Sa création est plus célèbre que son nom. Pourtant Cheikh Ahmed Tidiane Samb, 39 ans, est le premier au Sénégal à instaurer les « Tiak Tiak ». C’était en 2012. Depuis lors, ce jeune entrepreneur fait son bonhomme de chemin. Aujourd’hui, il compte mettre sur pied une usine de montage de motos et prépare d’autres innovations.
Du haut de son bureau, Cheikh Ahmed Tidiane Samb dispose d’une large vue sur la Voie de dégagement nord. Mais l’homme n’a cure du vacarme qui règne sur cette grande artère à cette heure de la journée. Il est plutôt concentré sur son travail, l’œil rivé sur deux ordinateurs portables qu’il consulte simultanément. Pour ce jeune entrepreneur, fondateur de la société de livraison rapide « Tiak tiak », chaque minute compte. Surtout quand plusieurs clients vous font confiance et attendent un colis, un courrier ou une boite secrète. Fondée en 2012, « Tiak Tiak » a su s’imposer sur le marché sénégalais en un temps record. D’ailleurs, tous les services de e-commerce ont adopté cette idée de génie créée par cet ancien étudiant de l’école de commerce de Lille, en France. Vêtu d’une tenue africaine bleue, le visage souriant, Cheikh Ahmed Tidiane est aujourd’hui loin des années où il faisait seul ses propres livraisons à bord de sa moto X9. « J’ai fait seul la livraison pendant un an et demi. Par la suite, les jeunes ont commencé à adhérer au projet. En moins de deux ans, on a réussi à avoir une cinquantaine de livreurs. Après, il y a eu l’avènement de tout ce qui est e-commerce, avec Jumia notamment. Les entreprises ont commencé à adopter le concept », relève le créateur du « Tiak Tiak ».
L’idée de mettre sur pied cette entreprise est née alors qu’il était étudiant en France. Ne sachant pas comment faire pour envoyer certains cadeaux à la famille ou aux proches qui sont au Sénégal, il garde le projet dans un coin de sa tête et de retour au bercail il concrétisera son rêve. La pénétration du marché sénégalais se fera à partir d’une stratégie à la fois banale et efficace. Voyant que les pots de madd (fruit acide très consommé au Sénégal) se vendaient comme de petits pains, il s’associe avec mère Awa, réputée pour ses madd succulents. Eurêka ! La stratégie fonctionne. « Il nous arrivait de livrer jusqu’à 250 pots de madd par jour, ce qui nous faisait toucher entre 150 et 160 foyers sénégalais », se rappelle le jeune entrepreneur.
Au-delà des foyers, les livraisons de madd se faisaient dans les ministères, les agences, directions et même à l’étranger. « On a eu à livrer ses pots de madd un peu partout dans le monde à savoir au Canada, en France, aux Etats-Unis etc. », renseigne M. Samb. Mère Awa ou Awa Bâ à l’état civil, la vendeuse de madd établie au lycée Seydou Nourou Tall de Dakar souligne que Cheikh Ahmed Tidiane Samb est devenu, au fur des années, son « ami » grâce à la franche collaboration qu’ils ont nouée.
« Il a acheté des centaines et des centaines de pots chez moi et les livrait partout. Un jour, il est venu me dire qu’il venait du Palais présidentiel et que Marième Faye (ancienne Première dame) avait apprécié le produit », sourit celle que les clients appellent « mère Awa ».
2000 courriers lancés
De 2012 à aujourd’hui, « Tiak Tiak » s’est développée grâce à des collaborations nouées avec plusieurs partenaires dont Jumia et d’autres structures. Certes, la période de la Covid fut durement ressentie par les entreprises de livraison, mais les agents de « Tiak Tiak » n’avaient guère chômé grace à la livraison des pizzas tous azimuts.
Récemment, lors de la tenue des états généraux du commerce, le ministère avait fait confiance à cette entreprise pour expédier les 2.000 courriers partout au Sénégal. Seulement, les années de pratique de ce métier assez sensible ont parfois donné des sueurs froides à Cheikh Ahmed Tidiane Samb. Comme ce jour où une femme Gp (gratuité partielle), en provenance du Maroc, a fait appel à leurs services pour transporter un colis. Après avoir récupéré le colis à Liberté 4, le livreur est intercepté par les agents de l’Orctis (Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants). Ces derniers lui notifient que le colis contenait de la drogue, mais qu’il pouvait l’envoyer à son destinataire. Néanmoins, Cheikh Ahmed Tidiane Samb est convoqué.
« Quand je suis venu, j’ai expliqué le processus. Les agents ont compris que tout était clair et que notre société n’y était pour rien. Par la suite, le livreur a été retenu pour enquête, ce qui est normal. Il a juste été retenu quelques heures au niveau de la gendarmerie de la Foire. Après, ils l’ont relâché », explique le fondateur de « Tiak Tiak ».
Cette expérience leur a permis de faire des réajustements dans le travail et surtout dans la sécurisation des colis ou courriers.
Un conducteur ne doit pas porter de sandales
A 39 ans, Cheikh Ahmed Tidiane Samb fait travailler 65 agents permanents et plusieurs autres livreurs indépendants. Aujourd’hui, il compte s’installer dans toutes les régions et dans des pays comme la Guinée Bissau et la Côte d’ivoire.
L’ambition et le courage en bandoulière, Cheikh Ahmed Tidiane Samb se projette de donner une nouvelle allure à « Tiak Tiak », avec le projet de construction d’une usine de montage de motos électriques à Kaolack. Pour lui, la phase de conception est derrière lui, il compte réaliser cela cette année. « On est à l’ère de l’électrique. Il faudrait qu’on puisse être en phase avec le monde et ne pas être en retard sur ce point. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu de faire cette usine de montage de motos électriques », décline-t-il.
Non sans appeler les Sénégalais qui sont intéressés à venir prendre part à ce projet qui sera financé en grande partie sur fonds propres. L’un de ses traits de caractère, c’est aussi de permettre à ses compatriotes d’améliorer leur niveau de vie. Livreur professionnel, Amadou Séga Diémé habite le même quartier que Cheikh Ahmed Tidiane Samb. Il le considère comme quelqu’un qui est « humainement bien ».
Selon lui, grâce à la création de « Tiak Tiak », Cheikh Ahmed Tidiane a contribué à réduire le chômage des jeunes au Sénégal de 30 à 50%. Pour avoir travaillé avec lui plusieurs années avant de prendre son propre chemin, Amadou Séga se souvient encore des conseils de son ancien patron.
« A chaque fois, il nous disait que le conducteur de Tiak Tiak ne doit pas porter le même habit deux fois de suite, ni des sandales. Car, nous sommes appelés à aller dans les ministères, les agences et directions ainsi que dans d’autres lieux où il faut se faire respecter », rapporte Séga.
Un appui plus consistant
En tant que pionnier dans le secteur de la livraison express, le fondateur de « Tiak Tiak » souhaite voir un « appui plus consistant » de la part des autorités. C’est le seul moyen, selon lui, de développer le secteur privé dans ce domaine. D’ailleurs, en ce qui concerne la mesure d’immatriculer les deux roues au Sénégal, Cheikh Ahmed Tidiane Samb applaudit.
« C’est une très bonne idée. Car c’est inconcevable dans un pays qui se respecte, de voir des véhicules motorisés non immatriculés continuer de rouler. Je pense que la suite logique après cette immatriculation des motos sera la formalisation », explique le natif de Bonn, en Allemagne. Cheikh Ahmed Tidiane Samb a toujours cru aux potentialités de la jeunesse sénégalaise. Selon lui, l’Afrique est un continent à construire et les sénégalais ne doivent pas être en reste. A bord de son « Tiak Tiak », il montre le chemin aux autres.
Par Maguette NDONG