Depuis quelques mois, les abonnés de Canal+ font face à une hausse moyenne de 10 % des tarifs. Selon eux, plusieurs chaînes prisées ont disparu des bouquets standards. Résultat : la colère monte, et les alternatives, souvent illégales, séduisent de plus en plus de Sénégalais.
Il est midi passé à Fass Delorme, en ce fin juillet 2025. Dans sa petite boutique de transfert d’argent, une jeune femme, manifestement agacée, exhibe son reçu Canal+ fraîchement imprimé. « J’ai payé 11.000 FCfa pour le même bouquet qu’on avait à 10.000 FCfa il y a quelques mois. Et en plus, ils ont retiré quelques chaînes. Où est le respect pour les clients ? », lâche-t-elle, visiblement excédée.
Autour d’elle, des voix s’élèvent en écho. Dans bien des quartiers dakarois et d’autres régions du Sénégal, la colère enfle. En cause : la nouvelle grille tarifaire appliquée par le géant français de la télévision payante, avec une hausse moyenne de 10 % selon les abonnements. À cela s’ajoute une réorganisation des bouquets, qui a conduit à la suppression de plusieurs chaînes, notamment dans le sport.
Mamadou Lamine Konaré, père de famille rencontré aux Hlm Fass, témoigne : « Je payais 5.000 FCfa par mois, mais cette fois, j’ai payé 5.500 FCfa. C’est déplorable dans cette conjoncture difficile. Heureusement, j’ai encore Canal Sport 1 et 2, mais pour combien de temps » ? Yandé Ndiaye, elle aussi abonnée, paie également l’abonnement de ses parents vivant en milieu rural.
« Avant, je validais 5.000 FCfa via Orange Money, maintenant il faut impérativement 5.500 FCfa. C’est donc 500 FCfa et 1.000 FCfa supplémentaires que je paye ici parce que j’avais un abonnement de 10.000 FCfa. Donc une hausse de 1.500 FCfa pour moi. C’est lourd à payer chaque mois », dit-il.
« Payer plus pour voir moins »: la grogne des abonnés
La fronde des usagers ne faiblit pas. Joseph Raphaël Gning, abonné régulier habitant Thiès, se dit choqué. « Je payais 17.000 FCfa, dont 2.000 FCfa pour les chaînes de foot anglaises. Maintenant, c’est 18.700 FCfa. Et en plus, des chaînes comme Syfy ont disparu ! ». Même frustration chez Mamadou Diagne, étudiant : «Mon père m’a appelé avant-hier, il est complètement perdu avec ces changements ».
Moussa Faye, étudiant à l’Université Cheikh Anta Diop, lui, n’a pas renouvelé son abonnement. «Même la Ligue 1 française a été retirée du bouquet Access. On nous pousse vers les formules à 20.000 FCfa, mais qui peut sortir ça tous les mois ?», s’interroge-t-il. Face à cette grogne généralisée, l’Association sénégalaise de défense des consommateurs est montée au créneau.
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Dans une note du 22 juillet, Me Massokhna Kane, son président, a dénoncé cette « révision tarifaire unilatérale » qui fait grimper l’abonnement de 5.000 à 5.500 FCfa, de 10.000 à 11.000 FCfa, jusqu’à 27 500 FCfa pour les bouquets les plus chers. Selon lui, cette décision est intervenue après que les autorités sénégalaises ont interpellé Canal+ sur ses redevances impayées.
Il accuse la société de s’être «vengée» sur les consommateurs, sans préavis ni concertation. Contactée par Soleil Check, une responsable du service de communication de Canal Sénégal précise que «des éléments de langage» sont en préparation. Elle a reconnu aussi que les autorités avaient été informées de la hausse des tarifs, de même que les consommateurs.
Iptv, Drame Live, codes pirates : la fuite vers le non-officiel
Face à ces hausses et à la suppression de chaînes, de nombreux usagers se détournent de Canal+. Leur destination ? L’Iptv, ces boîtiers connectés ou applications qui permettent de regarder des centaines de chaînes via Internet… souvent sans licence.
Pape Ibrahima Ndiaye explique: « Chez nous, on a arrêté l’abonnement Canal depuis la hausse. Maintenant, nous utilisons le compte Iptv d’une connaissance. Il paye 25.000 F l’année. Tu payes une fois par an et tu as toutes les chaînes, même celles absentes de Canal+. Tant que tu as du Wi-Fi, ça marche. Le seul souci, c’est quand la connexion est instable ».
Abdou Ndiaye, lui, a préféré se tourner vers des solutions alternatives. Il a opté pour l’application Drame Live. «Payer Canal et le Wi-Fi en même temps n’est pas facile, surtout durant ces temps durs au Sénégal», confie-t-il. Avec Drame Live, confie-t-il, l’accès est gratuit.
« Pour l’utilisation, on installe juste l’application sur la smart Tv. Mais on a besoin d’un code, et c’est un ami informaticien qui me l’a donné. Ensuite, tu as accès à toutes les chaînes du monde. Il suffit d’avoir une connexion. Tous mes amis utilisent cette application depuis qu’ils ont découvert le secret ».
Le jeune avertit : «De nos jours, rien n’est plus compliqué. Si tu as déjà ta smart Tv et ta connexion Internet, même avec le partage des données mobiles, tu suis la télé. Canal a intérêt à réduire ses tarifs».
Une hémorragie annoncée ?
Ousmane Loum, conseiller commercial, résume : « Les gens sont fatigués. Seulement avec 5.000 FCfa, on peut avoir toutes les chaînes sur Iptv. Ce n’est pas légal, mais le système pousse à tricher ». Canal+ Sénégal semble pris entre le marteau des impératifs économiques et l’enclume du mécontentement populaire.
Dans un pays où le coût de la vie ne cesse d’augmenter, ces hausses tarifaires, combinées à une réduction de l’offre, apparaissent comme une double peine. Et les conséquences pourraient être durables. Suite à la hausse des tarifs, nombreux sont les Sénégalais à avoir déjà tourné le dos à Canal+.
D’autres, encore fidèles, réfléchissent à sauter le pas. « Si ça continue comme ça, ils vont perdre tout le monde », avertit le chef de famille Mamadou Lamine Konaré, qui paye plusieurs factures. Pour lui, le message est clair : afin de garder ses clients, Canal+ devra revoir sa copie. Et vite.
Par Adama NDIAYE