent, leur liberté d’expression est limitée par un risque de conflit d’intérêts. On leur reproche de trop se focaliser sur les aspects quantitatifs au détriment de ceux qualitatifs, ce qui incite à remettre en cause leurs méthodes d’évaluation jugées opaques, biaisées et enclines à exagérer les risques. Justement, c’est ce que leur reproche l’Afrique : les a priori découlant de la méconnaissance d’un continent complexe, où chaque dégradation de note contribue à renchérir le crédit. Confrontés à un niveau d’endettement élevé, une restructuration de dette des pays africains peut déboucher sur une dégradation de note, qui pourrait compliquer les conditions d’accès au marché financier, entraînant des problèmes de solvabilité de liquidité.
Or, un rapport du Pnud publié en 2023 démontre que si l’Afrique bénéficiait de notations plus objectives, elle pourrait accéder plus facilement et régulièrement aux marchés financiers et économiser 75 milliards de dollars, soit l’équivalent de 80% de ses besoins annuels d’investissements. La panacée consiste-t-elle à créer une agence de notation panafricaine comme cela est souvent préconisé ? Cependant, il faut rappeler qu’il existe déjà des agences africaines telles que Bloomfield investment corporation, Augusto, Global credit ratings (anciennement dénommée Wara). L’Union africaine est porteuse d’un projet d’agence de notation financière, mais son statut public ne pourrait-il pas constituer une tare congénitale ? D’autant plus qu’« aucune agence de notation financière n’est publique car il y a un grand risque de perte d’indépendance », met en garde le président de Bloomfield investment corporation, Stanislas Zésé. malick.ciss@lesoleil.sn


