Une dette publique qui atteint presque 100% du Pib, un déficit budgétaire supérieur à 12%, une dette bancaire extrabudgétaire de 2 517,14 milliards de FCfa… Le rapport de la Cour des comptes sur l’audit des finances publiques, publié hier, fait plus que confirmer le Premier ministre Ousmane Sonko. Il pointe une situation beaucoup plus alarmante que ce qui avait été initialement annoncé.
Il était très attendu. Le rapport de la Cour des comptes sur l’audit des finances publiques, publié hier, confirme les révélations faites par le gouvernement en septembre 2024 sur le « maquillage » des chiffres. Mieux ou pis, le constat va au-delà de ce qu’avait annoncé le Premier ministre lors de sa fameuse conférence de presse du 26 septembre dernier. Le rapport nous renseigne que la dette publique se situe en réalité bien au-delà des 86% annoncés par le chef du gouvernement. En effet, selon les données du rapport, l’encours total de la dette de l’administration centrale budgétaire s’élève à 18.558,91 milliards de FCfa au 31 décembre 2023, soit 99,67% du Pib.
« C’est pire que ce que nous avions pensé », explique une source travaillant au ministère des Finances et du Budget. Ce qui représente un écart de 25,27% par rapport au chiffre initialement déclaré. Par composante, il s’agit 11.864,20 milliards de FCfa de dette extérieure, 6.694,71 milliards de FCfa de dette intérieure, dont 2.096,46 milliards de FCfa de dette bancaire locale contractée hors cadrage budgétaire. Ainsi, le service de la dette sur la période 2019-2024 s’élève à 2 497,00 milliards de FCfa, se répartissant ainsi : 2.147,22 milliards de FCfa d’amortissement, 298,77 milliards de FCfa d’intérêts, 21,73 milliards de FCfa de pénalités de retard à cause de l’absence d’un suivi centralisé des échéanciers et 29,28 milliards de FCfa de commissions et autres frais.
Dette bancaire Le rapport de la Cour des comptes confirme également l’existence d’une dette bancaire non retracée dans la comptabilité publique nettement plus élevée. Au 31 mars 2024, cette dette atteint 2.517,14 milliards de FCfa (1.961,07 milliards de crédits directs à l’Etat central et 546,70 milliards de Certificats nominatifs d’obligations – Cno), là où le rapport du gouvernement évoquait 2.234,06 milliards de FCfa (2.044,01 milliards de crédits directs à l’Etat central et des Cno de 190,05 milliards). Or, pointe la Cour des comptes, le remboursement de cette dette par des crédits budgétaires réduit les marges de manœuvre budgétaire de l’Etat. Sur l’origine de cette dette bancaire, notre source du ministère des Finances nous explique le procédé. D’abord, des banques étrangères proposent des créances à des entités publiques. Ensuite, les fonds étaient convertis en franc Cfa et logés dans des banques locales hors du circuit de contrôle budgétaire. Et c’est après le « débours » que cela devient une dette publique.
« Généralement, ces entités informaient le ministre des Finances qui donnait sa garantie. Il gérait directement ces dossiers avec son cabinet. Au moment de la programmation budgétaire, il demandait de mettre de côté la dette bancaire, ce qui permet d’alléger le ratio de la dette », explique notre informateur. Ce sont ces « circuits parallèles » que pointe le rapport à propos des Cno évalués à 546,70 milliards de FCfa et des intérêts de 58,99 milliards de FCfa. Ce montant inclut les Cno émis « au nom de personnes morales et qui ne sont pas adossés à des obligations résultant de conventions de crédit bancaire». L’analyse de la situation des Cno a permis à la Cour de relever que cette pratique est effectuée « en dehors des circuits d’exécution budgétaire et occasionne des surcoûts importants supportés par l’Etat ». En effet, les Cno émis sont négociables dans l’espace Uemoa.
A titre illustratif, la Cour des comptes a relevé six Cno émis au nom de la Banque de Dakar (Bdk) et signés le 27 mars 2024 pour titriser un montant de 117,16 milliards de FCfa en paiement à des échéances de prêt 2023 et 2024 et quarante Cno émis le 10 avril 2020 pour un montant total de 122,39 milliards de FCfa au profit de Locafrique dans le cadre de la titrisation de la créance de la Société africaine de raffinage (Sar) sur l’Etat du Sénégal. D’après la Cour des comptes, le remboursement de cette dette pèse lourdement sur les marges de manœuvre budgétaires de l’État, réduisant la capacité de financement des politiques publiques. Par ailleurs, constate le rapport, une partie des emprunts n’a pas reçu l’aval du Parlement, ce qui constitue « une irrégularité dans la gestion budgétaire ». Enfin, l’endettement bancaire hors circuit budgétaire expose l’État à des risques accrus, notamment des taux d’intérêts élevés et des échéances non maîtrisées. Sur un autre registre, le déficit budgétaire recalculé s’établit à 12,3% en 2023, soit un écart de 7,4% par rapport au chiffre initialement annoncé par le gouvernement.
Par Seydou KA