Le tannage est une activité artisanale qui occupe bon nombre de femmes rurales. À Dahra, une localité située à l’ouest de la commune de Linguère, cette pratique constitue un point de convergence pour les femmes. Ce métier emploie et nourrit beaucoup de personnes.
LINGUÈRE – Loumbol, un quartier situé au nord de la commune de Dahra, dans le département de Linguère, est, aujourd’hui, devenu un haut lieu du tannage des peaux animales. Chaque matin, avant huit heures, les femmes tanneuses s’activent pour transformer toute sorte de peaux, principalement celles de moutons, de vaches ou de chèvres. La plupart des tanneuses sont des femmes maures. La tannerie « Mère Aïcha Dieng » de Loumbol emploie plus d’une vingtaine de femmes. Les peaux sont immergées dans des solutions contenant des agents tannants, comme le tanin végétal ou des sels minéraux, afin de les rendre imputrescibles. Trois techniques principales permettent de tanner les peaux.
La première, c’est le tannage végétal qui utilise des substances naturelles comme les écorces d’arbres ou les graines de l’Acacia nilotica (« nep nep » en wolof). C’est une méthode respectueuse de l’environnement. La deuxième, c’est le tannage minéral, réalisé à l’aide de sels métalliques, notamment le chrome, pour un processus plus rapide et efficace. La troisième technique a trait au tannage synthétique qui repose sur des produits chimiques modernes.
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Des substances chimiques sont manipulées sans équipements de protection
Selon Aïcha Dieng, présidente des femmes tanneuses de Dahra, ces substances chimiques sont manipulées sans équipements de protection. Cette sexagénaire affirme avoir exercé ce métier depuis plus de 40 ans. « J’ai hérité ce métier de ma grand-mère maternelle qui a vécu plus d’une centaine d’années. C’est elle qui m’a appris le tannage quand j’avais 15 ans. Je vis de ce travail et j’assure mes dépenses quotidiennes. C’est un métier pénible, mais nous y tenons, car il nous fait vivre », témoigne Mme Dieng.
Une autre tanneuse, Rica Fall, âgée d’une cinquantaine d’années, a été trouvée en train d’ôter les poils d’une peau à l’aide d’un couteau. Blessée à la paume de la main droite, elle continue néanmoins son travail. « Nous savons que le tannage est un métier difficile, mais nous l’avons hérité de nos parents. Je suis dedans depuis 20 ans. Avant de retirer les poils, je nettoie d’abord les peaux brutes, puis je les immerge dans des bassines ou des canaris contenant de l’eau mélangée à des produits chimiques. Deux jours plus tard, les peaux deviennent molles et je passe à l’épilation », explique-t-elle.
Et de poursuivre : « Les peaux épilées sont plongées dans de l’eau mélangée aux graines de « nep nep » pendant deux jours supplémentaires. » Ce n’est qu’après cela qu’elle procède au polissage, dit-elle, précisant que les peaux polies sont lavées dans de l’eau contenant de la javel et du détergent liquide pour éliminer les odeurs. « Elles deviennent ainsi neuves, puis nous les laissons sécher. « C’est une activité vraiment pénible », assure Rica. C’est pourquoi elle appelle les pouvoirs publics ou les partenaires à les aider à disposer de machines pour piler les graines, broyer les écorces, dépecer les peaux, mais aussi d’équipements comme des bottes, des gants, des masques, des lunettes et des couteaux tranchants.
Pénibilité et dépenses supplémentaires
Le tannage est un métier pénible. Outre la dureté du travail, il génère des coûts supplémentaires. Aïssa Diop, une tanneuse de 42 ans, ne cesse de se plaindre de ces charges. « Nous payons le sac de « nep nep » à 5.000 FCfa pendant l’hivernage, mais en saison sèche, il coûte 2.500 FCfa. Le kilogramme de chaux revient à 400 FCfa. L’eau est également payante, car nous n’avons pas de robinet. Le transport d’un bidon coûte 50 FCfa. Pour une opération, nous utilisons 60 litres d’eau pour le malaxage et 40 litres pour le bain final. Il faut aussi acheter du sel à 300 FCfa le kilo, de la javel et du détergent liquide. Les dépenses sont énormes et le travail reste pénible », détaille-t-elle. Une autre tanneuse, Fatou Binetou Diakhaté, partage le même sentiment, plaidant pour un soutien accru de l’État en leur faveur. « Le métier de tanneur est négligé alors qu’il génère des emplois dans d’autres pays du monde », déplore-t-elle.
La commercialisation des produits issus du tannage joue un rôle central dans l’économie locale et dans l’industrie du cuir. Les peaux transformées sont utilisées pour confectionner des chaussures, des sacs, des vêtements ou encore des meubles, tandis que les revenus des actrices sont faibles. Yoma Diop affirme qu’elle achète une peau brute de petit ruminant (mouton ou chèvre) à 400 FCfa l’unité pour la revendre à 1.500 FCfa à l’issue du processus de transformation.
« Ce prix est dérisoire. Chaque dimanche, nous écoulons nos produits au marché hebdomadaire de Dahra. Parfois, les affaires marchent, parfois non », souligne-t-elle. Malgré les difficultés, elle gagne sa vie et assure la scolarité de ses enfants. Aminata Fall, une tanneuse résidant à Loumbol, considère que ce métier nourrit son homme. « Malgré les difficultés, je gagne bien ma vie. Je participe à une tontine qui me permet d’épargner et de recevoir d’importantes sommes. Je souhaite que le métier soit modernisé, afin que l’industrie du cuir puisse insérer beaucoup de monde », conclut-elle avec espoir.
Abdoulaye SADIO (Correspondant)