Pour la gestion et la coordination des corridors routiers, ferroviaires et fluvio-maritimes, le gouvernement a porté son choix sur le Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec). Décision qui met fin à une intense bataille de positionnement entre différents acteurs.
La gestion des corridors routiers, ferroviaires et fluvio-maritimes suscitait toutes les convoitises depuis la tenue du Conseil interministériel du 9 août dernier consacré aux infrastructures maritimes et portuaires. Ce jour-là, lorsqu’il a été question de mettre en place un cadre institutionnel pour coordonner le développement de ces corridors, le Port autonome de Dakar et le Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec) ont, tous les deux, manifesté leur volonté d’en être la tête de pont. Chaque entité avançant ses arguments de manière énergique, signe des enjeux stratégiques que la gestion des corridors charrie. Le Premier ministre Ousmane Sonko avait même du intervenir pour appeler à la sérénité, soulignant que le choix de l’entité retenue par le gouvernement serait dévoilé en temps et en heure.
Quatre mois plus tard, la décision est finalement tombée : la gestion et la coordination des corridors sont confiées au Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec). Si l’arrêté officialisant cette décision n’est pas encore publié, les parties prenantes en ont été déjà informées. Mieux, le ministre des Pêches et des Infrastructures maritimes et portuaires, Dr Fatou Diouf, a confirmé publiquement la nouvelle, avant-hier, lors d’un atelier sur le développement durable des corridors, à Pointe Sarrène. « A la suite de ce Conseil interministériel, les autorités ont confié au Conseil Sénégalais des Chargeurs (Cosec) la coordination, la gestion, l’exploitation et le suivi des corridors terrestres, fluvio-maritimes et portuaires, conformément aux missions de l’établissement définies à l’article 2 du décret n°94-606 du 09 juin 1994», a-t-elle notamment déclaré. D’ailleurs, le ministre voit en cet atelier un des premiers pas de la mise en œuvre de ces instructions primatoriales. Tout en réaffirmant l’engagement du gouvernement à appuyer toute initiative allant dans le sens de renforcer l’ensemble des corridors identifiés, Dr Fatou Diouf a invité tous les acteurs à mutualiser leurs compétences afin de permettre au Cosec de jouer pleinement le rôle qui lui est ainsi assigné.
De gros défis à relever pour le Cosec
Avec ces attributions additionnelles, le Cosec a du pain sur la planche au regard des défis qu’il devra désormais relever. De manière concrète, il aura pour mission d’identifier les obstacles à la fluidité du trafic sur les corridors et mettre en œuvre des actions correctives; de veiller au respect des réglementations de facilitation des transports et du transit routiers; de mesurer l’impact des mesures de facilitation sur l’efficacité des corridors; de collecter, diffuser des informations pertinentes et sensibiliser les usagers sur les mesures affectant les corridors; d’assurer la visibilité et l’attractivité des corridors auprès des acteurs publics et privés; de prendre les dispositions nécessaires pour garantir le respect des règles applicables au transport et au transit. La mise en place d’un Programme de développement des corridors, intégrant la réalisation de ports secs avec notamment, la construction d’entrepôts de stockage, d’aires de stationnement, de postes de contrôle juxtaposés, nécessaires à l’amélioration de la connectivité entre les ports et les pôles industriels, mais également avec l’hinterland et les autres pays limitrophes sera également une de ses missions majeures.
Le mérite d’une gouvernance plus claire
La décision du gouvernement de confier la gestion des corridors à une seule entité obéit à deux préoccupations. D’abord une volonté de se conformer à la Décision n°39/2009/Cm/Uemoa portant création et gestion des corridors de l’Union qui suggère que chacun d’eux soit géré par un Comité placé sous l’autorité d’un Conseil d’Orientation et sous la supervision de la Commission de l’Uemoa. Ensuite un souci de gouvernance plus efficace et efficiente car, au Sénégal, beaucoup d’acteurs intervenaient sur les fonctions liées à la gestion des corridors. Ce qui ne permettait pas une coordination clairement définie. Or, comme l’a souligné un expert lors de l’atelier, «la volonté de renforcer la connectivité avec l’hinterland par le développement durable des corridors repose avant tout sur l’établissement d’un cadre institutionnel et organisationnel efficace, capable de soutenir une gestion intégrée et d’assurer la pérennité des infrastructures ». Pour dire la pertinence du choix des autorités qui aura le mérite de rendre le jeu plus clair.
Corridor, un concept, plusieurs sens
Selon le consultant Mamoudou Bocoum, vice-président Afrique francophone de l’ouest du cabinet canadien Cpcs qui intervient dans le développement des infrastructures, il n’existe pas de définition universelle d’un corridor. «Les corridors sont des mécanismes stratégiques permettant une approche coordonnée et intégrée du transport, du transit, de la facilitation des échanges et des questions connexes aux niveaux régional, sous-régional et national. Le terme est utilisé dans différents contextes, selon les objectifs et les secteurs concernés. Il est souvent suivi de qualificatifs tels que « économique », « de transport », ou « de commerce ». En Afrique, il désigne souvent des routes reliant ports et capitales, ignorant des dimensions telles que la multimodalité, la logistique avancée, ou les connexions numériques», a-t-il expliqué. Quant à l’Uemoa, elle définit les corridors comme « les infrastructures des transports routiers traversant au moins deux États membres de l’Union avec comme point de départ ou d’arrivée un port maritime ». Dénommés «Corridors de l’Union», on en relève ceux de commerce qui font référence au réseau d’infrastructures et de services optimisant les échanges commerciaux et ceux économiques qui sont un mécanisme stratégique visant à renforcer les chaînes de valeur, le développement économique et l’intégration territoriale.
Enjeux d’une décision primatoriale
La Directrice générale du Cosec, Ndèye Rokhaya Thiam accueille avec gravité la décision des autorités de confier à sa structure la gestion et la coordination des corridors routiers, ferroviaires et fluvio-maritimes. Elle assure que «le Cosec travaillera avec les autres structures du ministère des Pêches et des infrastructures maritimes et portuaires», dans la conduite de cette mission.
Sur les enjeux, Mme Thiam estime qu’ils sont de plusieurs ordres, notamment économique, sécuritaire et environnemental. Sur l’aspect économique, la Dg du Cosec souligne que la faible performance logistique du Sénégal (3% du Pib) entraîne des pertes annuelles estimées à 900 milliards de Fcfa (selon le document diagnostic présenté lors de l’atelier) en raison de la faible exploitation du potentiel des corridors, particulièrement dans les régions intérieures. Concernant l’aspect sécuritaire, Ndèye Rokhaya Thiam tient à rappeler que l’absence d’infrastructures le long des corridors expose les routiers et les populations à des accidents. «Si nous prenons le cas de la ville de Kaolack, l’absence de voies de contournement oblige les gros porteurs (jusqu’à 1200 par jour) à emprunter les artères de la ville avec les risques d’accidents. Or, la construction d’un port sec à Mbadakhoune et d’une gare des gros porteurs permettrait de minorer les risques sécuritaires», explique-t-elle. En ce qui concerne les enjeux environnementaux, Mme Thiam pense qu’il faut de plus en plus privilégier une approche qui tienne compte de ces questions afin d’inscrire les actions dans la durabilité. «La gestion des corridors ne déroge pas à cette règle. D’où le choix du thème de l’atelier qui s’est voulu d’ailleurs très inclusif», précise-t-elle.
Par Elhadji Ibrahima THIAM