Peu connu, le business halal regorge pourtant d’opportunités pour l’économie. Mais des préalables sont nécessaires pour tirer parti du potentiel d’un marché en essor.
Le business halal contrairement à ce que pourrait laisser penser son appellation, « n’est pas un espace d’affaires exclusivement réservé aux musulmans, aux gouvernements et aux entreprises des pays musulmans ». Cette clarification est apportée par Djibril Guèye, spécialiste en finance islamique. Il souligne que de nombreux pays non musulmans sont actifs et sont parfois les premiers bénéficiaires du business halal. Il définit ce dernier comme « la mise en valeur de pratiques d’entreprises, de production, de financement et de commercialisation conformes aux prescriptions de la loi coranique, tant au niveau national qu’international ». Les domaines du business halal sont variés et englobent divers secteurs de consommation tels que l’alimentation, les services financiers, les produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques, la cosmétologie, l’hôtellerie, le tourisme et la mode.Une autre particularité du business halal, selon M. Guèye, est son caractère éthique et responsable, reposant sur des principes de transparence, de traçabilité, de qualité et de sécurité des biens de consommation.
Tourisme halal
Deneba Diouf, spécialiste en business halal, citant des projections récentes, confie que l’économie mondiale du halal pourrait atteindre 9.700 milliards de dollars d’ici 2030, portée par une croissance soutenue et une demande accrue de produits conformes aux normes islamiques. Cette expansion est notamment stimulée par une population musulmane mondiale en forte progression qui devrait atteindre 2,2 milliards en 2030, selon les projections du Pew Research Center.
Aujourd’hui, la population musulmane africaine subsaharienne représente 30 % et 15 % de la population musulmane mondiale, soit environ 400 millions d’habitants (consommateurs). Ce chiffre atteste du potentiel du business halal sur le continent, indique M. Diouf.
Le tourisme halal est un autre domaine porteur et émerge comme un levier de croissance en Afrique de l’Ouest. En 2022, l’Organisation mondiale du tourisme a enregistré 52,4 millions d’arrivées en Afrique, générant 33,6 milliards de dollars de recettes. Toutefois, relativise Deneba Diouf, l’absence de certification halal et d’infrastructures adaptées freine le développement de cette niche.Dans cette dynamique, la Cedeao et l’Uemoa ont adopté une politique touristique commune visant à attirer 8,5 millions de visiteurs par an, pour développer les offres conformes à la Sharia.
A titre d’exemple de tourisme halal, Deneba Diouf cite le Magal de Touba, qui rassemble jusqu’à 5 millions de fidèles chaque année avec un impact économique estimé à 250 milliards de FCfa (400 millions d’euros), plus de 200.000 ruminants sacrifiés et des pics d’importations de produits de première nécessité. Les transferts de fonds atteignent 700.000 transactions par jour, pour un volume financier de plus de 60 milliards de FCfa.
Vers une stratégie nationale halal
Malgré les opportunités, le marché halal exige une approche stratégique. Djibril Guèye souligne que bien que le potentiel du business halal soit souvent mis en avant, il ne suffit pas d’en reconnaître l’existence pour en tirer profit. Plus de 80 % du commerce des pays de l’Oci s’effectue avec des pays non musulmans ; une tendance à inverser.
M. Guèye rappelle que les grands acteurs du business halal ne sont pas des musulmans. Le Sénégal, en particulier, fait ses premiers pas dans le marché halal par la certification des entreprises. À son avis, une collaboration entre les acteurs, les ministères et les agences d’État est essentielle pour structurer et dynamiser cette filière.
Selon Djibril Guèye, le Sénégal entretient d’excellentes relations avec le monde musulman ; ce qui lui offre de nombreuses opportunités commerciales et économiques. « Un cadre favorable à l’innovation industrielle se dégage avec les opportunités qu’offrent le business halal et l’agrobusiness », dit-il, affirmant qu’une stratégie nationale de production et de consommation halal, intégrant les dimensions économiques, sociales et environnementales, est indispensable.
« Le Sénégal doit mettre en place une stratégie nationale de production et de consommation halal avec une approche systématique et intégrée, tenant compte des spécificités économiques, sociales et environnementales du pays », déclare Djibril Guèye.
D’après le spécialiste, cela implique la hausse de la production locale pour réduire la dépendance aux importations alimentaires, d’améliorer la sécurité alimentaire et de créer des emplois. Il préconise aussi la sensibilisation et l’éducation à une consommation responsable (halal) et durable, en favorisant la transformation des produits agricoles tenant compte des normes halal. Djibril Guèye pense que la dynamique de création et de développement de petites et moyennes entreprises au sein des pays membres de l’Oci est inégale dans le monde. Il indique que le nombre de Pme pour 1000 habitants est 2 fois plus important que dans les pays en développement.
Il s’y ajoute que plusieurs obstacles freinent l’essor du business halal au Sénégal notamment l’insuffisance de l’appui de l’État aux agences de certification, aux structures de promotion et aux entreprises du secteur. Ce manque de soutien limite leur capacité à se conformer aux normes internationales et à conquérir de nouveaux marchés.
Deneba Diouf note que l’une des principales limites réside dans l’absence d’un appui conséquent de l’État, notamment en ce qui concerne l’accompagnement des agences de certification halal, l’encadrement des structures de promotion du business halal et le soutien financier aux acteurs.
Cette carence, déplore-t-il, freine la capacité des entreprises à se conformer aux normes internationales et à répondre aux attentes des consommateurs. Ce manque d’implication de l’État dans l’accompagnement des entreprises du secteur notamment à travers les dispositifs d’appui aux entreprises à l’exportation ou leur connexion aux bureaux économiques des ambassades des pays membres de l’Oci ou pays non musulmans à fort potentiel halal, constitue un frein au dynamisme du marché halal au Sénégal.
Vision Sénégal 2050
Deneba Diouf est convaincu que la vision Sénégal 2050 est une belle occasion pour avoir une stratégie en cohérence avec le plan national de développement. Selon lui, l’initiative ne doit pas être pensé de manière isolée mais plutôt comme un pilier stratégique s’inscrivant dans la Vision Sénégal 2050, qui ambitionne un développement inclusif, durable et compétitif à l’échelle internationale.
En intégrant l’économie halal dans cette feuille de route nationale, estime-t-il, le Sénégal pourrait accélérer la diversification de son économie, favoriser l’émergence d’industries à forte valeur ajoutée et créer de nouvelles opportunités d’emplois, en particulier pour les jeunes et les femmes.
« Cette stratégie halal alignée sur la Vision Sénégal 2050 permettrait d’assurer une meilleure structuration des filières agroalimentaire, cosmétique, pharmaceutique et touristique halal. Cela garantirait non seulement des normes de qualité strictes, mais aussi une meilleure compétitivité sur les marchés régionaux et internationaux », insiste-t-il. Un avis partagé par Djibril Guèye.
Il est convaincu que le business halal est fortement associé aux axes prioritaires de développement du Sénégal à l’horizon 2050. « Notre pays doit investir dans le développement et l’accélération d’une coopération internationale économique, industrielle, entrepreneuriale, commerciale en tenant compte du potentiel du business halal mais aussi d’autres ressources techniques et managériales dont il dispose », dit-
PROFESSEUR KHADIYATOULAH FALL
« Transparence et éthique dans les transactions »
« Le business halal, c’est le marché de l’islam qui s’ajuste au système capitaliste, à l’industrialisation et aux techniques managériales modernes », analyse Khadiyatoulah Fall, professeur émérite des universités au Canada. Il ène des recherches sur les modulations et ajustements de normativités du business halal en contexte d’immigration musulmane en Occident.
Selon lui, c’est la rencontre entre les exigences de la loi islamique et les contraintes mondialisées du commerce moderne. « Dans ce business, il faut tenir compte des principes islamiques face au marketing digital », dit-il. Aujourd’hui, dans la promotion du business halal, on met en avant le profit, la démographie, le commerce.
Toutefois, souligne le Pr Fall, il faut aussi « insister sur la transparence et l’éthique dans les transactions ».
« Le business halal, c’est financer, entreprendre, commercialiser et consommer selon les principes islamiques et dans un marché mondial concurrentiel. C’est un business en forte expansion mais qui doit subir l’épreuve de vigilance de ne pas diluer les valeurs fondamentales », conclut l’universitaire.
Par Oumar FÉDIOR