Malgré leur créativité, les artisans de Kolda rencontrent des difficultés, notamment le manque de financements. Ils déplorent aussi la cherté de la matière première, la concurrence déloyale et l’enclavement du Village artisanal.
KOLDA – En cette matinée du mardi 25 février, un vent sec souffle sur Kolda et ses environs. Sur la route nationale, à l’entrée de la ville, on ne voit que les motos « Jakarta » exposées sous le chaud soleil alors que leurs propriétaires occupent les rares ombres des environs. À quelques centaines de mètres, vers Saré Kémo, se trouve le Village artisanal El Hadj Bassirou Diallo. Rares sont les exposants présents en ce jour, mais divers articles sont visibles : sacs, tableaux, tenues et statuettes. Les quelques occupants guettent désespérément les moindres gestes des passants qui marquent le pas ou accordent une attention aux expositions. Ils espèrent faire leur première affaire du jour. « Venez voir nos articles », lance Moustapha Faty. Kéba, un quinquagénaire, expose ses articles à l’entrée du Village artisanal. Il est, à la base, un couturier. Mais, il s’est intéressé à d’autres métiers de l’art comme la teinture, la peinture, le dessin et la musique. Il nous présente fièrement sa marchandise aux mosaïques de couleurs attirantes calquées sur les sacs, les tenues traditionnelles, les tableaux, les statuettes sculptées et d’autres articles. « Nous parvenons difficilement à écouler nos articles. Les populations de Kolda n’ont pas l’habitude d’acheter des œuvres d’art. Les rares clients qui passent par ici proposent de très bas prix », déplore Kéba. Il montre les tableaux qu’il vend à plus de 40 000 FCfa l’unité « en temps normal. « Mais, les clients lui proposent 10 000 FCfa », ironise-t-il. L’essentiel de la clientèle est constitué d’étrangers et de touristes. Face à cette situation, Moustapha Faty n’hésite pas à expédier ses œuvres vers d’autres Villages artisanaux du pays où, selon lui, elles s’achètent « comme des bonbons ». En fait, il a son réseau qui lui permet d’envoyer ses articles à des amis revendeurs pour, à la fin, se partager les bénéfices.
Les maîtres du fer
L’enclavement du Village artisanal constitue un problème pour les artisans de Kolda. En effet, il est niché entre la Chambre des métiers de Kolda et le Centre régional de formation professionnelle. Une zone peu fréquentée par les particuliers. Un autre désagrément que rencontrent les artisans est lié à la configuration des boutiques à l’intérieur. Ceci, d’après Moustapha Faty, n’est pas idéal pour une exposition à ciel ouvert.
Cependant, la créativité des artisans n’est plus à démontrer. Si le Village artisanal accueille plus les artistes, un autre lieu, situé en ville, non loin de l’église Saint-Benoît de Bantaguél, héberge les forgerons. Du haut du pont Abdou Diallo traversant le fleuve Casamance, on peut facilement localiser sur la berge les ateliers en zinc sous l’ombre des manguiers. Les produits finis, composés de charrettes, de lits en fer, de fourneaux, d’ustensiles de cuisine et autres œuvres, y sont exposés. Le sol est couvert d’un tapis de sable mélangé aux résidus de charbon que les forgerons utilisent. À l’intérieur, l’ambiance est infernale. Pour réaliser les courbes désirées, les maîtres du fer frappent, à bras raccourcis, ce matériau après l’avoir mis au feu.
Derrière le courage qui se lit sur les visages en sueur, se cachent des travailleurs qui peinent à rentabiliser leur savoir-faire. Diana Mané est un quinquagénaire spécialisé dans la fonderie. Il s’active à façonner ses marmites géantes et déplore la cherté de la matière première. « Le prix du matériel ne cesse de grimper au fil des ans », déclare-t-il sous le regard de ses ouvriers et autres collègues qui acquiescent de la tête. Son inquiétude est partagée par Mamadou Korka Barry, communément appelé Oustaz. Ce dernier est un soudeur métallique qui, comme Kéba du Village artisanal, a appris son métier depuis tout petit. « Nous commandons le fer importé de Dakar ou Kaolack. Bien que plus fiable que le fer local, son prix est de plus en plus cher », dit-il. « La rareté et la cherté des matériaux constituent le principal problème auquel nous sommes confrontés », appuie Diana Mané.
Selon le président de la Chambre des métiers de Kolda (Cmko), El Hadj Ndiaye, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Mountaga Diao, a assuré, lors d’une visite dans la région, qu’il allait œuvrer pour le développement du secteur au niveau local avec l’aide de partenaires. Cependant, les principaux concernés s’impatientent. « Il faut que l’État nous accompagne avec des financements, afin que nous puissions réaliser des œuvres en quantité pour satisfaire la demande », plaide Aliou Kanté, forgeron spécialisé en conception de charrettes et de machines de semence. En plus de ces difficultés, Diana Mané déplore le manque d’appui de la Chambre des métiers de Kolda.
Concurrence des produits importés
Dans le marché local, les artisans de Kolda font face à la rude concurrence des produits importés. Ce sont surtout les couturiers et les cordonniers qui en font les frais, car peinant à vendre leurs produits. El Hadj Ndiaye, président de la Chambre des métiers de Kolda (Cmko), invite l’État à protéger les artisans locaux. « C’est une concurrence déloyale. Par exemple, le marché de la friperie éteint toutes nos ambitions. Pareil pour les vendeurs de chaussures », dit-il. El Hadji propose de limiter les importations de friperie et de chaussures à défaut de les arrêter, faisant allusion à la récente polémique après la déclaration du ministre du Commerce sur la friperie.
El Hadj Bassirou Diallo, parrain du Village artisanal
Le Village artisanal de Kolda a été créé, en 2003, par El Hadj Bassirou Diallo. Ce dernier fut le deuxième président de la Chambre des métiers de Kolda (Cmko) qu’il a dirigée de 1988 à 2000. Son ancien collaborateur et actuel président de la structure, El Hadj Ndiaye, se souvient d’un bon manager qui « a su gérer les humeurs des artisans ». « Les deux qualités que j’ai retenues de lui sont : la patience et la tolérance », affirme-t-il. Feu Bassirou poursuit El Hadji, s’est battu pour la construction d’un Village artisanal à Kolda. « C’est pourquoi, après réhabilitation des lieux, en 2018, j’ai décidé de lui rendre hommage en donnant son nom au Village artisanal », conclut-il.
Par Tidiane SOW