Diplômé en droit des affaires et fiscalité et en banque et finances, Ibrahima Ndiaye dispose d’une longue carrière en matière de droit et de conformité en banque. Il a notamment été responsable des contrats à la Société générale de banque au Sénégal et vient de publier un ouvrage intitulé : « Droit et pratique du crédit et des garanties bancaires dans l’espace Ohada ». Dans cet entretien, il analyse le retrait des banques françaises de l’Afrique et évoque l’actualité du secteur bancaire sénégalais après l’adoption du projet de Loi uniforme bancaire et la publication du rapport de la Cour des comptes.
Entretien
Pourquoi les banques françaises se retirent-elles de l’Afrique ?
C’est la marche de l’histoire. A l’origine, c’étaient des banques coloniales dont la mission originelle était d’asseoir la colonisation, payer les fonctionnaires de la colonie, assurer les services financiers entre la métropole et les colonies. Après les indépendances, elles sont devenues des banques néocoloniales. Elles sont restées pour accompagner la présence française à travers les entreprises françaises. C’est pourquoi, dans toutes les anciennes colonies françaises, on retrouve les filiales des « quatre vieilles » (Société Générale, Bnp, Crédit Agricole et Crédit Lyonnais). A l’époque où je travaillais à la Sgbs, entre 1998 et 2000, les gros crédits étaient accordés aux entreprises françaises. Aujourd’hui, le monde a changé. Les économies africaines se sont ouvertes à d’autres acteurs. Il y a une nouvelle donne géopolitique qui a réduit progressivement l’influence de la France dans les anciennes colonies. Par ailleurs, la nouvelle loi bancaire adoptée en 2023 au niveau de l’Umoa et transposée récemment par l’Assemblée nationale du Sénégal a « complexifié » la présence des banques françaises en termes de gestion prudentielle. Désormais, ces filiales doivent respecter et la réglementation locale et la réglementation de leur pays d’origine (les sociétés mères). Donc, il leur faut avoir une double comptabilité, un double ‘‘reporting’’ avec des règles différentes. En termes de gestion, ce n’est pas évident. Cela augmente les coûts pour ces filiales françaises et le manque de visibilité au niveau des maisons-mères. En outre, ces filiales sont devenues de moins en moins rentables à cause de la concurrence des banques africaines (marocaines, nigérianes et sud-africaines) qui font du ‘‘discount’’ en proposant des services à moindre coût. A cela s’ajoute que dans certains Etats du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso) la présence française n’est plus désirée. La combinaison de l’ensemble de ces facteurs économiques et géopolitiques fait que les banques françaises n’ont plus intérêt à garder des canards boiteux qui n’ont plus ce monopole politique sur les Etats africains et, en face, leurs concurrents africains qui bénéficient du soutien de leurs Etats en termes de ressources (exemple le fonds Al Mada pour les banques marocaines), ne cessent de gagner des parts de marché. En conséquence, les banques françaises se recentrent vers leurs marchés d’origine ou vers d’autres secteurs plus porteurs.
Y a-t-il des acteurs locaux qui ont les reins suffisamment solides pour reprendre ces filiales ?
L’Etat peut regrouper les acteurs privés pour racheter ces filiales. Mais il ne suffit pas de racheter, il faut savoir gérer. La Société générale est une banque qui existe depuis plus d’un siècle. Gérer une banque, c’est un métier, c’est gérer un réseau à l’international, avec des normes de plus en plus encadrées, contrôlées. Ce n’est pas facile de gérer une banque. Il faudra un accord avec la maison-mère pour bénéficier de son réseau à l’international. Ce qui veut dire qu’il ne faut pas totalement couper les ponts.
Est-ce que cette situation de transition ne va pas ralentir l’activité de crédit ?
Les banques qui se retirent vont effectivement vouloir nettoyer leur bilan et donc prendre moins de risques. Mais il ne faut pas oublier que les banques gagnent de l’argent en faisant du crédit. Donc, même si ces filiales sont en train de se retirer, elles ne vont pas cesser de faire du crédit.
Le fait qu’elles investissent de plus en plus dans les titres émis par les Etats ne va-t-il pas créer un effet d’éviction ?
Les banques ont toujours acheté des dettes émises par les Etats, qui présentent l’avantage d’être moins risquées et bien rémunérées. Il faut garder à l’esprit la faiblesse du secteur privé dans nos pays. Dans la zone Uemoa, les créances douteuses sont énormes, largement au-dessus des normes autorisées (Ndlr : environ 700 milliards de FCfa au Sénégal). C’est une destruction de valeur, puisque les banques ne peuvent pas prêter ces fonds et sont obligées de provisionner. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent le retrait des banques françaises. Quand j’étais à la Société générale (en 1998), elle avait le plus gros portefeuille contentieux (crédits non remboursés) de la place de Dakar. Tout cela est lié au caractère informel du tissu économique et l’absence de structures d’accompagnement des Pme servant de garantie. Il faut une politique hardie et innovante d’accompagnement du secteur privé en tâchant d’éviter les erreurs du passé qui avaient conduit à la faillite de plusieurs banques (Bnds, Biao).
Parlant de garantie, c’est quoi l’optimisation de suretés ?
C’est très lié à tout ce qu’on vient de dire. C’est-à-dire qu’une banque, en faisant un crédit, a intérêt à s’aménager la garantie la plus adéquate possible. En fonction du client et du montant du crédit, il faut choisir la bonne garantie et s’assurer que l’acte (le contrat) ne présente pas de failles. Donc, il y a des conditions de fond et de forme. La garantie joue un rôle fondamental dans les règles prudentielles, parce que cela peut obliger la banque à mobiliser des fonds propres. Donc, c’est très lié à la notion de solvabilité.
Le Sénégal a récemment transposé la nouvelle loi bancaire. Qu’est-ce qui change ?
Ce texte apporte beaucoup de changements au niveau structurel pour améliorer la résilience des banques. L’une des nouveautés concerne l’encadrement de la finance islamique. Il y a également des dispositions qui renforcent la stabilité financière avec la création de type d’établissements bancaires régionales ou nationales à caractère systémique : des banques qui méritent une surveillance accrue à cause de leur taille et de leur poids dans l’économie. Il y a également le renforcement des normes prudentielles (Bale II/III). Côté usager, même si je ne partage pas l’approche qui privilégie plutôt la protection des banques, on note quand même l’institution obligatoire de la médiation bancaire et le renforcement de la transparence, notamment en matière de tarifs bancaires. L’autre aspect qui renforce la protection des clients, c’est la garantie de dépôt. Ainsi, si une banque a des difficultés financières, les déposants pourront retirer une partie de leur argent. La nouvelle loi prend également en compte les fintech et le renforcement du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Bref, il y a beaucoup d’innovations pour s’aligner sur les standards internationaux.
Pensez-vous que cette réforme va améliorer le financement de l’économie par le secteur bancaire ?
Plus les banques sont soumises à des règles prudentielles en renforçant leurs fonds propres, plus elles ont des ressources. En théorie bancaire, il faut avoir 8 FCfa de fonds propres pour 100 FCfa de crédit. C’est le fameux ratio de solvabilité. Cependant, l’accès au crédit dépend de plusieurs facteurs. On est dans une économie dominée par le secteur informel. Or, les banques ne prêtent pas de l’argent à une entreprise qui n’a pas de garantie. Donc, ce n’est pas par des lois qu’on va régler le problème du financement de l’économie. Il faut réfléchir sur comment accompagner les entreprises informelles à se formaliser et avoir accès à la propriété, notamment le foncier. C’est la garantie qui permet à une banque de se prémunir contre les risques de non-paiement. C’est un raisonnement très basique que font les banques dans nos pays : si tu n’as pas de garantie on ne te prête pas. Cette nouvelle loi comporte pas mal d’avantages, mais elle ne va pas régler tous les problèmes.
Quel peut être l’impact de l’énorme dette bancaire (2 517 milliards de FCfa) révélée par le rapport de la Cour des comptes sur le portefeuille des banques ?
En principe les banques se feront rembourser parce que l’Etat est toujours jugé solvable en théorie. Mais certains banquiers attirés par l’appât du gain facile ont pu se rendre coupables de négligences ou de non respect des normes prudentielles. Il appartient à la Commission bancaire d’en tirer les conclusions.
Qu’arrivera-t-il si l’Etat tarde ou refuse de payer ?
Les banques seront obligées dans ce cas d’enregistrer ce montant dans les créances litigieuses et de provisionner. Ce qui va réduire leur capacité à faire du crédit et nuire à leur rentabilité. Sans oublier les sanctions éventuelles de la Commission bancaire. Donc, ajouté aux 700 milliards de contentieux qui étaient là, cela aura un impact énorme sur leur portefeuille.
Par Seydou KA