Son expérience en construction métallique acquise en France durant une quinzaine d’années a motivé le retour au bercail de Dame Kane, ingénieur en structure métallique et gérant de la société Msc Études. Dans cet entretien au « Soleil », M. Kane se livre à un plaidoyer pour la technique de la charpente métallique au Sénégal qui peut susciter des vocations entrepreneuriales mais grâce à un accompagnement des autorités.
Qu’est-ce que la construction métallique ?
Il faut savoir que dans la construction, il y a trois types de matériaux conventionnels utilisés pour faire des bâtiments et des édifices qui tiennent longtemps : le béton, le métal et le bois. Partout dans le monde, on utilise ces trois matériaux quand on veut construire des bâtiments, des ouvrages d’art et des édifices structurellement stables, avec des durées de vie de plus de 50 ans et qui respectent les normes de construction. La construction métallique est un type de réalisation qui permet de faire des bâtiments, des bureaux, des hangars agricoles, des usines industrielles, des ateliers de montage, des écoles, des bibliothèques, etc. Elle consiste à travailler des poutres, les assembler en atelier et les monter sur site, avec un bardage comme enveloppe extérieure, pour un bâtiment en clos couvert, par exemple.
Quels projets majeurs au Sénégal illustrent la pertinence de cette technique ?
Au Sénégal, parmi les projets majeurs en construction métallique, on peut citer le pont Faidherbe de Saint-Louis, l’Aéroport international Blaise Diagne de Diass (Aibd) et sa passerelle qui relie le Train express régional (Ter) à l’aéroport, Dakar Arena et les hangars du Pôle industriel de Diamniadio.
Quels sont ses avantages et inconvénients par rapport à la construction en béton ?
Parmi les avantages par rapport à une construction en béton, on peut citer le coût. En effet, pour une construction métallique, on est deux à trois fois moins cher qu’une construction en béton, avec des résistances équivalentes. Pourquoi ? Parce qu’en construction métallique, comme on prépare déjà les aciers en atelier, arrivé sur site, le montage se fait plus rapidement, alors qu’un bâtiment en béton nécessite de faire des fondations, de lever des voiles, des murs, de poser brique par brique, de couler du béton, d’attendre que ça sèche, de couler la dalle, d’attendre que ça sèche… Et tout cela prend du temps. Aussi, la réduction du temps de construction et le faible temps en chantier font que les constructions métalliques coûtent beaucoup moins cher que les constructions en béton. Cela étant, il y a également l’avantage technique qui est indéniable sur de grandes portées. Autrement dit, si on veut construire des bâtiments qui font plus de 20 mètres, 30 mètres, sans poteaux ou reprises intermédiaires, c’est plus économique de le faire en métal. La construction métallique combine plusieurs autres avantages : légèreté, rapidité d’assemblage, modularité et extensibilité. Elle est plus adaptée aux ponts, halls industriels, grands ouvrages publics, stades, gares, marchés couverts, hangars agricoles ou industriels, etc.
Le seul inconvénient que je peux citer, c’est l’accès à certains types de profilés au Sénégal. Si on veut travailler de grands profilés (au-dessus de HEA300 ou IPE300), on est obligé de les commander à l’extérieur. Mais, des solutions techniques existes en local, c’est de faire des Prs (Profilés reconstitués soudés) ou des treillis avec des cornières qui demandent plus de temps en atelier et au montage. Cependant, ils peuvent faire l’affaire.
Vous êtes le gérant de la société Msc Études créée en avril 2024. Comment est née cette passion pour la construction métallique ?
La construction métallique n’est pas très connue au Sénégal, car traditionnellement, on ne pense et on ne conçoit qu’en béton. Alors que partout dans le monde, la construction métallique accompagne le développement économique des pays. Par exemple, si vous allez dans n’importe quel pays du monde, le premier contact que vous avez, c’est l’aéroport et c’est, en général, fait en construction métallique. En France, que je connais plus, il y a beaucoup de constructions en métal : des bâtiments industriels, des ateliers, des bâtiments agricoles, des bureaux, des écoles. J’ai participé à la construction d’une école qui se trouve à Lyon, l’école Boisard. J’ai travaillé à la construction de trois bâtiments et tout est métallique. J’ai eu cette passion en travaillant, en France, dans les bureaux d’études de structure métallique durant 15 ans. Du coup, j’ai décidé de revenir au pays parce que j’ai appris, en France, beaucoup de techniques, de calcul, de dimensionnement et de techniques d’exécution. Le plus important, c’est le savoir-faire, c’est-à-dire quand on passe du dessin à l’érection du bâtiment, les techniques que l’on utilise. Il y a certainement des entreprises qui le font ici, mais nous, à Msc, on arrive à optimiser les bâtiments avec des designs innovants et on propose d’utiliser les fichiers Cn (Commande numérique) de nos plans pour les injecter directement dans les machines de débit de perçage. Cela permet de passer du dessin à la réalisation. Au sein de Msc, on connaît bien ces outils, les normes qui régissent la construction métallique. Et c’est ce qu’on apporte de plus.
Cette technologie nourrit-elle son homme sous nos cieux ?
Au Sénégal, effectivement, on ne connaît pas bien la construction métallique. Le marché du bâtiment, en particulier, et du génie civil, en général, est très calme, surtout en ce moment. Mais, par rapport au potentiel, suivant les projections et les politiques annoncées, toutes les entreprises en structure métallique devraient avoir de la charge pour 4, 5, 10 ans au moins. Les ministères de l’Agriculture, de l’Industrie et de la Formation professionnelle annoncent des constructions massives de hangars et bâtiments métalliques pour accompagner la souveraineté alimentaire et industrielle annoncée dans la « Vision Sénégal 2050 ». Si toutes ces politiques sont mises en œuvre, on devrait effectivement pouvoir se nourrir de notre métier qui est la construction métallique.
Quelles sont les difficultés auxquelles votre structure fait face ?
La première difficulté, c’est la formation et l’employabilité. On n’arrive pas à trouver des personnes qualifiées qui sortent des écoles avec des formations adéquates ; je dirais même qui maîtrisent ou connaissent nos outils de travail, c’est-à-dire les logiciels que l’on utilise pour les dimensionnements, pour les plans. On a du mal à trouver des personnes qui sont libres de contrat et présents sur le marché du travail. Donc, la principale difficulté, c’est de trouver des ingénieurs ou des techniciens qui savent manier les outils que l’on utilise dans nos bureaux d’études.
Ensuite, la deuxième difficulté, c’est la méconnaissance de notre secteur. Les cabinets d’architectes ou les décideurs publics comme privés ne pensent pas automatiquement à la construction métallique dans la conception des projets. Quand on pense à des bâtiments, des édifices publics, des bureaux, on les conçoit automatiquement en béton. Alors qu’il y a des solutions métalliques qui peuvent être plus avantageuses économiquement et ont les mêmes caractéristiques techniques, les mêmes solidités structurelles, les mêmes durées de vie et surtout les mêmes conforts thermiques que les bâtiments en béton.
La troisième difficulté, c’est de percer les marchés, surtout le marché public au Sénégal. C’est compliqué d’approcher des décideurs pour leur proposer des solutions techniques. On a déposé plusieurs sujets, des manifestations d’intérêt, des propositions spontanées, techniques et financières, mais c’est très compliqué d’accéder aux personnes qui appuient sur le bouton pour passer des commandes. On se heurte à cette contrainte. Nous lançons un appel pressant aux autorités, afin qu’elles prêtent une plus grande attention aux nombreux jeunes sénégalais formés en Occident et qui ont envie de rentrer au pays et participer à son développement. En effet, face aux nombreuses difficultés, certains finissent par jeter l’éponge et retournent en Europe.
Comment voyez-vous l’avenir de ce secteur ?
Je vois un grand avenir pour la construction métallique au Sénégal. Le marché est là, les prévisions sont là, le besoin est là aussi. On ne peut pas imaginer construire un pays, faire un développement économique, une souveraineté agricole ou industrielle sans pour autant passer par la construction métallique. Partout dans le monde, on a recours à la construction métallique pour élaborer et exécuter des projets innovants et à grande échelle. Je vois un grand avenir pour le secteur au Sénégal et le marché est devant nous. Il faudra être là, résilient, patient pour pouvoir aller le chercher. Nous sommes présents pour nos clients et nous ferons tout pour répondre à leurs exigences. Je pense qu’il y a un bel avenir pour la construction métallique au Sénégal.
Propos recueillis par Hadja Diaw GAYE (texte) et Moussa SOW (photo)