Après plusieurs mois de discussions, le Sénégal a obtenu la renégociation du contrat controversé de l’usine de dessalement de la Grande Côte, initialement signé en mars 2024. Le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Cheikh Tidiane Dièye, détaille le processus, les avancées majeures obtenues au profit du contribuable sénégalais et les prochaines étapes de ce projet stratégique pour l’accès à l’eau potable dans le triangle Dakar-Mbour-Thiès.
Le Sénégal a finalement obtenu la renégociation du contrat avec Acwa Power. Comment s’est déroulé le processus ?
Je voudrais d’emblée préciser que le Sénégal n’a pas obtenu la renégociation du contrat de la même manière qu’un demandeur bénéficierait d’une faveur. Les nouvelles autorités ont voulu conformer un contrat à l’idée qu’elles se font de la coopération, c’est-à-dire un partenariat équilibré. Par « équilibré », nous entendons un accord profitable aux deux parties, dans la sauvegarde des intérêts de nos peuples et des relations d’amitié. Ces deux principes constituent le ferment d’une diplomatie économique gagnant-gagnant. Ce contrat de l’usine de dessalement sur la Grande Côte porte déjà la marque d’un contexte inapproprié. Il a été signé le 27 mars 2024, soit trois jours avant le départ de l’ancien Président de la République. Pour le timing de la signature comme pour le niveau des efforts financiers du Sénégal, ce contrat d’achat d’eau a suscité un accueil très controversé de la part de l’opinion.
Les orientations relatives à une évaluation des contrats de partenariat public-privé ont été données par Monsieur le Président de la République lors de la réunion du Conseil des ministres du 17 avril 2024, soit deux semaines après son investiture. Vous vous souvenez sans doute que les premières mesures fortes du nouveau pouvoir ont concerné le secteur de l’eau. Cinq jours après cette annonce forte, en visite à la Sones et à la Sen’Eau, j’ai annoncé la suspension dudit contrat. Cette volonté a été réaffirmée à l’occasion de plusieurs émissions, dans le but d’apporter des éclairages au public.
Quels sont les griefs que vous aviez contre l’ancien contrat?
Outre la période de signature dite « douteuse », plusieurs griefs étaient soulevés, parmi lesquels : le coût du service que l’État devait verser au privé sur trente ans, le poids trop important de l’électricité dans le tarif de l’eau, le tarif du mètre cube d’eau dessalée jugé élevé et l’absence d’un véritable contenu local. Un tel accord n’était pas viable au moment où notre mandat est bâti sur l’éthique de la gouvernance, la centralité des aspirations populaires et la soutenabilité des efforts financiers. Ce grand contrat de loyauté à l’égard des citoyens sénégalais doit inspirer tous les autres contrats, et cette usine de dessalement en particulier. Voilà une raison objective de revoir cette copie, malgré l’urgence impérieuse attachée à la mobilisation de volumes d’eau complémentaires pour réaliser l’accès universel. L’objectif de la suspension du contrat n’était pas de contrarier un partenaire historique, mais de co-construire un cadre rénové de partenariat conforme à nos options stratégiques, dans notre détermination à apporter des réponses viables et soutenables aux besoins en eau potable du triangle Dakar, Mbour et Thiès (DMT).
D’ailleurs, la diplomatie a été déterminante dans la renégociation. En effet, le souci de maintenir la flamme d’une coopération séculaire a été largement partagé. Nous avons exploré cette voie du partenariat fraternel et sincère pour aboutir à des discussions franches et constructives. Les ressorts diplomatiques ont tenu. Le Président de la République a été reçu à Riyad par le Roi Ben Salmane, avant de recevoir à Dakar le vice-chairman d’Acwa Power le 17 septembre 2024. Cette date marque la reprise officielle des négociations. L’expertise sénégalaise s’est admirablement affirmée au sein du Comité technique, composé de la Présidence, du Ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement incluant la Sones, du Ministère des Finances et du Budget, du Ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération, et du Ministère de l’Énergie, du Pétrole et des Mines. Le résultat est là : nous avons, pour le Sénégal, le premier exemple de renégociation réussie d’un gros contrat Ppp.
Qu’est-ce qui a été déterminant dans l’obtention de ce nouveau contrat ?
Dans le processus ayant abouti à la stabilisation et à la signature de ce contrat rénové, nous avons bâti, sur instructions du Président de la République et sous l’autorité du Premier ministre, un socle éthique. Notre action s’inspirait de l’État de droit, qui doit s’interdire de transgresser des lois qu’il a lui-même édictées. Un exemple patent était que la Sones n’avait pas intégré, dans le projet de contrat, les réserves et recommandations de l’Unapp et de la Dcmp. Le fait d’avoir eu le quitus du Comité interministériel pour conclure le contrat Ppp par entente directe ne suffisait pas à écarter le risque de nullité de cet accord. Ce nouveau contrat a suivi tout le parcours de transparence pour être un document frappé du sceau de la conformité. C’est la marque du Jub-Jubal-Jubanti. Nous ne pouvons pas prôner une éthique de la gouvernance publique et signer des engagements internationaux qui ne ressemblent pas à nos principes d’action. Ce cadre éthique dressé, nous avons étudié les niches susceptibles de procurer des gains profitables au contribuable sénégalais sans léser nos partenaires saoudiens.
Dans une atmosphère empreinte d’une forte convergence vers la construction d’un nouvel accord, nous avons analysé les coûts de ce contrat sur trente années. L’optimisation des coûts concerne l’investissement global qui relève de la responsabilité du privé. Cependant, le Sénégal a un droit de regard sur les coûts de construction appliqués sur le marché international et qui pourraient baisser. En relation avec le partenaire privé, le Sénégal a œuvré pour que les prêts concessionnels, traduisant les emprunts à des taux d’intérêt abordables, représentent la moitié des volumes de l’investissement et non plus 33 %. Cela a contribué à la baisse du tarif. L’autre niche d’optimisation qui a généré des gains est le tarif de l’eau dessalée. Le gain de plus de 30 FCfa par mètre cube, en passant de 427 FCfa à 389,8 FCfa, représente une manne financière lorsqu’elle est appliquée à des millions, voire des milliards, de mètres cubes sur une certaine durée. L’État a amené le partenaire à revoir à la baisse son effort de soutenabilité.
Celui-ci passe de 20 milliards Fcfa à partir de 2027, puis 40 milliards FCfa à partir de 2030, à 17,5 milliards de FCfa sur la période 2027-2029, et 35 milliards FCfa/an à partir de 2030 dans le nouveau contrat. Ces améliorations sont importantes. En plus de cela, nous avons agi sur l’énergie, qui a un impact très significatif sur les coûts de production, soit environ 30 %. Dans ce contrat, nous avons réussi à doubler la capacité de production d’énergie solaire et à faire de la Sones et de la Senelec des actionnaires des deux sociétés de gestion de l’usine Spv-Eau et des deux centrales solaires, Spv-Énergie. Les dividendes générés seront réinvestis dans l’eau dessalée pour maintenir le coût dans des proportions supportables pour le consommateur. Le dessalement étant une option qui prend de l’importance, la Sones bénéficiera de la renommée d’Acwa Power. Ensemble, ils réaliseront des projets de dessalement en Afrique de l’Ouest selon les opportunités. Vous avez là quelques avantages décisifs étudiés et soumis à l’appréciation du partenaire. La qualité de la collaboration et la volonté des parties ont été décisives.
Maintenant que c’est signé, quelles sont les prochaines étapes ?
Nous entrons dans ce qu’on appelle en Ppp la phase de développement du projet. Les bailleurs du projet feront leur tour de table pour mobiliser le financement. C’est le « closing financier » dans le jargon. Dans cette même phase seront constituées les sociétés d’exploitation de l’usine, la Spv-Eau, et des deux centrales photovoltaïques, la Spv-Énergie. Acwa Power recrutera également le constructeur de l’usine. L’État veillera à une bonne exécution de l’agenda du projet pour nous conformer au grand agenda du contribuable sénégalais, qui est en droit d’attendre une eau de qualité et en quantité.
Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM