La guerre commerciale déclenchée par Donald Trump a créé un choc dans l’économie mondiale. Dans cet entretien, l’économiste luxembourgeois Julien Briot-Hadar, spécialiste des questions fiscales, analyse les implications. Pour lui, si l’issue semble incertaine, certains pays africains pourraient y tirer des bénéfices indirects.
Quel impact aura la guerre commerciale déclenchée par Trump sur l’Afrique ?
L’annonce par Donald Trump d’une guerre commerciale mondiale, avec l’augmentation significative des droits de douane sur les importations, y compris en direction de l’Afrique, soulève des questions complexes concernant l’impact de cette mesure pour le continent et les possibilités d’en tirer profit.
En tant qu’économiste, il est nécessaire d’analyser cet impact sous plusieurs angles. Premièrement, il est important de souligner que l’Afrique, dans son ensemble, reste une région relativement marginale dans les échanges commerciaux avec les États-Unis. Cependant, l’intensification des barrières tarifaires pourrait modifier cette dynamique d’une manière inattendue.
Les hausses des droits de douane, particulièrement dramatiques pour des pays comme le Lesotho, Madagascar ou Maurice, risquent de pénaliser sévèrement les exportations africaines vers les États-Unis. Les secteurs les plus touchés seraient les industries textiles, les produits agricoles et certaines ressources naturelles, comme le cuivre dont la demande pour les États-Unis représente une part importante. L’augmentation des taxes douanières rendra ces produits plus coûteux pour les consommateurs américains, réduisant ainsi leur compétitivité et risquant de provoquer une contraction des exportations africaines.
L’Afrique étant souvent dépendante de l’exportation de matières premières, telles que le pétrole, les minéraux et les métaux précieux, des hausses tarifaires risquent d’inciter d’autres pays, notamment la Chine ou l’Union européenne, à intensifier leur présence sur le marché africain. Cela pourrait se traduire par une concurrence accrue et une pression sur les économies africaines, lesquelles sont encore en phase de diversification industrielle.
Cependant, tout n’est pas nécessairement négatif pour l’Afrique. Certains pays africains pourraient tirer des bénéfices indirects de cette guerre commerciale. Par exemple, les droits de douane américains sur des produits chinois ou européens pourraient créer une opportunité pour les entreprises africaines d’exporter vers les États-Unis des produits similaires, dans la mesure où elles bénéficient d’avantages comparatifs dans certains secteurs.
Par ailleurs, un autre aspect à prendre en compte est la possibilité de réorienter les exportations africaines vers des marchés plus proches géographiquement, comme l’Union européenne, ou de négocier de nouveaux accords commerciaux régionaux ou continentaux. Le récent Accord de libre-échange continental africain (Zlecaf) pourrait offrir une alternative pour les pays africains en réduisant leur dépendance à l’égard des marchés extérieurs et en stimulant l’intégration économique intra-africaine.
L’approche protectionniste de Trump pourrait avoir des conséquences globales qui, paradoxalement, réduiraient les avantages commerciaux que les États-Unis ont historiquement cherché à promouvoir à l’échelle mondiale, notamment en Afrique. En fermant leurs marchés à une gamme plus large de produits en provenance d’Afrique, les États-Unis risquent de réduire leurs propres opportunités économiques sur le continent. Cela pourrait, en effet, entraîner une perte d’influence de Washington au profit de nouveaux acteurs mondiaux, tels que la Chine, l’Inde ou même l’Europe, qui adoptent des stratégies commerciales moins restrictives.
Les autres pays ont-ils intérêt à répliquer à ces droits de douane punitifs ?
Face à la décision unilatérale des États-Unis d’imposer des droits de douane punitifs, les réponses des autres Nations oscillent entre mesures de rétorsion, tentatives de négociations et affirmations de principes multilatéraux. La question de savoir si ces pays ont intérêt à répliquer par des mesures similaires mérite une analyse rigoureuse des coûts et bénéfices de chaque option.
D’une part, la mise en œuvre de mesures de rétorsion, comme l’ont annoncé la Chine ou l’Union européenne, pourrait s’avérer nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de leurs entreprises et protéger leurs intérêts commerciaux. Le recours aux contre-tarifs peut également envoyer un message clair sur la défense des règles du commerce international et la nécessité de maintenir un équilibre dans les échanges mondiaux. La Chine, par exemple, a déjà annoncé l’imposition de droits de douane supplémentaires sur les importations américaines, incluant des secteurs stratégiques comme les terres rares, éléments essentiels dans de nombreuses technologies avancées. Ce type de réponse peut avoir pour effet de pénaliser certains secteurs américains tout en renforçant la position négociatrice de Pékin sur le long terme.
Cependant, une réplique systématique par des droits de douane pourrait également être contre-productive, surtout pour des économies dépendantes du commerce extérieur, comme celles de l’Union européenne ou du Canada. Une escalade incontrôlée des tarifs pourrait entraîner une spirale protectionniste, réduisant les flux commerciaux mondiaux et augmentant les coûts pour les consommateurs et producteurs des deux côtés.
Dans ce contexte, la voie diplomatique, c’est-à-dire la négociation, apparaît comme une alternative stratégique, surtout pour les Nations qui souhaitent éviter une guerre commerciale prolongée et ses conséquences négatives sur la croissance économique. Plusieurs pays, à l’instar de l’Allemagne ou du Cambodge, privilégient encore les discussions avec les États-Unis, en espérant parvenir à une solution consensuelle sans avoir à recourir à des mesures punitives.
En outre, il est essentiel de souligner que certains États, comme le Brésil ou le Japon, ont choisi de se positionner fermement en défense de l’ordre multilatéral. Pour ces pays, la réponse ne réside pas uniquement dans la réplique commerciale, mais dans un recours aux instances internationales, telles que l’Omc. Le Japon, par exemple, a exprimé ses préoccupations quant à la conformité des nouvelles taxes américaines avec les engagements bilatéraux et multilatéraux. Cela traduit une volonté de réaffirmer l’importance de l’ouverture et du libre-échange, principes qui ont historiquement soutenu la prospérité mondiale.
Enfin, dans cette dynamique, il convient de prendre en compte la position de certaines Nations qui se contentent de plaider la négociation. Le Lesotho, durement frappé par ces nouvelles taxes, et la Suisse, espérant toujours un compromis, illustrent une approche plus conciliante, cherchant à convaincre Washington de revenir sur ses décisions via des échanges diplomatiques.
L’Omc sert-elle encore à quelque chose ?
La guerre commerciale, lancée par Donald Trump et marquée par l’imposition de droits de douane unilatéraux, pose une question cruciale concernant l’avenir de l’Organisation mondiale du commerce (Omc). Bien que cette structure ait pour but de favoriser les échanges commerciaux internationaux en réduisant les obstacles tarifaires et en réglant les différends entre États, elle se trouve, aujourd’hui, dans une position vulnérable, particulièrement en raison du blocage par les États-Unis du fonctionnement de son organe d’appel depuis 2019.
Le principal problème réside dans le fait que les États-Unis, en particulier sous Trump, ont choisi de contourner les règles de l’Omc en imposant des droits de douane unilatéraux. Ce comportement fragilise l’autorité de l’organisation, car elle ne dispose plus des moyens de sanctionner efficacement de telles actions, notamment avec la paralysie de l’organe d’appel. Si d’autres Nations, telles que la Chine ou le Canada, continuent de recourir à l’Omc pour contester ces décisions, les chances de succès restent minces tant que les États-Unis continuent de saboter le mécanisme de règlement des différends.
L’Omc perd ainsi une partie de sa légitimité et de son pouvoir d’influence. Cependant, l’organe demeure, selon certains analystes, un acteur nécessaire pour structurer les relations commerciales internationales. En effet, malgré les défaillances actuelles, de nombreux pays continuent de défendre ses principes, conscients de l’importance d’un système multilatéral pour garantir la stabilité et la prévisibilité des échanges. Toutefois, sans les États-Unis, le rôle de l’Omc serait sérieusement affaibli et une certaine adaptation pourrait être envisagée, voire une évolution vers un système parallèle avec des coalitions de pays partageant les mêmes objectifs.
Bien que l’Omc soit mise à mal par les actions unilatérales des États-Unis, il est prématuré de parler de sa fin. Elle reste un pilier du commerce international, même si son avenir dépendra largement de la volonté des autres pays de défendre ses principes face à la dérégulation américaine. Une crise de gouvernance est en cours, mais la possibilité de réformes et d’une action coordonnée pour maintenir une forme de structure multilatérale reste ouverte.
Y a-t-il un précédent historique similaire à ce qui se passe actuellement ?
Concernant la politique protectionniste de Trump et son appel à un « Liberation day », la question que vous soulevez renvoie à des récits historiques similaires, mais qui méritent d’être mis en perspective avec les réalités économiques passées et actuelles.
En effet, la politique de Donald Trump qui cherche à renforcer les barrières commerciales fait écho à des moments historiques où des tactiques protectionnistes ont été mises en place aux États-Unis. Seulement, les résultats obtenus à ces périodes étaient très nuancés et souvent négatifs pour l’économie américaine.
Au XIXe siècle, bien que les États-Unis aient effectivement imposé des droits de douane, leur impact sur l’industrialisation n’a pas été aussi déterminant que l’on pourrait le penser. Les droits de douane étaient utilisés, en grande partie, comme source de financement pour le gouvernement et non comme un outil stratégique pour protéger l’industrie. En réalité, la croissance industrielle américaine a été alimentée par une combinaison de facteurs bien plus complexes, incluant l’innovation technologique, la disponibilité de ressources naturelles, la création d’un marché intérieur unifié et des investissements massifs dans les infrastructures et l’éducation.
Le récit de Trump s’inspire d’une vision mythifiée de l’histoire économique en mettant l’accent sur le protectionnisme comme moteur d’industrialisation. Toutefois, de nombreux économistes démontrent que le vrai facteur de croissance était lié à des aspects comme l’innovation technique (exemple de l’industrie textile) et la mise en place d’infrastructures modernes. De plus, les périodes de protectionnisme, comme sous les tarifs élevés du XIXe siècle, ont souvent été marquées par de grandes crises économiques, telles que la Panique de 1873 et la Panique de 1893. Ceci souligne les dangers du protectionnisme excessif.
Les dégâts des guerres tarifaires sont aussi bien documentés. Par exemple, la loi Smoot-Hawley de 1930, qui a érigé des barrières douanières élevées, a contribué à une chute drastique du commerce mondial et exacerbé la Grande dépression. Cette expérience a d’ailleurs profondément influencé la politique commerciale américaine d’après-guerre qui a opté pour la libéralisation commerciale, avec des résultats très positifs pour l’économie mondiale.
Dans le contexte actuel, le protectionnisme prôné par Trump semble mal adapté à une économie mondialisée, où les chaînes de valeur sont fragmentées et interdépendantes. Par exemple, un produit fabriqué aux États-Unis peut comporter des composants provenant de multiples pays. Et un tarif douanier élevé risquerait non seulement d’augmenter les coûts de production internes, mais aussi de provoquer des représailles économiques qui affecteraient négativement les secteurs exportateurs dynamiques.
Qui sortira vainqueur de cette guerre commerciale ?
Les gagnants de la guerre commerciale lancée par Donald Trump sont principalement concentrés dans des secteurs spécifiques de l’économie américaine, bien que ces gains soient souvent cachés et temporaires. L’industrie sidérurgique, par exemple, a vu un regain de compétitivité grâce à l’augmentation des droits de douane sur l’acier et l’aluminium. Ces tarifs ont permis de protéger les producteurs américains de la concurrence étrangère, en particulier celle du Canada et du Mexique. Cela, en réduisant l’importation de produits à bas prix. Cependant, cette protection peut se révéler coûteuse à long terme, car elle perturbe les chaînes de production et impose des prix plus élevés aux consommateurs, affectant ainsi l’économie dans son ensemble.
Dans le secteur automobile, bien que les droits de douane aient entraîné une hausse des coûts pour les voitures neuves, cela a eu un effet secondaire sur le marché des voitures d’occasion. Les prix de ces véhicules ont chuté, attirant ainsi les consommateurs vers ce marché moins affecté par les hausses de coûts. Néanmoins, la baisse de la confiance des consommateurs pourrait avoir des répercussions plus larges, notamment en stimulant des ajustements rapides des taux d’intérêt par la Fed.
Le retour des industries sur le sol américain, bien que prôné par l’administration Trump, demeure incertain. L’objectif de relocalisation industrielle, soutenu par les subventions et les tarifs, pourrait rencontrer des obstacles économiques majeurs. Par ailleurs, la stratégie de relocalisation, bien que séduisante à court terme, nécessite une adaptation de longue haleine et expose l’économie américaine à des risques de déstabilisation et de coûts excessifs.
Ainsi, si certains secteurs bénéficient d’une protection immédiate, la question demeure : à quel prix pour l’ensemble de l’économie ? Les gains sont réels, mais les pertes, bien que plus discrètes, pourraient se révéler beaucoup plus importantes.
Entretien réalisé par Seydou KA