Il faut à temps, sortir de la crise de la dette avant que de malencontreux évènements sur les marchés financiers étrangers ne viennent compliquer plus la situation. Une situation exceptionnelle qui nécessite des mesures exceptionnelles. Si l’on se fie au patron de J P Morgan Chase & Co, et Gita Gopinath, l’ancienne économiste en chef du FMI, l’éclatement de la bulle sur le marché de l’IA pourrait emporter 35.000 milliards de dollar de ressources. Il s’y ajoute une possible crise sur le marché des obligations à cause des dépenses au-delà de leurs capacités des économies de l’OCDE. Une rareté des ressources consécutive à une crise financière dès 2027 est fortement probable.
Notre dette est colossale, elle est estimée a plus de 132% du PIB par le FMI. Les officiels de l’institution parlent maintenant de dette cachée du Sénégal, un paramètre qui vient un peu plus compliquer la levée de fonds, compte tenue de l’existence au préalable, d’un African Premium qui renchérit de facto, tout financement sur les marchés étrangers pour un pays de l’Afrique Subsaharienne. La situation pourrait être plus délicate si nous avions une monnaie propre ; nous aurions eu une forte inflation, une dépréciation de cette dernière, et nous ferons certainement défaut de paiement. Le FCFA reste solide et viable. Nous ne comprenons donc pas, la précipitation de certaines agences de notation dégradant la note du Sénégal, alors que le pays a présenté un plan viable de mobilisation des ressources domestiques, qui participe de la discipline fiscale à moyen et à long terme. Nous n’avons donc pas une monnaie propre qui viendrait compliquer la situation, rappelant l’épisode des ennuis budgétaires de Londres récemment.
Comment sortir de cette crise de la dette, qui par effets de ricochet peut provoquer une crise économique profonde ? il n’y a que trois façons saines d’éponger une dette pour un pays.
L’état peut choisir d’augmenter les impôts. Cependant, avec une activité déjà morose, et un taux de chômage élevé, il vaut mieux élargir l’assiette fiscale que d’augmenter les impôts sur les entreprises locales. Des taxes exceptionnelles peuvent être appliquées sur le secteur pétrolier, minier, l’alcool, le tabac, les boissons sucrées, etc. Une taxe Carbonne pourrait être mise en place aussi.
Par ailleurs, l’état peut diminuer ses dépenses de fonctionnement. De nombreuses agences peuvent être supprimées, leur création n’était pas nécessaire, elle obéissait à des logiques politiciennes. Les agences essentielles peuvent être fusionnées. Nous pouvons aller encore plus loin, nous avons trop de députés à l’assemblée nationale. Une reforme importante qui ramènerait leur nombre à 60 pourrait garantir des investissements importants dans les secteurs de la santé et de l’éducation.
Le troisième levier sur le quel l’État peut compter pour réduire la dette est de créer de la croissance économique, des surplus budgétaires, par des investissements massifs. Il faut libérer le secteur du BTP ; les projets de construction de ponts, d’autoroutes, et d’autres ouvrages majeurs, peuvent créer de l’emplois et rapporter plus de recettes à l’état. Nous devons nouer des relations de partenariats solides avec certains pays étrangers pour nous accompagner dans ces projets. Nous devons, par ailleurs, par la même occasion, attirer les investissements directs étrangers, dans les secteurs de l’énergie renouvelable, de la technologie, et de l’agriculture. Il faut libérer le potentiel productif du Sénégal, il faut mettre le pays en chantier.
Enfin, je crois sincèrement que les fonctionnaires du FMI proposent des solutions techniques viables pour sortir rapidement de la crise de la dette. Les modalités de la restructuration proposée doivent être étudiées par des professionnels locaux hautement qualifiés. Le FMI doit rester un partenaire privilégié de développement. La solidité de nos liens avec l’institution de Bretton Woods participe de l’ouverture de l’économie du Sénégal aux investisseurs étrangers. L’institution demeure l’ouïe et l’œil de ces derniers. Nous pouvons, cependant, proposer des solutions propres, accompagnant ces modalités de restructuration. Nous pouvons par exemple décider d’appliquer une taxe exceptionnelle de 25% sur les obligations émises entre janvier 2022 et janvier 2025 par l’état du Sénégal, et imposer cette taxe relevée à 30% sur les titres de la dette dite cachée.
Cette taxe exceptionnelle peut bien entendu, froisser certains investisseurs et détenteurs de titres de l’état du Sénégal. Elle se justifie, cependant, par la fragilité de notre économie qui peut se détériorer à tout moment, compte tenue de la lourdeur du paiement des services de la dette. Des services de la dette qui peuvent largement dépasser les investissements sur l’éducation et la santé sur plusieurs années. Elle est assez justifiée même, au vu de l’African Premium. Ce dernier doit nécessairement disparaitre et appelle de notre part, des efforts diplomatiques substantiels, de concert avec nos partenaires de la CEDEAO.
Une taxe exceptionnelle sur les titres du Sénégal plutôt qu’une inflation indirecte au-delà des capacités de contrôle de la BECEAO, provoquée par l’arrêt ou la baisse des subventions sur l’énergie et les denrées alimentaires. Ces subventions constituent un gage de stabilité pour l’économie, elles sont essentielles.
Dr Moussa Kébé FALL, Économiste


